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TABLE DES MATIÈRES

ÉDITORIAL

André Lanfrey, fms........................................................................................... 3

ÉTUDES

I. Les troubles de la Révolution et de l’EmpireAndré Lanfrey, fms ................................................................................... 5

II. La vie matérielle des frères à LavallaAndré Lanfrey, fms................................................................................. 55

III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielleAndré Lanfrey, fms............................................................................... 109

IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos joursLouis Vibert, fms.................................................................................... 135

COMPLÉMENT

Le portrait de Champagnat par Ravery à N.D. de l’HermitageJean Roche, fms.......................................................................................... 169

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FMS CAHIERS MARISTESN° 31 ANNÉE XXIII 2013

Responsable de rédaction :Commission du Patrimoine

Directeur technique :Alberto I. Ricica S., fms

Collaborateurs de ce numéro :André Lanfrey, fmsLouis Vibert, fmsJean Roche, fms

Traducteurs : Moisés Puente, fmsTony Aragón, fmsGabriela ScanavinoEdward Clisby, fmsMario Colussi, fmsRalph Arnell, fmsCharles Filiatrault, fmsAfonso Levis, fmsSalvador Durante, fmsMiro Reckziegel, fmsAloisio Kuhn, fms

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La commission du patrimoine char-gée de rédiger les Cahiers Maristesétant arrivée à la fin de son mandat etla nouvelle commission n’étant pas en-core en activité, il nous a paru utile decomposer un Cahier Mariste, enquelque sorte de transition, afin de nepas interrompre une publication à peuprès régulière d’un numéro par an.

Les lecteurs verront que ce ca-hier est essentiellement consacré àLavalla. C’est un sujet un peu redou-table car tout Mariste, durant sa for-mation, a appris des choses sur leberceau de l’Institut ; bien des écritsont été publiés sur le sujet et ungrand nombre de frères et laïcs ma-ristes ont même visité ce lieu.

Pour tenter de ne pas redire deschoses déjà connues, deux voiesnous paraissaient possibles : dresserun bilan des travaux réalisés ou tenterune approche différente. C’est la se-

conde voie que nous avons choisie entravaillant en quelque sorte sur la pé-riphérie de l’histoire mariste. Nousévoquerons donc Lavalla et sa régionavant l’arrivée de Champagnat, puis lavie de la communauté dans ses as-pects les plus matériels ; enfin le pro-blématique passage de Lavalla à l’Her-mitage. Le F. Louis Vibert, de lacommunauté actuelle de Lavalla, ferale lien entre ces origines et aujourd’hui.

Dans ces divers articles nous ex-ploiterons de manière assez systé-matique les documents financiers etles divers registres de vêtures etprofessions laissés par le P. Cham-pagnat, rendus très accessibles parla publication en 2011 de Origine desFrères Maristes par le F. Paul Sester.

Un article du F. Jean Roche surles portraits du P. Champagnat noussituera dans la continuité de CahiersMaristes n° 29.

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ÉDITORIAL

André Lanfrey fms

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I.LE TROUBLES DE LA RÉVOLUTION ET DE L’EMPIRE

É T U D E S

André Lanfrey fms

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1. LA RÉGION DE SAINTCHAMOND A LA FIN DEL’ANCIEN RÉGIME ETSOUS LA RÉVOLUTION

Ordonné prêtre à la fin de juillet 1816,Marcellin Champagnat est nomméau village de Lavalla, au flanc dumassif du Pilat, surplombant la valléedu Gier et la ville de Saint Chamond,elle-même proche de Saint Étienne.Arrivé en août, il entre dans l’histoired’un territoire qui a connu de grandsbouleversements : ceux de la Révo-lution (1789-1799) sont déjà relative-ment anciens mais leur empreinteest profonde. L’invasion étrangèreen 1814 et 1815 a laissé des tracesplus récentes et d’autre nature.

1.1. Saint Chamond etson territoire1

De 1768 à la Révolution, Jean-Jacques Gallet de Montdragon estle seigneur du marquisat de Saint

Chamond (la ville + Izieux, Saint Ju-lien, Saint Martin) et de la seigneuriedu Thoil-Lavalla qui monte jusqu’auBessat, ainsi que de Doizieu, autrevallée sur le flanc des Monts du Pilat.Quoique la Révolution supprime cesanciennes divisions féodales, lesgens de Saint Chamond considèrentles communes de Lavalla et de Doi-zieu comme leur domaine, dans le-quel ils ont le droit de puiser leur sub-sistance. En somme, le peuple,nouveau souverain, se voudra héri-tier des anciennes prérogatives sei-gneuriales.

1.2. Beaucoupd’industrie, une agriculture assez pauvre

Au début de la Révolution, l’ag-glomération de Saint Chamond com-prend 9.125 habitants, Doizieu 1.625et Lavalla 1.675. Les activités écono-miques y sont nombreuses : d’abord

1 La source essentielle est l’ouvrage de Lucien Parizot, La Révolution à l’œil nu. L’exemple du Lyon-nais vécu à Saint Chamond et en Jarez, Editions Val Jaris, Saint Chamond, 1987. Bien que portant par-fois des jugements rapides, l’ouvrage présente une description détaillée de cette petite région.

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la fabrique des clous, dont les frèresNeyrand, futurs bienfaiteurs deChampagnat, sont les principauxproducteurs. Le charbon affleuranten plusieurs lieux, son exploitation,quoiqu’anarchique, fournit plusieursmilliers de tonnes par an. La rubane-rie est très répandue dans la ville etles campagnes. Enfin, une dizaine demoulins travaillent les fils de soie.

L’économie rurale est moins fa-vorisée : le sol est ingrat, soumis auxsécheresses. La Valla et Doizieu ontdes terrains en très fortes pentes.On en tire peu de froment mais as-sez de seigle pour l’approvisionne-ment de la population et la vente. Lefourrage est abondant dans le hautbassin du Gier et de grandes forêtsde conifères sont une richesse po-tentielle, particulièrement à Lavallaoù la forêt est communale. Mais,systématiquement pillée, en défini-tive, elle rapporte peu. La fabricationdes clous, la rubanerie, les articles enbois sont un appoint pour les pay-sans de Lavalla et de Doizieu.

1.3. Encadrementreligieux

A la veille de la Révolution, SaintChamond est une petite métropolereligieuse pourvue de trois paroisses : – Saint Ennemond, où Julien Der-

vieux, futur bienfaiteur de Cham-pagnat, est vicaire,

– Notre Dame, gouvernée par lecuré Antoine Flachat (1725-1803),3 vicaires et une société de 4 prê-tres habitués2,

– Saint Pierre, avec le curé AntoineChaland (1732-1804), trois vicaireset une société de 7 prêtres habi-tués.

Quant aux religieux et religieuses : • Capucins : 6 religieux et 9 frères. • Ursulines : 34 religieuses. • Minimes : 4 religieux et une col-

légiale Saint Jean-Baptiste.

L’Hôtel-Dieu, géré par un bureaude 10 membres, a son service assurépar 8 à 10 « sœurs de Saint Joseph3».La Charité, fondée en 1764 par le curéFlachat, recueille pauvres, vieillards etenfants de 8 à 15 ans. Les filles y dé-vident de la soie et les garçons fontdes clous, sous la direction d’une di-zaine de « Sœurs de Saint Joseph ».

De « petites écoles des pauvres »semblent végéter, mais les Ursulines,les prêtres habitués des paroisseset les « sœurs de Saint Joseph » for-ment un encadrement éducatif et ca-ritatif important en un temps où lecatéchisme, et donc la lecture, sontpartout, mais de manière diffuse oudans des structures ne portant pas lenom d’écoles.

Enfin, il y a les confréries. Celledes ribandiers (fabricants de rubans)

2 Les prêtres habitués sont originaires de la paroisse. Ils y accomplissent des tâches cultuelles, ca-ritatives ou enseignantes sous l’autorité du curé.

3 Elles ne sont pas membres d’une congrégation mais appartiennent à l’hôpital. Ce sont de pieuses filles.

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et passementiers, celle des moulinierssont des confréries de métiers au ca-ractère religieux assez peu contrai-gnant. En revanche, les pénitents dugonfalon relevant de la paroisse SaintPierre, et les pénitents du Saint Sacre-ment à Notre Dame sont des confré-ries de dévotions plus exigeantes.Toutes deux ont une chapelle particu-lière qui servira aux assemblées et auxclubs sous la Révolution.

Tout cet encadrement à la fois reli-gieux, social et culturel sera fortementébranlé par la Révolution mais sa re-naissance semble avoir été rapide.

1.4. Aperçu socio-économique

Sur les plans économique et socialle paiement de l’impôt direct, la taille,est un bon indicateur. Avant la Révo-lution, à Saint Chamond, sur les 1251feux que comporte la commune, 43sont privilégiés et donc ne paient pasl’impôt direct ; 531 feux sont taillables,et 627, trop pauvres, sont exemptésde la taille. A Doizieu, commune limi-trophe de Lavalla4, en 1772, 5% desfoyers sont jugés fortunés, 20% aiséset 50%, jugés trop pauvres, ne paientpas d’impôt. La proportion doit êtreassez semblable à Lavalla.

La Révolution changera peu cettestratification sociale révélée par lafiscalité. Il est clair qu’à Saint Cha-

mond existent une bourgeoisiegrande et petite, et un prolétariat ur-bain massif dans lequel la Révolutionpuisera ses extrémistes. Dans lescampagnes, la vie paraît moins pré-caire pour les pauvres, et les richessont rares. Ce sera un élément im-portant de la guerre ville-campagnesous la Révolution : Saint Chamondsera dominée par le Jacobinisme, etla campagne alentour, surtout La-valla, sera résistante.

1.5. Une chronologielocale de la révolution

Il est inutile de s’embarrasserd’une chronologie complexe de larévolution car, si les répercussionsde celle-ci sont profondes à peu prèspartout en France, seuls certainsévénements y ont une place impor-tante.

A partir de 1788, on prépare lesÉtats Généraux et on rédige les ca-hiers de doléances5 en vue de la ré-forme du royaume. L’année 1789 estparticulièrement riche en événe-ments : révolution politique à Ver-sailles en juin, les États Généraux setransformant en Assemblée Natio-nale Constituante, et prise de la bas-tille à Paris le 14 juillet.

Ce dernier événement suscitedans la plus grande partie de la

4 Parizot Lucien, La Révolution à l’œil nu. L’exemple du Lyonnais vécu à Saint Chamond et en Jarez,Val Jaris, St Chamond, 1987, p. 22.

5 Clergé, noblesse et tiers-état dressent séparément la liste des réformes qu’ils désirent.

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France une « Grande Peur » : desbrigands viendraient pour massacrerles populations. On sonne le tocsin,on rassemble des volontaires pourse défendre, beaucoup se cachent…Finalement on se rend compte quece n’était qu’une rumeur. Le 28 juillet,Saint Chamond est un des épicentresde cette Grande Peur et Lavalla n’yéchappe pas. A partir de ce moments’installe une semi-anarchie que lesautorités nouvelles ne parviendrontguère à réprimer en dépit de laconstitution dans chaque communed’une milice populaire : la Garde Na-tionale. Dans le Pilat la forêt commu-nale de Lavalla et les forêts des Char-treux, devenues biens nationaux,sont systématiquement pillées.

La récolte de 1789 ayant été trèsdéficitaire, au printemps 1790, SaintChamond manque de pain et la pé-nurie s’installe jusqu’en 1791. La fa-mine ou la crainte de devoir la subirseront des éléments fondamentauxet permanents de la révolution, lescouches populaires étant prêtes àse soulever en faveur de qui prometdu pain ou désigne des responsa-bles de la pénurie.

La Constitution Civile du Clergéétablie le 12 juillet 1790 crée le troublecar elle a été établie sans accordavec Rome. La plupart des prêtresde Saint Chamond acceptent le ser-ment constitutionnel avec ou sansrestrictions. Mais quand le papecondamne la Constitution Civile le 10mars 1791, un grand nombre d’entreeux se rétractent. Clergé et popula-

tion se divisent : les uns pour L’Égliseconstitutionnelle ; les autres pourL’Église réfractaire.

La guerre déclarée en avril 1792impose des levées de soldats maispersonne ne veut partir. Le problèmedes conscrits réfractaires au servicemilitaire commence à se poser en1793. Il ne cessera qu’avec l’Empireen 1814. Lavalla se signale particuliè-rement par son refus de cettecharge et devient un refuge de dé-serteurs. Les grandes forêts, le reliefaccidenté et la complicité des habi-tants empêchent toute répressionefficace.

Le roi Louis XVI est guillotiné le 21janvier 1793 mais c’est à partir demai-juin 1793 que la Révolutiontourne à la tragédie. A Paris, les ex-trémistes jacobins parviennent le 2juin à anéantir le parti modéré : lesGirondins ou fédéralistes. Mais àLyon, dès le 29 mai, les Jacobins deChalier sont vaincus par les modéréset peu à peu Lyon glisse vers la ré-volte ouverte contre Paris. Voulants’assurer le soutien de la région en-vironnante et se procurer des armesà Saint Étienne spécialisée dans l’ar-murerie, les Lyonnais envoient destroupes qui prennent Saint Chamondet installent une municipalité de leurparti tandis que les Jacobins, qui te-naient la ville jusque là, se retirentdans les bois du Pilat.

Mais les Lyonnais ne peuvent semaintenir et les armées révolution-naires se concentrent sur Lyon. La

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Constituante a envoyé dans la Loire,comme représentant en missionexerçant des pouvoirs dictatoriaux,un scélérat nommé Javogues qui ter-rorise le département et impose unemobilisation des hommes de 18 à 35ans pour se rendre au siège de Lyon.Les gardes nationales de Saint Cha-mond et des communes alentour se-ront campées à Saint Genis-Laval,assez satisfaites, semble-t-il, à laperspective de piller Lyon qui se rendau début d’octobre. Immédiatement,fusillades et massacres commen-cent. Il y aura 1 684 exécutions entrele 27 novembre 1793 et le 3 mai 1794.

A Saint Chamond, les extrémistesont repris le pouvoir et le club des ja-cobins est reconstitué. La justice ré-volutionnaire de la Loire a installé sontribunal et la guillotine à Montbrison,capitale administrative du départe-ment. Mais cette politique sangui-naire et les réquisitions lui aliènentles populations. D’autre part, la loi dumaximum qui fixe les prix et fonc-tionne de septembre 93 à décembre94 n’encourage pas le commerce,d’autant que les paysans sont payésen assignats, monnaie papier trèsdépréciée. Ils s’abstiennent donc devendre ou se livrent au marché noir.

A la répression se joint la déchris-tianisation lancée par Fouché et Col-lot d’Herbois, les bourreaux de Lyon,à partir de novembre 1793. Les prê-tres, même constitutionnels, sontsommés de remettre leurs lettres deprêtrise ; les églises sont dépouilléesde leurs ornements et de leurs

cloches, les prêtres réfractaires,jusque là assez tranquilles, doiventse cacher et célébrer le culte dansdes lieux divers. Pour les autorités stchamonaises, c’est à Lavalla que ladéchristianisation se heurte à la plusgrande opposition. L’animositécontre Saint Chamond y est à soncomble mais la population vit dans lacrainte perpétuelle des expéditionsdes énergumènes de la ville.

La chute et l’exécution de Robes-pierre en juillet 1794 (9 thermidor) nemettent pas fin à la terreur : le curéde Lavalla, Jean Gaumont, est arrêtéen août dans le Pilat. Il est condamnéà mort le 2 septembre 1794 et exé-cuté.

Néanmoins, la chute de Robes-pierre a brisé le nerf de la Révolution.Désormais les révolutionnaires nesongent plus qu’à garder le pouvoiravec l’aide d’une armée qui leur pro-cure des ressources en pillant l’Eu-rope. A l’intérieur de la France, c’estl’anarchie avec des coups d’État, soitcontre les Jacobins, soit contre lesroyalistes qui relèvent la tête. En1795-96 sévit même, notamment àLyon et à Saint Étienne, une terreurblanche qui massacre d’anciens ja-cobins dont Ducros, cousin de Jean-Baptiste Champagnat, père de Mar-cellin. Le coup d’État de Fructidor enseptembre 1797 rétablit la terreurcontre le clergé et les royalistes maissans résultats dans le secteur deSaint Chamond. En fait, une grandepartie du territoire français échappeà l’autorité d’un pouvoir complète-

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6 La copie est conservée à la bibliothèque de St Étienne. L’original semble avoir disparu. 7 Le recensement de 1815 signale quatre Champalier drapiers, certainement de la même famille. 8 C’est peut-être la date de la fin de la rédaction du manuscrit. Le récit ne dépassant guère l’année

1814, on peut se demander si une partie n’a pas été perdue.

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ment discrédité. Le coup d’État du 18brumaire de Bonaparte (fin 1799) in-tervient dans une France lasse detant de désordres.

Le Consulat (1800-1804) puis l’Em-pire (1804-1814) ramènent la sécuritéet l’autorité de l’État mais la conscrip-tion et le despotisme paraissent deplus en plus insupportables. Les inva-sions de 1814 et 1815 occasionnent ànouveau toutes sortes de réquisitionset de troubles et une longue occupa-tion de la France.

2.LAVALLA SOUS LA RÉVOLUTION ET L’EMPIRELes Mémoires de Jean-Louis Barge

Jean-Galley, historien de la régionstéphanoise à la fin du XIX°siècle, acopié en mars 1897 deux cahiers desmémoires de Jean-Louis Bargecommuniqués par le neveu de l’an-cien notaire de Lavalla, M. Thibaud6,qui nous donnent un récit à la fois pit-toresque et détaillé de l’histoire duvillage de Lavalla.

2.1. Un auteur peu banal

Né le 24 août 1762 à Lavalla, J. L.Barge est le fils de Pierre Barge, tail-leur d’habits, et d’Antoinette Cham-palier, d’une famille de drapiers de

Lavalla7. Lors de son mariage le 4juin 1787, il est lui-même drapier. Ilépouse Anne Préher, fille du défuntnotaire de Lavalla. Les quatre té-moins du mariage sont tailleurs, pas-sementiers ou drapiers. Un seul nesait pas signer. Jean-Louis Bargen’est donc pas un paysan mais plu-tôt lié au monde de l’artisanat et ducommerce textiles établi au bourgde Lavalla. Son mariage avec la filled’un notaire montre qu’il jouit d’unecertaine instruction et d’une situationhonorable. Quand il meurt à 90 ans,le 8 janvier 1853, il est cependant dé-claré cultivateur et n’habite plus aubourg mais au hameau de la Sur-chette (Serchette aujourd’hui) où il aquelque bien. Son acte de décèsnous éclaire sur la manière dont lemanuscrit a pu nous parvenir car l’undes déclarants est Louis Thibaud,notaire à Lavalla, alors âgé de 53ans, qui a conservé le manuscrit quisera révélé plus tard par son neveu.Réparti en 57 chapitres, il couvre lesannées 1789-1815, nous révélant unefoule d’événements locaux sur cetteépoque troublée.

Barge a d’ailleurs conscienced’avoir traversé une période excep-tionnelle puisqu’il intitule son mé-moire : « Notes des principaux évé-nements arrivés à Lavalla depuis1789 jusqu’à ce jour 1° janvier 18198. »En 1816, Barge, qui a 54 ans, doitabandonner toute charge officielle et

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s’emploie à dresser une relation desfaits qu’il a vécus tout en n’oubliantpas de montrer, un peu naïvement,qu’il en a été le héros principal. Sonrécit a donc l’inconvénient de ne par-ler que des affaires auxquelles il aété mêlé et de s’arrêter à peu prèsau moment où Marcellin Champa-gnat, dont Barge ne parle jamais, ar-rive à La Valla. En revanche, ce récitnous montre sous une lumière cruela réalité religieuse, sociale, écono-mique et politique du territoire danslequel le jeune Champagnat va exer-cer son apostolat. On peut être sûrque Barge et Champagnat se sontconnus mais il est peu probable qu’ilsaient eu des relations suivies.

Nous savons par Barge lui-mêmequ’avant la Révolution il a été soldat.Comme le remarque Galley, il a unecertaine instruction puisqu’il saitécrire, qu’il cite La Fontaine et com-pare Robespierre à Cromwell et Ma-homet. Il conte d’ailleurs avec clarté.Il a sans doute bénéficié des leçonsd’un petit collège ou d’une écolepresbytérale préparant les jeunesgens au sacerdoce. Son passage àl’armée, probablement vers 1780, luia permis de rencontrer les idéesnouvelles. D’ailleurs, très conscientde sa supériorité intellectuelle, il nese prive pas, tout au long de son ré-cit, de faire l’important, mettant envaleur son habileté à sortir la com-mune des situations difficiles et àsouligner la bêtise, la lâcheté, l’hypo-crisie de ceux qui l’entourent.

Sa situation économique reste ce-pendant modeste. Le recensement

de 1815 indique qu’il est cultivateur,habitant au bourg et marié sans en-fant. Quelques réflexions de son mé-moire laissent d’ailleurs entendrequ’il s’entend mal avec sa femme. Iln’est pas un notable et ne sera ja-mais maire. La commune utilise sescompétences de lisant-écrivant, no-tamment comme secrétaire-greffier,emploi qui lui procure certainementquelques ressources complémen-taires, mais le maintient dans les se-conds rôles.

En somme Barge est un dé-classé : supérieur à la plupart desautres habitants par son savoir, il nejouit pas de la situation matériellecorrespondant à ses capacités. Pourlui, la Révolution à laquelle il adhèreavec enthousiasme au début, estl’occasion de faire valoir ses talents.Mais la tournure des événements lefera revenir rapidement à une atti-tude plus modérée. Un parallèle en-tre lui et Jean-Baptiste Champagnat,père de Marcellin, peut d’ailleurs êtresuggéré. Ils sont tous deux dans lacatégorie des demi-savants accueil-lant favorablement la Révolution etse retrouvant déçus par elle aprèsl’avoir servie. Leur engagement enpolitique a d’ailleurs pu contribuer àleur échec au plan économique.

2.2. La révolution au village

La vie à Lavalla de 1789 à 1800 serarythmée par les grands événementspolitiques mais Barge n’évoque l’his-toire générale que dans la mesure oùelle a une incidence sur Lavalla.

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9 J. B. Galley, Saint Étienne pendant la Révolution, t. 2, St Étienne, 1906, p. 690. Sur une liste de 28prêtres réfractaires : « Berne, dit Balaire, de la Valla, vicaire à Graix ».

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Il ne dit presque rien des États Gé-néraux et de la prise de la Bastille(mai-14 juillet 1789). En revanche, ilrelate la Grande Peur dont Lavallaest frappé le 28 juillet dans la soi-rée : on sonne le tocsin ; les pluscourageux s’organisent en troupe ar-mée, d’autres se cachent ou dissi-mulent leurs biens ; les femmes semettent en groupe pour prier. L’af-faire finit en tragi-comédie : la troupearmée descend à Saint Chamond oùon l’acclame et la rassure. On boitpuis on se querelle (ch. 1). Mais dés-ormais « chaque ville et village segardaient, montant à tour de rôle lagarde et faisant patrouille » (ch. I).

La révolution instaure une intensevie politique au village : le premier syn-dic de la commune doit faire lire parBarge les nombreux décrets de l’As-semblée Nationale à la sortie de lamesse dominicale. Le 28 février 1790ont lieu dans l’église les premièresélections municipales : c’est l’occa-sion d’un tumulte, les habitants dubas de la commune, tournés versSaint Chamond ayant leur candidat, etceux du haut, dont Saint Étienne est lecentre, le leur. Finalement le haut dela commune l’emporte : le mairePierre Tardy est du Bessat. Avec luisont élus cinq conseillers municipaux.Barge est nommé secrétaire.

La chute de l’ordre ancien libèrede puissantes tendances anar-chiques : comme nous l’avons déjàdit, la splendide forêt communale de

Lavalla est dévastée par des exploi-tants sans droits qui n’hésitent pas àcommettre des actes violents quandon veut les réprimer. Quant aux biensnobles et ecclésiastiques, ils sontvendus. Mais à Lavalla, on préserveles prés de la cure et de la marguille-rie, peut-être par respect pour l’Églisemais surtout parce qu’ils sont consi-dérés comme biens communaux.

2.3. La division religieuse

Barge consacre un long passageà la Constitution Civile du Clergé. Lecuré Gaumond et le vicaire Robin re-fusent de prêter le serment et de re-connaître la légitimité de l’archevêqueconstitutionnel de Lyon, Lamourette.C’est l’occasion d’une violente que-relle entre le curé et Barge qui, duparti de la Révolution, semble assezisolé (ch. VII). En août 1791, Jean-Ma-rie Berne, séminariste, part se faireordonner à l’étranger par l’arche-vêque de Lyon en exil, Mgr. de Mar-beuf. Le 2 octobre 1791 il célèbre pu-bliquement la messe à Lavalla, ce quipasse pour une provocation et in-quiète la municipalité9. Mais l’auto-rité du curé semble toujours prépon-dérante et Barge l’accuse de vouloirle faire renvoyer de son poste.

2.4. Barge déçu par la Révolution

A partir d’avril 1792, c’est la guerreentre l’Europe et la France révolu-tionnaire et commence à se poser le

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10 Il y a certes plusieurs Rivat dans la paroisse mais aucun ne semblant aussi fortuné que lui et doncdigne de figurer dans le conseil municipal.

11 Voir au chapitre XVIII où il dit qu’il avait un ordre du représentant en mission Javogues lui ordonnantd’arrêter le curé.

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problème des contingents de soldatsà fournir (ch. XIII). Les défaites radi-calisent la Révolution, le roi est ar-rêté. L’assemblée législative rédigeune seconde constitution à laquelleBarge doit prêter serment le 11 octo-bre 1792 (ch. XV).

Tous ces événements et surtout leserment l’ont écœuré : « De grandpartisan que j’étais de la premièreconstitution, je devins tout à coup l’en-nemi secret de la seconde. Cette Éga-lité me jetait dans des labyrinthes inex-tricables ». Bien des Français ont alorsressenti la même désaffection enversun régime qui n’apportait, au nom dela Liberté et de l’Égalité, que troublesintérieurs et guerre extérieure.

En décembre 1792, une nouvellemunicipalité est élue et Jean Rivat,fils, est chargé de l’état civil. En fait,il laisse le curé Gaumond continuer àenregistrer baptêmes, mariages etenterrements. Déjà préparé à la clan-destinité ou ne voulant pas se sou-mettre à l’autorité civile, même pourla forme, celui-ci n’enregistre pas lesactes sur les registres de l’Etat Civilmais sur des feuilles séparées.

En tout cas, le curé Gaumond qui,d’après Barge, « croyait toujours auretour de l’ancien régime », exerceau grand jour les fonctions ecclé-siastiques avec l’accord de la muni-cipalité et de la grande majorité des

habitants alors que dans le diocèsele clergé constitutionnel occupe laplupart des cures. Barge nous le dé-crit comme « hautain et trop accou-tumé aux flagorneries et adulationsdes gens de La Valla (ch. XVII) ». Enfait, Barge ne comprend rien aux rai-sons profondes de l’opposition deGaumond à la Révolution et on sentchez lui une pointe de jalousie enversun homme influent.

Mais qui est ce Jean Rivat filschargé de l’Etat Civil ? ProbablementJean-Baptiste Rivat, laboureur à Mai-sonnettes, le père de Gabriel Rivat,futur frère François, premier succes-seur de Champagnat10.

2.5. Barge réconciliéavec Gaumond

Barge nous décrit la manière dontle curé et lui, ennemis depuis 1789, seréconcilient parce que « l’orage révo-lutionnaire grandissait de jour en jour »et qu’ « aucun autre de Lavalla ne pou-vait le servir ». Barge se vante peut-être mais, depuis 1789, il passe pourchaud partisan de la Révolution et àl’occasion de la Terreur il a sans douteété nommé agent national de la com-mune chargé de dénoncer les sus-pects11.

La réconciliation est secrète : « Nousfeignîmes en public d’être comme par lepassé ; on le crut tellement qu’on

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12 Le recensement de 1815 indique au bourg de Lavalla un Claude Louis Tissot, drapier. C’est proba-blement le même, d’autant qu’il n’y a pas d’autre Tissot dans la paroisse et que Barge précise qu’il en-terre ses biens les plus précieux, signe qu’il appartient bien à Lavalla. Barge profite de ces négociationspour se plaindre d’avoir été, en 1789, dépossédé d’un banc qu’il possédait à l’église. Il est possible quecette suppression ait été la conséquence de l’engagement de Barge dans la Révolution : des représaillesen somme.

13 Voir chapitre XX : il vient de nuit changer de linge chez son ancienne domestique.14 Il est curé de Longes au moment où Barge écrit. 15 C’est la levée de 300 000 hommes ordonnée en mars 1793 ou la levée en masse un peu plus tard.

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire14

s’adressait à moi lorsqu’on faisait des re-cherches contre luy. » En même temps,Barge lève un coin du voile sur le réseauqui soutient le curé et négocie la récon-ciliation : le « père Gaspard (Gonin) » vi-caire de Gaumond, les dames Paras, deSaint Étienne, qui semblent avoir une mai-son à Lavalla, J-M Tissot, ami du curé 12.

Cette réconciliation survient à temps :probablement au printemps 1793, au dé-but de la Terreur. Un certain abbé Gué-rin accusé d’être accapareur de grains aété massacré à Saint Chamond par lapopulace. Les « chauds » (Jacobins) dela ville veulent monter à Lavalla pours’emparer du curé et du vicaire accusésdu même crime d’accaparement et« faire tapage chez les soi-disant fana-tiques et aristocrates ».

2.6. Saint Chamondcontre Lavalla

La populace de Saint Chamondcroit en un complot des campagnespour l’affamer, dont les prêtres ré-fractaires sont les responsables. Lafrénésie est à son comble au prin-temps, moment où les provisions del’hiver ont été consommées et où lesnouvelles récoltes ne sont pas en-core à maturité.

Au début de septembre 1793 (ch.XVIII), une femme de Lavalla ayantinnocemment dit qu’à Lavalla le curéet son vicaire résidaient toujours à lacure, douze hommes montent im-médiatement à cheval à quatreheures du soir. Prévenus in extremispar une femme, les deux prêtrespeuvent se sauver à temps. Les ré-volutionnaires se contentent de pillerle foin et la volaille de la cure.Quelques jours plus tard, une troupemonte en pleine nuit sans plus desuccès.

Il semble qu’à partir de ce mo-ment le curé Gaumond ait mené unevie clandestine jusqu’à sa capture,mais d’abord sans trop s’éloigner13.Ensuite, il n’est plus guère questionde lui. Il semble que ce soit le prêtreréfractaire Bertholon14, qui assure leculte clandestin (ch. XIX) alors que lecuré constitutionnel d’Izieux, Jamet,a du mal à se faire ouvrir l’église.Comme le dit Barge, « les affairespubliques allaient de mal en pis ». Lacommune doit fournir vingt hommespour l’armée15 mais personne neveut partir. Manifestement, Lavallaest réfractaire au service militaire età l’Église constitutionnelle.

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16 C’est un agent du contre-révolutionnaire royaliste bien connu : Bésignan (ch. XXIV).17 Commune des Monts du Lyonnais ouvertement royaliste et pratiquant la résistance armée.18 Il se peut que Barge se soit trompé d’année : un grand projet de soulèvement royaliste dans la ré-

gion se déroule en 1795. Voir Louis Trénard, La Révolution française’ dans la région Rhône-Alpes, Perrin,1992, p. 587…

19 C’est la mobilisation des Gardes Nationales établies dans chaque commune après 1789. 20 J. M. Tissot, l’ami du curé Gaumond, d’abord commandant du détachement de la commune doit

s’enfuir, et Jean-Baptiste Galley prend sa place. Accusé du vol du cheval de Tissot, il est mis en état d’ar-restation. La famille Galley se mobilise alors pour le faire libérer en faisant pression, sur l’épouse Tissotqui doit donner main levée permettant la libération de l’accusé et probablement du coupable.

15André Lanfrey, fms

2.7. Une tentativeroyaliste

La contre-révolution royalisten’est pas inactive à Lavalla (ch.XXIV). Barge rapporte que peu avantle siège de Lyon, donc dans l’été1793, « un ci-devant grand sei-gneur16 » s’introduit chez Tissot oùloge fréquemment M. Charvet « ci-devant minime d’Annonay », certai-nement prêtre réfractaire assurantaussi le culte clandestin. Il a le projetde faire soulever tout le Midi de laFrance et finit par persuader Char-vet, le « père Gaspard » vicaire deLavalla, Tissot, et même Barge lui-même, de se joindre au projet desoulèvement.

Une troupe dirigée par deux desfils Tissot est constituée. Avec l’aided’une colonne venant de Chevrières17

et d’autres du Midi, elle doit prendreSaint Chamond. C’est un fiasco com-plet. Personne ne vient en renfort, ettout le monde rentre chez soi. Heu-reusement, la troupe, durant son er-rance nocturne, n’a pas été aperçuepar les patrouilles adversaires. Maisdes rumeurs transpirent18.

2.8. Le siège de Lyon

De mai à octobre 1789, Lavalla su-bit les conséquences de la révolte deLyon contre la Convention monta-gnarde. La municipalité doit fournir del’avoine pour l’armée du siège. Maisaussi « on fit marcher en masse lesgens de campagne et des villes sousl’appât du pillage. Lavalla y fut dunombre19 ». La division se met dans latroupe20. Comme le dit Barge :« C’était l’esprit du temps. Tout étaitperverti » (ch. XXIII). Il semble en effetque bien des paysans de Lavalla aientété avides de s’enrichir aux dépensdes Lyonnais en saisissant le prétexted’une cause patriotique. La guerreville-campagne se déroule à grandeéchelle cette fois. On assiste aussi àun règlement de compte entre deuxfamilles, entre bourg et hameaux, etpeut-être aussi entre le haut et le basde la commune.

Le retour du siège montre en ef-fet que bien des villageois y ayantparticipé en ont eu la tête tournée. Lefestin donné aux frais de la communetourne à la beuverie, aux injures et

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bagarres. Et même « au matin ils vou-laient détruire, disaient-ils, les aristo-crates et les fanatiques (Tardy, duCoing et de Soulages, les Rivat, deLuzernod, du Pinay et de Maison-nettes, Tissot, etc. étaient en tête deproscription) (ch. XXII) et piller leursmaisons. » Non seulement la guerresociale entre villes et campagnes seprofile au village, mais encore elleprend un tour politique. En tout cas,Barge nous donne les noms des prin-cipaux notables du parti de la résis-tance à la Révolution, dont les Rivat.

Il note que ce moment d’exalta-tion se calmera vite21 mais ajouteaussitôt que : « Après le siège, le ter-rorisme était à son comble. On nevoyait que des arrestations, des fu-sillades, et la guillotine était en per-manence tant à Lyon qu’à Feurs.22 »

2.9. La déchristianisation

La déchristianisation frappe La-valla le 18 décembre 1793. Le révolu-tionnaire Monatte monte de SaintChamond pour s’emparer des orne-ments d’Église. Les Jacobins n’entrouvent que quelques-uns, la plusgrande partie ayant été cachée. Ilsdétruisent les statues de saints àcoups de sabre, déchirent les livres,répandent les hosties du tabernacle« en présence d’un grand nombre

de gens qui, tous, étaient indignés,mais qui n’osaient dire mot tant laterreur était grande » (ch. XXVII).Barge nous donne l’inventaire desobjets liturgiques cachés en préci-sant que ne sont au courant que lemaire (Jean Matricon), Jean Rivat,Jean Thibaud, membres du corpsmunicipal, et les deux fils Tissot quisemblent des contre-révolution-naires décidés. Le fait qu’une mino-rité du conseil municipal seulementsoit de la partie montre que désor-mais, à Lavalla, une partie des nota-bles n’est pas sûre.

Il cite aussi les noms des famillesqui recueillent ces objets. Ainsi JeanRivat et son voisin Bise emportentdes statues des saints de l’autel. Ilprécise que « les confrères du ro-saire dégarnirent leur chapelle et lagrille de fer » y donnant accès. C’estsans doute à ce moment que le ta-bleau de la confrérie du rosaire,donné plus tard à Champagnat parMadame Rivat, actuellement dans lamaison des frères de la communautéde Lavalla, a été transporté chez lesRivat à Maisonettes.

Alors qu’à Saint Chamond on voitLavalla comme un bloc contre-révo-lutionnaire inentamable, Barge nousmontre qu’au contraire les résistantsdécidés ne sont qu’une petite mino-

16 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

21 Il n’y aura pas de club ni de société populaire révolutionnaire à La Valla. 22 En fait, à Montbrison. Un jeune homme natif de Châlons-sur-Saône venu se cacher après le siège

chez la demoiselle Ferréol est dénoncé par un habitant de Lavalla. Arrêté, il sera mitraillé à Lyon. Son hô-tesse est arrêtée; une partie de son mobilier est pillée et le reste mis sous séquestre. La famille Tissot,compromise dans l’affaire de la tentative royaliste, voit sa maison mise sous scellés et le père Tissot doitse cacher.

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23 Cette réflexion nous montre d’ailleurs que Barge, contrairement à ses interlocuteurs, n’est pas riche.

rité. Pendant un temps, l’église nesera ouverte que toutes les décades,conformément au nouveau calen-drier révolutionnaire, pour servircomme temple de la raison (ch.XXXI) où officient maladroitementdes envoyés du club de Saint Cha-mond. Pour alimenter le rite en as-sistants, les membres du Comité desurveillance de Saint Chamond cou-rent les champs pour verbaliser ceuxqui travaillent les jours de décade etempêcher le culte catholique le di-manche (ch. XXXV). En fait celui-ci sedéroule à la chapelle de L’Étrat, unpeu à l’extérieur du village. Barge nementionne jamais de messes clan-destines dans des lieux privés.

2.10. Sauver les cloches

Reste l’affaire des cloches qui doi-vent être livrées à la république pour lafonte des canons. Barge souligne ladifficulté de les sauver car : « Nousavions parmi nous des faux frères et laterreur était si grande que chacuncraignait pour sa tête ». Quand il pro-pose de les mettre en sûreté sesdeux interlocuteurs lui rétorquent :« Vous ne risqueriez que votre tête etnous, nos biens avec nos têtes23. »

La commune fait donc la sourdeoreille aux injonctions des autoritésd’Armeville (Saint Étienne). Finale-ment, probablement au printemps de1794, trois hommes arrivent d’Izieuxpour faire tomber les cloches. Co-pieusement enivrés et réjouis par des

danses et de la musique, ils consen-tent à se retirer contre promesse desgens de Lavalla de descendre eux-mêmes les cloches. Ils les descen-dront effectivement mais elles ne se-ront pas transportées à Saint Étienne.

2.11. La guerre des subsistances

Barge mentionne longuement laplus grave accusation contre Lavallaformulée par les clubs de Saint Cha-mond : « nous cachions nos denréesplutôt que d’approvisionner le mar-ché de Saint Chamond ».

Dans son chapitre XXX, il nous dé-crit ce qui se passe le dernier di-manche de décembre 1793, où leclub des Jacobins de la ville affaméea réuni des troupes pour monter àLavalla agresser les habitants. Venuà Saint Chamond pour prévenir cettemenace, il précise que sa communen’est pas la seule à devoir ravitailler laville et que, détail important : « la par-tie supérieure de la commune de La-valla a de tout temps porté ses den-rées à Commune d’Armes » (SaintÉtienne). Il promet donc aux chefs ja-cobins de les ravitailler et avertit leconseil municipal : le maire Matriconapporte des meules de beurre, Rivatet Galley ont du très bon fromage…Les trois notables descendent aveclui ravitailler les chefs sans-culottequi, contre la promesse d’être pour-vus tous les quinze jours, intervien-nent au club pour faire tomber la

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pression contre Lavalla. La ville deSaint Chamond ne semble pas enavoir été mieux ravitaillée.

1.12. Une secondeconversion de Barge

Ce même dimanche 28 décem-bre 1793, se déroule à Lavalla unévénement grave : cinq gendarmesde Rive de Gier surprennent les fi-dèles réunis pour les vêpres à la cha-pelle de L’Étrat, un peu à l’extérieurdu village (ch. XXXI)24 « comme sil’exercice du culte eût été libre ». Ilsenvahissent le lieu à cheval et terro-risent les assistants puis continuentleur chemin. Barge, qui revient deSaint Chamond, trouve une popula-tion désespérée disant : « C’en estfait : adieu à notre religion. »

Cet événement occasionne chezlui un certain retour à la religion :

« L’apparente indifférence que j’avais montrée pourelle était l’effet des abus de la religion et non pas lareligion même. Enfin, j’avais un secret espoir duretour d’icelle et je ranimai tous ceux qui secondaientmes entreprises. »

C’est en effet l’époque où la Ré-volution finit de perdre aux yeux de lamasse des Français la légitimitéqu’elle avait eue dans ses premièresannées. Et c’est l’Église réfractairequi paraît le môle de la résistance aufanatisme révolutionnaire.

1.13. L’exécution du curé de Lavalla

En août 1794, le curé Gaumondest arrêté dans la région de Saint Ge-nest-Malifaux. Il sera exécuté le 2septembre. Barge semble se justifierde ne l’avoir pas secouru :

« Il fut pris par deux enragés de sans-culottes qui le conduisirent à Saint Genest-Malifaux. Il nous eût été très facile de le dégager en noustenant sur son passage le lendemain, en nombresuffisant et un peu déguisés et à la faveur des bois.Mais nous étions très surveillés, surtout par le même B…, 25 qui lui devait une cinquantained’écus pour fourniture de blé, etc, lequel était bien aise qu’il pérît pour être acquitté ».

Le projet d’une libération par laforce est fort plausible : souvent desprêtres escortés vers la prison ont étédélivrés par des bandes de villageois.Cependant, c’est la seule fois queBarge semble lever le voile sur unerésistance armée envisagée par lesgens de Lavalla. En outre, il nous ré-vèle une des sources de l’influence deGaumond sur la commune en mêmetemps qu’il met en pleine lumière lacause parfois ignoble des arrestationsde prêtres réfractaires : l’argent.

1.14. Les réfractaires à la conscription

Barge résume toute cette époqueen termes laconiques :

18 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

24 C’est dans cette chapelle que, plus tard, Champagnat ira en pèlerinages fréquents avec ses frères. 25 Passage peu clair. Il semble que le terme « B… » soit une abréviation de « bougre », qualificatif in-

jurieux. Barge semble vouloir dire que l’un des deux sans-culottes est de Lavalla.

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« C’était une confusion tyrannique. Les gens decampagne ne savaient que devenir et étaient sanscesse en alarmes, tant du côté du Comité (desurveillance) et de ses suppôts, que du côté destroupes qui venaient souvent pour obliger lesréquisitionnaires à partir sur les frontières. »

Sur ce dernier point, il cite la datedu 20 janvier 1795 où des dragons etdes troupes à pied de la Garde Na-tionale assaillent la commune, mal-traitant les gens et les pillant sanstrouver ni prêtre ni conscrit réfrac-taire. Ce genre d’opération se repro-duit de temps en temps en 1796-97.

A la fin de 1798, la méthode change :des hussards logent du 30 novembreau 9 décembre chez huit habitants,qui ont certainement un fils insoumisau service militaire. Comme l’opérationn’a pas eu de résultat, quinze joursplus tard c’est une nouvelle occupa-tion avec pillage et extorsion de fonds.Craignant une émeute populaire, lestroupes se retirent après six jours.

A la fin d’octobre 1799, c’est-à-dire peu de jours après le coup d’Etatde Bonaparte, le 18 brumaire, desmilitaires, des gendarmes et desgardes nationaux, en tout 150hommes, logent chez les parentsdes réquisitionnaires ou chez ceuxqui sont soupçonnés de les cacher.Barge constate : « Les gens se dé-nonçaient les uns les autres et pro-longeaient la garnison » mais il sem-ble que, dans l’ensemble, la solidaritévillageoise se soit maintenue.

Le 4 mai 1800 (14 Floréal an VIII) lejour de la « vogue » (fête patronale) à

six heures du soir des gendarmes etdes volontaires de Saint Chamondtentent de surprendre la jeunesse quidanse. Cette fois, ils tuent unhomme, et les insoumis poursuivisse défendent à coups de pierres.Craignant une révolte, la troupe ré-trograde rapidement à Saint Cha-mond. Il s’ensuit un long et coûteuxprocès entre la gendarmerie, qui neveut pas reconnaître son forfait, et lacommune.

Le 30 juillet 1800, treize gen-darmes montent encore à Lavallapour obliger les conscrits retarda-taires à partir. Ils sont logés chez lesparents des insoumis. Le drame vécupeu auparavant et les effets du chan-gement de régime politique semblentse faire sentir : la troupe, moins nom-breuse et mieux contrôlée, ne sem-ble pas trop encline au pillage. Cesvexations à répétition ont une causeque Barge souligne (ch. XLI) :

« La Valla était diffamée par la clique de Saint Chamond à cause de leurs opinionsreligieuses et de la résistance de la jeunesse qui ne partait qu’à force de violence et désertait ensuite, ce qui avait fait prendre au général Rey et au département la résolution de mettre notre pauvre commune à discrétion,l’accablant de troupes. »

Ainsi à la guerre traditionnelle en-tre Saint Chamond et Lavalla se su-perpose le problème militaire. L’ar-mée use de la vieille méthode utiliséesous Louis XIV contre les Protes-tants : imposer à la population l’oc-cupation militaire jusqu’à ce qu’ellese soumette.

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2.15.Paix religieuse et paix civile

L’effet du concordat de 1801 quirétablit le culte catholique dans toutela France a pour effet la réouverturede l’église le 15 novembre 1801 (ch.XLI). L’abbé Berne, certainement leJean-Claude Berne de Lavalla (ch. VII)qui est allé se faire ordonner à l’étran-ger en 1791, est logé à la cure26.

Après la longue époque d’anar-chie terroriste inaugurée par la ré-volte et le siège de Lyon en 1793 etachevée par la réouverture del’église, Lavalla peut souffler. Moinsviolent, le pouvoir est aussi plus effi-cace : les pilleurs de forêt sont arrê-tés (ch. XLVI et XLVII) et en avril 1803de nombreux conscrits réfractairessont cueillis à la fin d’une messed’enterrement.

La commune semble acceptersans trop de difficultés la poigne del’Empereur et la résistance à laconscription s’affaiblit.

Les chamailleries de la vie poli-tique villageoise reprennent le des-sus. Barge dénonce les intriguescontre lui d’un abbé Rivory qui veut lefaire exclure du conseil municipal (ch.XLIX). Mais il consacre bien peu dechapitres à la vie de Lavalla entre1803 et 1814 sans doute parce que le

régime napoléonien lui convient. An-cien soldat, il a dû apprécier la gloiremilitaire du régime ; esprit fort, il voitque le règne du clergé n’est pas plei-nement revenu. C’est l’époque où ilest adjoint au maire. Mais la fin del’Empire va causer bien des pro-blèmes.

2.16.L’invasion de 1814et le retour de la royauté

La première colonne alliée passeà Saint Chamond le 24 mars 1814 et,nous dit Barge : « A cette époque lesréquisitions de toutes espèces de vi-vres et de fourrages furent en per-manence » (ch. LIII). Le 29 mars,cent quatre dragons autrichiens pas-sent à Lavalla. Certains habitants, re-trouvant un vieux réflexe, cachentleurs biens, d’autres offrent à boire àla troupe.

A cette occasion, il est sévère en-vers le clergé et particulièrement en-vers Rebos27 qui sera de 1816 à 1824le curé de Marcellin Champagnat. Il letrouve trop familier avec les officiersautrichiens de passage en ajoutant :« Il est naturellement vain et avanta-geux. D’ailleurs il était persuadé quele clergé allait prendre un accroisse-ment d’autorité par la rentrée de ces(des) souverains légitimes28 »… Unpeu plus loin (ch. LIV) il ajoute :

20 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

26 Il est curieux qu’il s’installe comme curé de fait alors que Barge ne parle pas de lui entre 1791 et1801. On peut supposer qu’il a eu une action clandestine dans la proche région.

27Son nom s’orthographie de diverses manières : Rebaud, Rebot. 28Les Bourbons.

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« Étant avide de biens et d’honneurs,il ne manquait pas d’occasion des’en procurer. » Plus loin encore (ch.LVI), il dénonce les manœuvre deRebos qui « se prévalant sans cessede son autorité » veut contrôler lesfonctions du clerc (sacristain) et dessonneurs de cloche alors que la mu-nicipalité estime que ces fonctionsrelèvent d’elle. Barge lui reprocheencore de vouloir empêcher les gensde danser (ch. LVI).

Quoique bien revenu de ses sym-pathies révolutionnaires, Bargegarde envers le clergé sa vieille mé-fiance du temps du curé Gaumond.C’est un anticlérical chrétien quin’entend pas que le clergé se mêlede politique. Cette sensibilité seramassive dans une grande partie del’opinion tout au long de la Restaura-tion. Nous sommes là devant unedes grandes mutations de la Révolu-tion : le laïcat chrétien ne veut pas selaisser mener comme avant.

Deux jours après le premier pas-sage de troupes, les choses se pas-sent moins bien : sept fusiliers autri-chiens envoyés de Tarentaiseviennent exiger des vivres. Ne par-lant qu’allemand, ils se font com-prendre violemment : même le curéRebos, son vicaire, les sœurs, sontmalmenés. Barge doit accompagnerdes charrettes de ravitaillement à Ta-rentaise, au-delà du Bessat sur leplateau du Pilat, où, restauré par lecuré Montchovet qui loge le capitaine

autrichien, il se plaint des mauvaistraitements infligés par les troupes.Mais l’officier, qui parle un françaisparfait, lui répond qu’ayant été lui-même soldat, il a certainement com-mis quelques fredaines, ce queBarge ne dément pas. Surtout, l’offi-cier ajoute : « Jamais nos troupes neferont chez vous ce que les vôtresont fait chez nous. » Le 7 avril, cinqhussards autrichiens viennent encoreà Lavalla réquisitionner du foin.

Cette première occupation sesolde, somme toute, par des vexa-tions modérées. Barge n’évoquequ’à peine le retour de Napoléon en1815 qui va entraîner cette fois unelongue occupation de la France etprobablement de nouvelles réquisi-tions. Mais le récit s’interrompt brus-quement29 parce que Barge cessed’exercer des fonctions publiques.L’attitude du curé ne semble pasétrangère à ce retrait, mais Bargeest surtout victime de l’ambiance derevanche royaliste allant parfoisjusqu’à la terreur blanche qui domineaprès la seconde chute de Napo-léon. On peut supposer que c’estpeu après qu’il a commencé à rédi-ger ses mémoires.

2.17. Un documentprécieux

Somme toute, les mémoires deBarge sont un très bon documentsur la vie locale sous la Révolution. Sicelui-ci a tendance à se donner sou-

André Lanfrey, fms 21

29 Il n’est pas impossible qu’une partie des ses mémoires ait été perdue.

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fms Cahiers MARISTES

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire22

vent le beau rôle, il paraît être unhomme intelligent capable de dé-passer les perspectives locales pourformuler des jugements d’ordre gé-néral clairs et profonds. En définitive,il nous rappelle que les populationsrurales sont bien moins incultes quene le croient les notables urbains.

La qualité majeure de son récit,c’est le réalisme. A travers lui, nouspercevons une société complexe oùles intérêts, les luttes de clans, lesproblèmes de pouvoir sont constants.Par lui nous apprenons que la com-mune est socialement, économique-ment, et peut-être politiquement, di-visée en deux, le haut étant tournévers Saint Étienne et le bas vers SaintChamond.

D’autre part, si Lavalla est reli-gieusement fidèle, cet attachement àla religion est à nuancer et à combi-ner avec d’autres facteurs, notam-ment le refus de la conscription, lalutte contre le pouvoir urbain et lacentralisation administrative. Nousavons vu aussi que les problèmes deravitaillement jouent un rôle essentieldans la guerre entre Saint Chamondet Lavalla.

Une foule d’autres données méri-teraient d’être prises en compte.Pour ceux qui s’intéressent aux ori-gines des Frères Maristes, le nomdu clan Chirat apparaît fréquemmentparmi les défenseurs de la religion.La nomination de Marcellin Champa-gnat dans une telle paroisse n’estpas non plus sans signification : pourmaîtriser un territoire aussi accidenté

et vaste, et gouverner une populationsévèrement éprouvée, il y faut un vi-caire vigoureux et connaissant bienle monde rural des montagnes du Pi-lat. Dans une certaine mesure, c’estun poste de confiance.

Enfin, par son récit détaillé, Bargenous donne un aperçu de ce qu’apu être la vie rurale dans bien descampagnes et particulièrement àMarlhes sous la Révolution. Durantson enfance Marcellin Champagnat adû ressentir fortement les dangersencourus par son père et les pro-blèmes d’un partisan de la Révolutionqui se retrouve contraint de gérer aujour le jour une situation anarchiquedont il tirera beaucoup d’ennuis sansaucun bénéfice.

Au fond, quatre périodes peuventêtre discernées dans l’histoire de La-valla :

– 1789-1793 : Moment où s’éta-blit la révolution et où Lavallachoisit son camp sous l’in-fluence du curé Gaumond,Barge, chaud partisan de laRévolution, faisant alors figured’extrémiste peu suivi.

– 1793 est un temps d’hésitation,le siège de Lyon semblantavoir entraîné un certain nom-bre d’habitants dans le camprévolutionnaire tandis qued’autres adhèrent à une résis-tance politico-religieuse plusprofonde. L’entrée en clan-destinité du curé Gaumondparaît avoir contraint les auto-rités communales à prendre

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des initiatives. Finalement lacommune maintient une résis-tance sourde. La contre-révo-lution royaliste ne paraît pas yavoir trouvé de base solide.

– De 1794 à 1800, la paroissedoit soutenir une véritableguerre contre Saint Chamondet le gouvernement terroriste.Barge nous renseigne fort malsur le culte catholique à cetteépoque, probablement parceque suspect de complaisanceenvers la Révolution, il ne par-ticipe qu’à la marge à l’organi-sation du culte clandestin.D’ailleurs, peu à peu la ques-tion religieuse s’estompe alorsque le problème des conscritsréfractaires et du ravitaillementdemeure crucial. C’est en toutcas l’époque où les autoritéscommunales font leur appren-tissage politique et apparais-sent davantage comme lesprotectrices de la religion quecomme ses serviteurs.

– De 1801 à 1815, la période estcalme, mise à part l’invasionbrève de 1814. On peut néan-moins supposer qu’à la fin del’Empire les conscrits déser-teurs ou insoumis ont éténombreux dans les forêts deLavalla. Le silence de Barge àce sujet pose question. Demême, nous ignorons tout desréquisitions de la seconde in-vasion de 1815 et de la longueoccupation du territoire par lesalliés. En tout cas, Barge dé-nonce clairement un clergé lo-cal qui veut fermer la paren-

thèse révolutionnaire en ten-tant de rétablir un pouvoir po-litico-religieux.

3. ÉGLISE RÉFRACTAIREET RÉTABLISSEMENTDU CULTE À ST CHAMOND ET LAVALLA (1789-1812)

Grâce au mémoire de J.L. Bargeet à diverses sources annexes, nousavons pu suivre à grands traits l’his-toire religieuse de Lavalla de 1789 à1794. Mais il dit peu de choses en-suite sur l’époque cruciale 1794-1801,temps de persécution et de vie clan-destine, et n’est guère plus disert surle rétablissement du culte en 1801-1816.

L’acte de baptême de J. L. Bargenous donne le nom du vicaire de La-valla : Proton. Son acte de mariageen 1787 est signé par le vicaire Cha-puis. Par ses mémoires, nous sa-vons : que le curé Gaumont et son vi-caire Robin ont d’emblée refusé leserment d’allégeance à l’Égliseconstitutionnelle ; que Jean-MarieBerne, séminariste de Lavalla, partse faire ordonner à l’étranger parMgr de Marbeuf, l’archevêque légi-time, en 1791. Apparemment aucunprêtre constitutionnel n’a pu s’instal-ler dans la paroisse et jusqu’en sep-tembre 1793 le curé et son vicaire,« le père Gaspard », demeurent à lacure et exercent publiquement leculte tandis que Charvet « ci-devantminime d’Annonay » fréquente la pa-roisse. Barge va encore citer l’abbé

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Rivory et le curé Rebod. Ce sontdonc sept prêtres qui sont évoquésentre 1789 et 1815. Mais Barge nesemble avoir aucune idée du fonc-tionnement global de l’Église réfrac-taire durant cette période. Pour ensavoir plus sur cette période, il fautfaire appel à une autre source.

3.1. Les missions de Linsolas

Le diocèse de Lyon, sous la di-rection du vicaire général Linsolas30

a inventé un fonctionnement ecclé-siastique très original et très efficaceauquel, sans aucun doute, Lavalla aparticipé31.

Linsolas nous a laissé des mé-moires relatant l’histoire de la résis-tance catholique dans le diocèse deLyon32. Jusqu’en 1792, le problèmemajeur est le schisme constitutionnel :à la fin de cette année, seulement unetrentaine de paroisses (dont Lavalla)sur les 850 du diocèse échappent àpeu près entièrement au schisme, cequi signifie qu’ailleurs, privés de leurspasteurs traditionnels, les catholiquesfidèles sont contraints à une vie reli-gieuse plus ou moins clandestine. Lespersécutions de l’année 1793 aggra-vent la situation religieuse mais la ren-dent aussi plus claire : il faut résolu-ment entrer en résistance organisée.

Au printemps de 1794, le systèmeparoissial est abandonné et le diocèseest divisé en missions, c’est-à-dire, audébut, en territoires de 40 à 60 pa-roisses dirigés par un prêtre chef demission flanqué d’un adjoint et dirigeantun nombre de 6 à 8 missionnaireschargés chacun de 6 à 8 paroisses.

Ils sont épaulés par des laïcs : lescatéchistes précurseurs précèdent lemissionnaire dans les paroisses nonencore abordées pour en sonderl’esprit puis lui trouver des lieuxd’asile afin de permettre des visitesrégulières et la nomination d’unestructure ecclésiale permanente.Chaque paroisse a un « chef laïque »qui préside l’assemblée des fidèlesen l’absence de prêtres, leur com-munique les instructions du diocèse33

et correspond directement avec lemissionnaire. Il est secondé par un« catéchiste stable » qui visite les ma-lades et les pauvres, encourage leschrétiens persécutés, veille à ce queles enfants soient catéchisés, instruitles fidèles du passage du mission-naire, renseigne le « chef laïque » surl’état de la paroisse. Les catéchistesambulants accompagnent le mis-sionnaire dans les paroisses voisinespour assurer sa sécurité.

Au début de 1795, il n’y a encoreque 12 missions. Vers 1800 elles sont

24 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

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30 Relié par correspondance secrète avec Mgr. de Marbeuf réfugié en Allemagne.31 L’ouvrage-clé sur la question est : Charles Ledré, Le culte caché sous la Révolution. Les missions

de l’abbé Linsolas, Bonne Presse, Paris, 1947, 430 p. 32 L’Église clandestine de Lyon pendant la Révolution, t. 1 (1789-1794), t. 2 (1794-1799), Editions lyon-

naises d’art et d’histoire, collection du bicentenaire de la Révolution française à Lyon, Lyon, 1987. 33 Linsolas, t. 2 p. 21-28

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au nombre de 25 car beaucoup deprêtres constitutionnels se sont ré-tractés et bien des exilés sont ren-trés et peuvent être employéscomme missionnaires. Vers 1800, lesmissions de Linsolas groupent 677prêtres, dont 186 desservent Lyon etses alentours. Dans la Loire, il y auraneuf missions dont celles de SaintÉtienne (31 missionnaires), de SaintChamond (14), et Rive-de-Gier (16)34.

3.2 La Mission de Saint Chamond

Nous avons peu de renseigne-ments sur la mission de Saint Cha-mond35. Son chef, M. Gabriel, estainsi décrit en 1802, au moment où

le système des missions est en voied’abandon :

« Ex curé de Saint Symphorien d’Ozon exerçant àSaint Chamond, âgé d’environ 60 ans, chef de lamission de Saint Chamond, a beaucoup travaillépendant la révolution ; talents, zèle et piété36. »

Un certain Josserand, âgé de 55ans, de sensibilité janséniste, exerceà Saint Chamond ainsi que MichelNovet, âgé de 36 ans, que M. Cour-bon trouve médiocre.

En 180437 le diocèse lance uneenquête auprès des desservants quidoivent décliner leur curriculum vi-tae. Le canton (archiprêtré) de SaintChamond est ainsi constitué :

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34 C. Ledré, op. cit. p. 96. 35 Archives de l’archevêché de Lyon, carton 1 II 9. 36 Ibid. Tableau général des prêtres du diocèse de Lyon du 1° vendémiaire 1802 rédigé par le vicaire

général Courbon. 37 Archevêché de Lyon, carton 2 II 92.

Lieu Desservant Date de nomination

Curriculumavant la RF

Pendantla RF

Saint Chamond, paroisse SaintPierre

Dervieux Julien, né le29/1/1754

Aucune pension del’État

Le 20/2/1803.Entré en fonction le 28/9/1803

Curé de SaintEnnemond(Saint Chamond) depuis 1781

Exilé ; missionnaire à Lyon puisSaint Chamond

Saint Chamond, paroisse Notre Dame

Gabriel Marie-Gabrielné le 7/11/1735

Aucune pension del’État

Le 20/2/1803.Entré en fonction le dimanchesuivant

Pendant 25 ans , curéde Saint Symphoriend’Ozon

Chef des missionnairesà Saint Chamond

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Saint Julien,faubourg de Saint Chamond

Brun Blaise,né le 14 ou 15/11/1756

Le 20/2/1803.Entré en fonction le dimanchesuivant

Curé de Pusignan

Missionnaire à Saint Chamondpendant 7 ans.

Lavalla (Saint Andéol)

Abrial Pierre,né le 25 juin 1750.

Aucune pension del’État

Le 8/ 2/1803.Installé le dimanchesuivant

Vicaire à Tarentaise.

Missionnaire à Lavalla pendant un an.

Saint Just en Doizieux

Limosin Jean,né le 8/12/1763

Le 20/2/1803.Installé le 11 mars

Missionnaire à Jonzieu

Saint Martin à Coalieu

Granjon Marcellin, né le 25/7/1745

Pension de 133 F. par semestre

Le 5/9/1803.Installé de suite

Curé de Périgneux

Farnay (Saint Eucher)

Nolhac Jean,né le 1/12/1741

A une pensionde l’État

Le 20/2/1803.Installé le 14mars.

A N.D. du Puy 6 ans à Saint Julien-en-Jarez.

Izieux (Saint André)

Farge Pierre-François,né le26/6/1763.

Aucune pension del’Etat

Le 20/2/1803.Installé le dimanchesuivant

Missionnaire à Pouilly-les-Feurs

Ce tableau nous informe que leculte est régulièrement rétabli en fé-vrier 1803 et donc que le systèmemissionnaire prend fin même si lapension prévue par le concordat de

1801 n’est pas encore versée à laplupart des desservants qui viventdonc d’aumônes et de leurs propresressources. Néanmoins la continuitéavec la Révolution est évidente car

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38 Archevêché de Lyon, registre 2 II 83*. 39 Le P. Champagnat fera durement l’expérience de cela. 40 Prêtre constitutionnel. 41 Une des charges du maire est de faire partir les jeunes gens au service militaire, ce qui n’est pas

facile !

presque tous les desservants sontnommés dans le lieu de leur activitémissionnaire ou à proximité. En re-vanche la rupture avec l’ancien-ré-gime est consommée : la plupart desprêtres ayant exercé avant la Révo-lution ne retrouvent pas leur an-cienne paroisse. Tous nés entre 1735et 1763, leur âge se répartit entre 69et 41 ans. Leur moyenne d’âge étantde 53 ans, c’est un clergé âgé, sur-tout pour l’époque. C’est pourquoiles autorités diocésaines sont sipréoccupées de constituer un nou-veau corps sacerdotal dont Cham-pagnat, recruté cette même année1804, va faire partie.

Sur la qualité de ce personnel, leTableau du clergé de 180238 donnedes détails intéressants : M. JulienDervieu, futur adversaire puis ami duP. Champagnat, est considérécomme un « bon sujet sous tous lespoints, faible santé influençant soncaractère39, politique ». Pierre Fargeest un « fort bon sujet sous tous lesrapports, bonne santé ». En re-vanche sur M. M. Nolhac desservantde Farnay : « intrus40 à Saint Julien enJarret […] persécut(eur) emporté,fréquente les cabarets ». MarcelinGranjon est lui aussi « jur(eur)schism(atique). Quant à Jean Limo-sin il est simplement signalé comme« du diocèse du Puy ».

3.3. Le rétablissementdu culte a Lavalla

Quant à la desserte clandestinede Lavalla à partir de 1793, nous pou-vons penser que Gaumont a conti-nué à l’assurer jusqu’à son arresta-tion en 1794 et qu’Abrial, ancienvicaire de Tarentaise , paroisse joux-tant Lavalla, a pris sa succession.D’ailleurs Barge évoque (ch. XLVIII),la présence d’Abrial, malheureuse-ment sans date précise, mais avant1800, en évoquant une affaire villa-geoise : le maire Tissot étant décédé,Jean Joseph Tardy41 accepte leposte après quelques hésitationssous l’influence du vicaire Rivory « quiavait abdiqué la prêtrise dans letemps du terrorisme, l’avait réobte-nue par le crédit de M. Abrial, pourlors desservant de la paroisse de La-valla, auprès de M. Courbon, grandvicaire de la cathédrale de Lyon. Il(Rivory) témoigna tant de reconnais-sance de ce bienfait, fit tant de cajo-leries à son protecteur, qu’il (Abrial)le fit demander pour son vicaire. »

Cependant Barge nous dit (ch.XLV) que l’église de Lavalla est rou-verte le 15 novembre 1801 à l’occa-sion de la paix. Il ne signale pas laprésence d’Abrial comme célébrantmais celle de l’abbé Berne, qui « futlogé à la cure ». Le fait est confirmé

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42 Archevêché de Lyon carton 2 II 83. 43 Archevêché de Lyon, carton 2 II 92.

fms Cahiers MARISTES

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire28

par le Tableau général des prêtres deLyon42 qui décrit ainsi Berne : « Natifde Lavala, ordonné au commence-ment de la révolution, âgé d’environ37 ans, desservant Lavala, talentssuffisants, zèle et piété ». Dans l’am-biance post-révolutionnaire, et avantque les autorités ecclésiastiquesn’aient procédé à une remise en or-dre, l’enfant du pays aurait-il sup-planté un temps le missionnaire ? Entout cas, le même Tableau généralde 1802 est assez élogieux pourAbrial et le reconnaît aussi commedesservant de Lavalla :

« Ex-vicaire de Tarentaise, âgé de 45 ans environ,talents suffisants, assez de zèle et de piété,desservant Lavala, ayant travaillé pendant toute larévolution. »

Pour comprendre cette apparenteanomalie, il faut sans doute envisagerque Berne et Abrial se sont partagé laparoisse, peut-être dès 1794, ce der-nier ayant pris en charge la partiehaute (Le Bessat, les Palais…) tour-née vers Tarentaise, et Berne assu-rant la pastorale du bas tourné versSaint Chamond. Naturellement, lesautorités ecclésiastiques ne peuventguère laisser Berne dans sa paroissed’origine et Abrial, d’ailleurs nette-ment plus âgé, reçoit le poste dedesservant que son action aposto-lique lui a mérité. Répondant à uneenquête diocésaine le 1° août 180443,Jean-Marie Berne, né le 5 novembre1758, déclare avoir été nommé à la

succursale de Planfoy dans le cantonde Saint Genest Malifaux le 7 février1803 (18 pluviose an 11) et précise :« Je desservais la paroisse de La-valla canton de Saint Chamond. »

Sur Rivory, dont Barge dit beau-coup de mal, le Tableau général desprêtres confirme partiellement sesassertions : « Natif de Saint Martinacoallieux, âgé de 50 ans, ex-vicairede Doizieu, réintégré, talents ordi-naires, assez bon jugement, bonneconduite ». Le terme « réintégré » si-gnifie donc que Rivory a prêté le ser-ment constitutionnel et a fait une ré-tractation suivie d’un temps deprobation avant 1802. Comme Cour-bon ne signale pas qu’il est abdica-taire, Rivory n’a certainement pas re-noncé un temps à la prêtrise commel’affirme Barge. Il a probablement étévicaire de l’église constitutionnelle àDoizieu, paroisse toute proche, avantde régulariser sa situation et de tra-vailler comme auxiliaire d’Abrial. Entout cas, en 1802 Courbon ne lui at-tribue encore aucun poste officiel. Il adû être nommé vicaire d’Abrial aucours de l’année 1803.

Barge ajoute qu’aussitôt installé,le vicaire cherche à supplanter soncuré et appuie le maire Tardy qui« n’aimait pas M. Abrial pour raisontrop longue à déduire. » Par ses ma-nœuvres, Rivory aurait obtenu le se-crétariat de la mairie et l’éloignementde Barge.

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44 Archevêché de Lyon, registre des nominations I 19. 45 Ibidem. 46 Les registres ne mentionnent pas les noms des vicaires. Sur le vicariat éventuel de M. Rebod, voir

l’article suivant. 47 Pas de prénom signalé. 48 Contrairement à beaucoup, Linsolas est très intransigeant envers les anciens prêtres constitu-

tionnels qui doivent faire un acte explicite de repentance. 49 Archevêché de Lyon, registre I 19.

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Le 29 mars 1806, M. Pierre Abrial,qui ne touche encore aucun traite-ment du gouvernement, est nomméà La Chapelle, dans les Monts du Pi-lat, canton de Pélussin, paroisse oùle gouvernement accorde un traite-ment au desservant. Le même jourM. Benoît Rivory, son vicaire, né le 19janvier 1747, qui reçoit du gouverne-ment une pension de 266 F., estnommé desservant de la paroisse deRochetaillée, dans le canton de SaintÉtienne44.

Le 17 avril 1806, M. Bussot (Jo-seph-Marie) jusque là vicaire à SaintÉtienne, né le 3 juillet 1764, qui reçoitdu gouvernement une pension de266 F, succède à Abrial à la paroissede Lavalla, poste toujours « non payépar le gouvernement45 ». Il a certai-nement un vicaire dont nous neconnaissons pas le nom, mais ils’agit probablement de M. Rebod46.Barge ne dit rien sur lui mais en 1802le Tableau du clergé de Courbondresse le portrait suivant : « Bussot47,ex lazariste, âgé d’environ 38 ans,jur (eur), sch (ismatique), intrus, ré-tracté en 97, réconcilié en 1801, des-servant Sury, se comportant bien,craignant le saint ministère ». C’estdonc un ancien religieux, devenuprêtre constitutionnel desservantSury ayant rétracté son serment en

1797 mais semblant avoir longtempshésité à reconnaître sa culpabilitécomme l’exige Linsolas48. Enfin ab-sous, il a effectué un temps de pro-bation comme vicaire à Saint Étienne,probablement à partir de 1803 avantde se retrouver desservant de La-valla en 1806. La situation n’a pas dûêtre facile pour lui dans une paroisseconstamment hostile à l’Égliseconstitutionnelle et au territoire peuadapté à quelqu’un qui « craint le mi-nistère ». Comme personne ne parlede lui, il semble avoir été un person-nage effacé. Quand il démissionnele 31 janvier 1812, il n’a que 48 ans, etM. Rebod, âgé de 34 ans, devientdesservant le 5 février 181249.

CONCLUSION

Cette étude rapide suggère quedans les années 1798-99 le culteclandestin fonctionne à peu près par-tout dans le canton de Saint Cha-mond mais de manière assez infor-melle malgré les efforts de Linsolaspour coordonner l’action. La granderemise en ordre se déroule en 1803,M. Courbon, vicaire général, entéri-nant souvent les situations anté-rieures. Le départ d’Abrial et de Ri-vory en 1806 marque à Lavalla la finde l’époque des missions.

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50 Les archives de l’archevêché l’appellent « Rebod ». La Vie semble ne pas donner son nom. Le F.Avit le nomme « Rebot ».

51 Registre I 19. Renseignement repris dans OM4 p. 42852 Un des descendants de la famille Rebod le situe comme le fils de Jean Rebod, né en 1746 , habitant

de Marlhes et de Marie Louison, rubanière, native de St Just-Malmont. Il serait le second de leurs huit enfants,né à Marlhes le 5 février 1776. Lors de son recensement de la commune de Marlhes en 1790, le curé Allirotrencontre cette famille Rebaud au hameau de Joubert. Le père est classé parmi les propriétaires, ce qui sug-gère une certaine ascension sociale puisque lors de son mariage en 1774 il était déclaré journalier. Mais Jean-Baptiste, qui aurait 14 ans, ne réside pas avec la famille et pourrait être placé comme domestique. Cette hy-pothèse nous semble insuffisamment fondée et ce J.B. Rebeau serait un homonyme de notre curé.

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire30

Évidemment, bien des questionsdemeurent en suspens. Ainsi, nousavons vu que le système des mis-sions reposait largement sur les laïcs.Mais qui a été le « chef laïque » deLavalla ? Et le catéchiste stable ? Ilsemble qu’il faille regarder du côtédes notables de la paroisse particu-lièrement actifs dans l’opposition aujacobinisme, comme les Tardy deshameaux du Coing et de Soulages,les Rivat de Luzernod, du Pinay et deMaisonnettes, les Tissot… considéré,après le siège de Lyon, comme desaristocrates.

En tout cas, de 1794 à 1803 envi-ron, a fonctionné dans le diocèse deLyon une Église révolutionnaire à samanière, ne reposant pas sur des pa-roisses gouvernées par des curésmais sur la collaboration d’un clergémissionnaire itinérant et des laïcs mi-litants assurant l’administration localedu culte. L’Église hiérarchique n’esten rien mise en cause sur le planthéorique mais il devient difficile prati-quement d’envisager un retour pur etsimple à l’ancien ordre des chosescar les laïcs, qui ont fait vivre l’Égliseen temps de persécution, n’ont pastout à fait le même regard sur sonfonctionnement qu’avant la Révolu-tion qui les a en outre contraints à

faire leur éducation politique. Plus net-tement qu’avant, ils distingueront lescompétences religieuses et profanes,et le curé Gaumont, qui semble avoirété l’homme influent de la paroissejusqu’en 1793, peut passer pour ledernier curé d’Ancien-Régime.

En envisageant des frères caté-chistes à Lavalla, Champagnat se si-tue dans la continuité de ce qui a étévécu dans le diocèse sous la Révolu-tion. Lui-même semble s’être pensécomme le missionnaire d’un territoirequ’il ne peut ni ne doit évangélisersans le soutien actif de laïcs militants.La question d’une filiation entre lapastorale de Linsolas et celle deChampagnat mérite d’être posée,d’autant que, durant son enfance, il acertainement fréquenté des mission-naires itinérants et vu des laïcs assu-rer le fonctionnement local de l’Église.

4.M. REBOD CURÉ DE LAVALLA (1812-1825)

Jean-Baptiste Rebod (ou Rebot,Rebau…)50 est nommé desservantde Lavalla le 5 février 1812. Les ar-chives diocésaines51 le déclarent néà Saint Just-Malmont, en Haute-Loire le 10 décembre 177852.

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53 Le diocèse du Puy ne sera rétabli qu’en 1823. 54 Des cours réguliers de théologie recommencent à Lyon à la Toussaint 1801 et le grand séminaire

en janvier 1803 compte déjà de 60 à 80 théologiens dans un séminaire provisoire (Vie de M. Duplay, t. 1p. 170) et en 1805, l’ancien séminaire St Irénée rouvre ses portes.

55 Ce transfert donnerait une certaine crédibilité à la thèse d’un Rebod natif de Marlhes et réclamépar le diocèse de Lyon, comme il est arrivé ensuite à M. Courveille.

56 OM2, doc. 754, § 2. 57 Nous n’en connaissons qu’une photocopie provenant sans doute des archives de la commune de

Lavalla. 58 Mais la généalogie élaborée par un descendant établit qu’elle est décédée en 1812. C’est un ar-

gument très fort contre l’hypothèse d’un Rebod né à Marlhes en 1776.

31André Lanfrey, fms

Rebod est donc originaire de lamême région que Champagnat, lesvillages de Marlhes et Saint Justétant à quelques km l’un de l’autre ettous les deux du diocèse du Puyavant la Révolution. Mais la créationdes départements à la Révolutionétablit Saint Just-Malmont en Haute-Loire et Marlhes dans la Loire. Auconcordat de 1801, Marlhes est rat-tachée au diocèse de Lyon tandisque Saint Just-Malmont fait partie dudiocèse de Saint Flour-Le Puy53.

Rebod n’a pas fait ses études ec-clésiastiques dans le diocèse deLyon et n’a guère pu devenir prêtreavant l’âge de 25 ans puisque durantla Révolution les séminaires sont in-terrompus et ne recommencent àfonctionner que vers 180054. Il fau-drait donc situer la date de son ordi-nation sacerdotale vers 1803-1806. Ilaurait alors eu entre 25 et 28 ans,âge assez courant chez les sémina-ristes après la Révolution. Il ne figurepas dans les registres de l’archevê-ché de Lyon avant 1812. Il aurait doncété formé puis ordonné dans le dio-cèse de Saint Flour-Le Puy puis in-cardiné dans le diocèse de Lyon55.

Un passage du mémoire Bourdinsemble donner une précision impor-tante sur le début de sa présence àLavalla car en 1817, lors de sa que-relle avec Champagnat pour l’achatd’une maison, le document rap-porte : « Il ne veut pas (acheter lamaison) crainte de ne pas rester, car10 ans là curé. » En fait, il n’y a quecinq ans que Rebod est curé et oncomprendrait mal qu’il refuse cetachat en prétextant un départ éven-tuel cinq ans plus tard. Il faut sansdoute interpréter cette parolecomme affirmant sa présence dansla paroisse depuis une dizaine d’an-nées, d’abord comme vicaire puiscomme curé, ce qui nous renverraitaux années 1806-180756.

Le fait qu’il accède à 34 ans à unecure assez importante montre qu’ilest considéré comme un hommed’une certaine valeur et qui n’est pasmal vu de la population. Le Tableaude la population de la commune deLavalla57 signale qu’en 1815 il loge aubourg avec sa mère58, sa sœur et undomestique. Son vicaire se nommeArtaud.

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59 Les veillées durant l’hiver, qui permettent notamment les contacts entre jeunes gens et jeunes filleset donnent souvent lieu à des danses.

60 Le mot « jurement » est pris ici au sens de mot grossier. 61 En fait, des colporteurs vendent des livres de toutes provenances dans une population qui maîtrise

la lecture plus que ne le croient les élites.62 Voir Vie du P. Champagnat, ch. 5, p. 55, qui relate la lutte de celui-ci contre les mauvais livres et

l’instauration par lui d’une bibliothèque de bons livres.

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire32

4.1. Barge sévère envers Rebod

Nous avons déjà indiqué queBarge, dans ses mémoires, trouvele curé vaniteux, autoritaire, « avidede biens et d’honneurs ». Au ch. LVIde ses mémoires, il déplore que « seprévalant sans cesse de son auto-rité », il veuille contrôler les fonctionsdu clerc (sacristain) et des sonneursde cloche. Barge lui reproche encorede vouloir empêcher les gens dedanser (ch. LVI).

Que faut-il retenir d’un tel juge-ment qui peut apparaître comme trèspartisan et somme toute banal à uneépoque où le clergé veut reconstituerle cadre paroissial et reprendre lecontrôle de la fabrique, celle-ci étantplus ou moins confondue avec leconseil municipal ?

4.2. De Barge au F. Jean-Baptiste

Dans les chapitres 4 et 5 de la Viede Champagnat, le F. Jean-BaptisteFuret nous présente en 1856 un étatassez conventionnel de la paroissede Lavalla au moment où Champa-gnat y arrive en 1816. Ainsi (p. 37) :« Les habitants de Lavalla étaientbons et pleins de foi mais très sim-

ples et très ignorants ». Un certainnombre de personnes ne se confes-sent plus et d’autres le font seule-ment à Pâques (ch. 5, p. 48). Lesprincipaux vices et abus de la com-mune contre lesquels Champagnatva lutter sont l’ivrognerie, les danses,les réunions nocturnes59, les jure-ments60, le blasphème et la lecturedes mauvais livres.

C’est un jugement que l’on pour-rait porter sur presque toutes les pa-roisses de France et même d’Eu-rope. On se demande par ailleurscomment les mauvais livres peuventêtre un fléau dans une population dé-clarée un peu plus tôt ignorante61.Mais il est vrai que les colporteursvont de ferme en ferme pour vendredu fil, des aiguilles, de menus objetspeu coûteux et aussi des livres jugésà priori dangereux car non contrôléspar les autorités ecclésiastiques62.En réalité Lavalla est une bonne pa-roisse où le culte catholique n’a ja-mais été interrompu. Les gens sont-ils ignorants ? Ils sont sans doutepeu alphabétisés mais ni plus nimoins qu’ailleurs et certainement pasincultes. La Révolution les a habituésà se débrouiller par eux-mêmes, ycompris en matière religieuse.Comme, depuis la mort du curé Gau-mont en 1794, ils ont vu défiler bien

31 fms Cahiers MARISTES

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63 Ch. 4 p. 37. 64 Dans sa critique de la Vie de Champagnat le curé Bedoin, successeur de Rebod, critiquera ce ju-

gement. Voir « Documents Maristes » n° 1, Rome, 1982, qui donne une copie de ces critiques.

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des desservants et des vicaires, leurattitude envers le clergé a évolué.

Sur Rebod, le F. Jean-Baptiste re-joint partiellement Barge : le curé« quoique bon prêtre […] n’était pasaimé » à cause d’un défaut de languerendant ses sermons pénibles63. Laraison donnée paraît bien superfi-cielle64. On peut s’interroger sur lanature de ce défaut qui pourrait êtremoins une élocution difficile qu’unetendance à dire en public des chosesdésagréables ou humiliantes. Lechapitre 11 de la Vie rapporte d’ail-leurs deux traits visant Champagnatet étayant cette hypothèse :

« Un dimanche, pendant que le Père faisait unecourte instruction aux fidèles à la suite des complies,M. le curé entre brusquement dans l’église par lagrande porte, et de là entonne “O crux, ave...”, parlequel on terminait cet exercice. Les assistants,surpris et scandalisés, se tournent de son côté, leregardent et l’écoutent chanter, d’un air d’indignationqui dut lui faire comprendre combien ilsdésapprouvaient sa conduite. Le Père Champagnat,sans laisser paraître aucune émotion et sanstémoigner la moindre peine, continua son instructionquand M. le curé eut achevé de chanter. »

« Une autre fois qu’il faisait le catéchisme à l’occasionde la confirmation, comme il disait que le ministre dece sacrement est l’évêque, M. le curé, qui entrait ence moment dans l’église, se tourne du côté desfidèles et leur crie: “Les prêtres aussi, mes frères,peuvent, avec permission, administrer cesacrement”. Dans une foule d’occasions, le bon curé

se permit de semblables procédés, et le PèreChampagnat n’y répondit jamais que par unepatience inaltérable. »

Il mentionne un autre défaut ducuré que Barge ne signale pas : sonpenchant pour la boisson qui auraitété une cause de scandale pour laparoisse. M. Étienne Bedoin, curé deLavalla de 1824 à 1864, a protestécontre ce passage mais sans le dé-mentir: « Il valait bien la peine de di-vulguer un fait dont la connaissancene s’étend guère au-delà du petitcercle de Lavalla ». La fâcheuse ré-putation du curé sur ce point peutd’ailleurs lui venir du soutien qu’il aapporté à l’instituteur ivrogne.

Mais faut-il accorder tant d’im-portance à un défaut que la popula-tion, portée elle-même à la boissonau moins les jours de fête, regardeavec une certaine indulgence ? Il sepeut d’ailleurs que le départ de l’ins-tituteur en 1819 et la sobriété deChampagnat aient évité au curé d’al-ler trop loin. D’ailleurs, en 1825, M.Rebod devient aumônier des Ursu-lines de Saint. Chamond : un postequi suppose un homme de bonnesmœurs et aussi capable de prêcher.En fait, le cœur du problème paraît lesuivant : M. Rebod est un curé jalouxde son autorité et qui veut régentersa paroisse comme dans l’ancientemps. C’est d’ailleurs ce dont l’ac-cuse Barge.

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65 OM2, doc. 754.

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire34

4.3. Les démêlés de Rebod avecChampagnat

Avec son vicaire, il a la même at-titude autoritaire mais le point capitalde leur divergence est sans douteplus fondamental : Rebod envisagesa paroisse comme un territoire àadministrer tandis que Champagnatconçoit la tâche des prêtres commemissionnaire : davantage respec-tueuse des autorités civiles ; portée àchercher l’adhésion des cœurs et laparticipation des laïcs. C’est d’ailleurspour cela qu’il fonde des frères.

Toutes ces causes provoquentdonc un conflit à rebondissementsdont le chapitre 11 de la Vie deChampagnat (p. 119-120) donne unevue d’ensemble.

« M. le curé de Lavalla, qui avait été un despremiers à critiquer le bon Père, à désapprouverson oeuvre, et qui tenait M. Bochard au courant detout ce qui se faisait chez les Frères, redoubla sesinvectives contre lui […] M. le curé le dénigraitmême auprès de ses Frères et il s’efforçait de les détacher de la congrégation. Il offrit à un desmeilleurs de le prendre pour son domestique ;il proposa à plusieurs autres de les placerconvenablement dans le monde ou de les faireentrer dans d’autres communautés. En 1823, FrèreLouis étant envoyé à Bourg-Argental, il fit toutauprès de lui pour le retenir et pour l’empêcherd’obéir. “Je suis votre curé, vous êtes natif de maparoisse, lui dit-il, je ne veux pas que vous laquittiez. Laissez dire votre Père Champagnat car ilne sait ce qu’il fait. »

Le mémoire Bourdin65, écrit vers1830 et fondé largement sur le té-moignage de Champagnat, donneen style très télégraphique le détaildes péripéties de la lutte entre curéet vicaire dont nous pouvons re-constituer les étapes. Dès 1817,Champagnat tente de persuader lecuré d’acheter la maison Bonnerpour en faire une école et le fonde-ment de son œuvre. Comme le curérefuse, Champagnat l’achète mais lecuré suscite une zizanie entre le pèreet le fils Bonner et oblige Champa-gnat à passer un nouveau contratplus onéreux en 1818. Finalement, lecuré donne de l’argent pour cetteacquisition.

Les frères ayant commencé à re-cevoir des enfants avec l’autorisa-tion du curé, l’œuvre fait concur-rence au maître d’école ivrogne, quele curé soutient mais qui devra partiren 1819. Probablement à la fin de1818, un parti, sans doute soutenupar le curé, accuse Champagnat au-près du vicaire général Bochard detenir des réunions illicites de jeunesgens (il s’agit sans doute des frères)et d’avoir détourné une quête. MaisChampagnat semble s’être justifiéassez facilement, et en déména-geant chez les frères à la fin de 1819,il affirme son autonomie et celle deson œuvre envers le curé, certaine-ment avec l’accord tacite de M. Bo-chard. Pour atténuer l’effet de l’évé-nement et ménager l’amour proprede Rebod, il déménage de nuit. Une

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66 Vie, ch. 4, p. 39-40. 67 Vie, ch. 5, p. 52-55. 68 Les 23-24 avril. 69 OM1, doc. 7570 Un homme qui se prétend poète (faisant des rimes) mais sans talent. 71 Donc ne tient pas de collège comme l’accuse le principal de St Chamond.

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petite guerre entre le curé et son vi-caire commencée en 1817 se terminedonc à la fin de 1819 par la défaite ducuré. On peut se demander si, dansla paroisse, l’autorité morale n’estpas passée dès cette époque ducuré au vicaire.

Rebod a-t-il joué un rôle dans unenouvelle attaque bien plus grave pro-bablement en 1820, venant du prin-cipal du collège de Saint Chamond et de M. Dervieux, curé de SaintPierre de Saint Chamond et prési-dent du comité cantonal de l’Instruc-tion Publique ? On peut supposerque sa réserve et sa mauvaise hu-meur sont demeurées vivaces maisdésormais le problème se situe à unniveau supérieur.

4.4. Une certaineconnivence entre les deux hommes

Cependant, cette guérilla n’estpas exempte d’armistices. D’ailleursRebod semble un caractère assezfaible, prompt à s’opposer violem-ment aux initiatives de son vicairemais disposé à laisser faire pour peuque celles-ci se révèlent judicieuses.Et, somme toute, de 1816 à 1824,curé et vicaire en dépit de conflits ai-gus, sauront vivre en relative bonne

intelligence. Le F. Jean-Baptiste66 enattribue tout le mérite au P. Champa-gnat mais il faut convenir qu’un vi-caire plein d’initiatives et dont l’œu-vre attirait l’attention n’était pas unauxiliaire de tout repos. Cependant,le curé semble n’avoir jamais de-mandé le remplacement de son vi-caire. Et puis, les paroissiens étaient-ils tous satisfaits d’un vicaire prêt àréprimer l’ivrognerie et aller de nuitempêcher les bals dans les hameauxcomme nous le rappelle longuementle F. Jean-Baptiste67 ? Il se peut bienque Rebod ait été parfois forcé d’ar-bitrer entre paroissiens et vicaire.

Sur les relations entre les deuxhommes nous disposons d’un docu-ment de première importance avecle rapport de l’inspecteur Guillard quivisite Lavalla le 20 avril 1822 aprèsavoir découvert, en visitant Bourg Ar-gental et Saint Sauveur,68 que les ins-tituteurs sont « des soi-disant frères[…] formés par le vicaire de Lavalla,qu’ils appellent leur supérieur géné-ral69 ». Quand il arrive à Lavalla, ilconstate :

« M. le curé (mauvais rimailleur70) est fort mécontentde son vicaire qui n’a pas, à la vérité de latinistes71,mais bien 12 à 15 jeunes paysans qu’il forme à laméthode des frères pour les répandre dans lesparoisses. »

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72 L’héritage. 73 Les huit postulants de la Haute-Loire sont arrivés fin mars. 74 OM2, doc. 754 § 3 : « Puis il aidait, argent donné ».75 Mémoire Bourdin : « [8] (Paragraphe à part) Chantre meurt jeune… Il faut un homme tel que vous

me l’avez dépeint ». On peut supposer une telle conversation à la fin de 1816. Le poste de chantre auraitpermis un certain revenu à J.M. Granjon que Champagnat persuade alors de venir s’installer au bourg.

I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire36

Rebod ne soutient donc pas l’ac-cusation faite à Saint Chamondcontre Champagnat. Mais l’inspec-teur, ayant vu les frères de Saint Sau-veur et Bourg Argental, ne s’en laissepas compter et le curé doit recon-naître que son vicaire « porte sonzèle trop loin en voulant s’établir su-périeur d’une congrégation sans yêtre légalement autorisé, et en se fe-sant donner la légitime72 de cesjeunes gens qui pourraient être vic-times si la congrégation ne se sou-tenait pas. » Encore a-t-il soin depréciser auparavant « qu’il est d’ac-cord avec son vicaire sous tous lesrapports » sauf celui de la congréga-tion. Champagnat interrogé ne peutque reconnaître qu’il projette unecongrégation. Guillard visite ensuite« le local de la congrégation » qu’iltrouve pauvre et malpropre mais ilne voit aucun frère. Curieusement, iln’est pas question de l’école com-munale.

La visite semble s’être dérouléeselon le scénario suivant : de BourgArgental ou de Saint Sauveur, on aaverti Lavalla de l’inspection et on aéloigné les frères et les jeunes gensen formation. Aussi, contrairementaux deux paroisses précédentes,Guillard n’aperçoit aucun frère73 etle curé n’avoue pas d’emblée que

son vicaire constitue une congréga-tion mais une espèce d’école nor-male d’instituteurs ruraux. Commece pieux mensonge ne peut résisterlongtemps, Champagnat doit aussiavouer son projet. Guillard a com-pris : inutile pour lui d’aller plus avantet de rechercher les frères qu’il saitêtre présents dans la commune.

Dans cette affaire M. Rebod adonc tenté de préserver l’œuvre deChampagnat et sans la visite préala-ble de Guillard à Bourg Argental etSaint Sauveur, il y serait peut-êtreparvenu. Quant à son point de vuesur la congrégation en formation, ilest somme toute modéré et non dé-pourvu de pertinence. Il résume d’ail-leurs l’opinion d’un grand nombred’ecclésiastiques de la région. Enfin,Rebod ne reproche pas à Champa-gnat d’agir sans autorisation des au-torités diocésaines.

D’autres faits rapportés présen-tent un Rebod somme toute traita-ble. Le mémoire Bourdin a noté que,dans l’affaire de l’achat de la maisonBonner en 1817-18, le curé finit parpayer quelque chose74. Il se peut qu’àla mort du chantre en 1816, il ait en-gagé J.M. Granjon pour lui succé-der75. La Vie (ch. IX p. 371) cite uneanecdote intéressante :

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76 Table. 77 Il y a donc une certaine familiarité entre la communauté et le curé. Son apitoiement peut d’ailleurs

être interprété comme une critique du supérieur. 78 Transcrit par le F. Carazo, Rome 1991, p. 85.79 OM2, doc. 754, § 16. 80 OM1, doc. 104. 81 Série « Documents maristes »n° 1, Rome, 1982, p. 16.

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« M. le curé de Lavalla, traversant le réfectoirependant le souper, et ne voyant sur la table pour toutmets qu’une salade dont la quantité était loin derépondre au nombre de huit personnes dont étaitformé chaque carré76 : Pauvres enfants, dit-il enhaussant les épaules, avec ma main je pourraisemporter tout votre souper !77 »

Outre que le texte indique que lenombre des convives est au moins deseize, il présente un curé assez fami-lier avec les frères et non dénué decompassion. Le procès diocésain debéatification78 donne le témoignagede Joseph Violet qui, pensionnaire,relate un fait survenu en 1822 pendantl’agrandissement de la maison de La-valla : « Un jour, il (Champagnat) futprovoqué par son curé à lever unegrosse pierre avec le maçon qui lui(sic) aidait et réussit à la mettre enplace ». Enfin, le mémoire Bourdinévoque l’embarras de Rebeau qui areçu une lettre de M. Bochard réa-gissant à des accusations contreChampagnat dont il est peut-êtrel’inspirateur et qui ne sait comment lalui remettre : « A cette époque, la let-

tre de M. Bochard adressée à M. Re-bost qui n’osait pas la manifester,consultait comment la faire79 ». Au to-tal, Rebaud nous apparaît comme unbrave homme, intelligent maisquelque peu instable de caractère,qui n’a pas su se faire accepter par saparoisse et se trouve quelque peudépassé par un vicaire entreprenant.

4.5. Le plus grave : la brouille Seyve-Champagnat (1824)

C’est au moment où se prépare laconstruction de l’Hermitage au prin-temps 1824 (Vie, p. 123-124), qu’il vaindirectement jouer un rôle importantdans les origines maristes car unepétition circule dans la paroisse de-mandant son remplacement. La Vieprétend qu’un ecclésiastique est àsa tête et M. Bedoin, nommé curé deLavalla à la suite de cette affaire, le24 mai 182480 critiquera cette inter-prétation81 . Il vaut la peine de mettreen parallèle le texte de la Vie et celuide sa réfutation.

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Vie p. 123-124

« A son retour à Lavalla, le PèreChampagnat trouva la paroisse encommotion. Un ecclésiastique que lecuré malade avait appelé pour l’aider

M. Bedoin

« C’est M. Champagnat en son pro-pre nom, et non M. le curé, qui,s’étant transporté lui-même au lieu età la résidence de cet ecclésiastique,

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82 L’édition 1989 de la Vie ne signale pas en note cette interprétation de M. Bédoin pourtant fort im-portante.

83 OM4 p. 354. C’est le signe que, même avant l’arrivée de Mgr. de Pins le diocèse soutient l’œuvrede Champagnat qui commence dès 1823 à chercher un lieu pour établir son œuvre.

84 OM2, doc. 754 § 29.85 OM1, doc. 98. 86 Lettres de Champagnat n° 30, §, août-septembre 1833. 87 OM1, doc. 101.

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L’ecclésiastique en question estl’abbé Jean-Baptiste Seyve (1789-1866), aspirant mariste. Curé d’Ar-thun en 1821, il s’en retire le 20 octo-bre 1823 « et c’est alors sans doutequ’il vient à Lavalla aider M. Cham-pagnat83 ». D’ailleurs le mémoireBourdin mentionne aussi : « M. Sèveaidoit l’œuvre84 ». La tentative de dé-stabilisation du curé et l’interventionde Champagnat ont lieu au prin-temps, donc avant la construction del’Hermitage, puisque M. Seyve est

nommé curé de Burdigne le 5 mai182485. Champagnat, qui a compté surM. Seyve pour le remplacer dans lesfonctions vicariales afin de préparer etréaliser la construction de l’Hermitage,perd son remplaçant et demande àl’archevêché de nommer à sa place M.Courveille86. Le conseil de Mgr. dePins, le 12 mai 1824, autorise celui-ci àvenir l’aider « dans son institution defrères des écoles87 ». Il n’est donc pasvicaire remplaçant mais auxiliaire del’œuvre de Champagnat qui envisa-

à faire les Pâques, avait profité del’absence du Père pour soulever lesparoissiens contre leur pasteur. A soninstigation, une pétition s’était faitepour demander le changement ducuré, et pour obtenir qu’il fût rem-placé par l’ecclésiastique en ques-tion. Le Père Champagnat, quoiqu’ileût tant de raison de se plaindre deM. le curé, ne balança pas à prendreson parti et à le soutenir. Il blâma net-tement et sans détour ce qui venaitd’être fait. Il fit appeler les notables dela paroisse qui avaient tous signé lapétition, leur témoigna son mécon-tentement, et les engagea à aban-donner cette affaire ; il fit même devifs reproches à l’ecclésiastique insti-gateur de toutes ces intrigues, et luidéclara qu’il ne voulait avoir aucunrapport avec lui, ce qui l’irrita extrê-mement. »

le supplia avec insistance de venir àLavalla pour les Pâques, ce qu’il obtinten effet, mais très difficilement. Il estentièrement faux qu’à l’instigation dece M. une pétition fut adressée parles paroissiens pour obtenir le chan-gement de M. le curé. M. Champa-gnat lui-même n’était pas étranger àcette commotion de paroisse et avaitdes intentions très prononcées surcet ecclésiastique, qui partageaitalors sa manière de voir. Ce prêtredont la tête blanchie par les annéesest environné de respect et de véné-ration peut donner des preuves de ladernière évidence d’une si injuste ca-lomnie82 . »

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geait sans doute les mêmes attribu-tions pour M. Seyve. Courveille se re-tire d’Épercieux le 30 juin 1824 (OM1,doc. 111), au moment où commence laconstruction de l’Hermitage.

Le retrait de M. Seyve et l’interven-tion de Champagnat n’ont pas suffi àcalmer la campagne contre M. Re-bod. Le registre des délibérations del’archevêché (OM1 doc. 103) constatele 24 mai 1824 : « Les plaintes contreM. Rebod, desservant de Lavalla, serenouvellent sans cesse ». Il décidedonc : « 1° M. Bedoin, vicaire de Sainte.Marie de Saint Étienne est nommédesservant de Lavalla ; 2° M. Rebodsera prévenu de cette mesure dansles termes les plus obligeans, il seramême averti qu’on le verra sans peineprolonger son séjour à Lavalla. »

L’archevêché cède donc à unecampagne de dénigrement ; mais enencourageant M. Rebod à rester dansla paroisse il cherche à donner l’im-pression que son remplacement aune autre cause. Finalement, l’instal-lation de M. Rebod comme aumônierdes Ursulines de Saint Chamond, ap-paraît comme une solution honorableet contredit l’interprétation de la Vie deChampagnat qui prétend que « laconduite de M. le curé de Lavalla avaitdonné prise sur lui ». En fait, la pétitionatteint un homme déjà malade quimeurt le 27 janvier 1825 dans sa 46°année.

Il faut faire grand cas de la versionde M. Bedoin plus fiable que la Vie etqui a connu de près la situation. Elle ale mérite de montrer que le projet de

construction de l’Hermitage et les dé-marches nombreuses qui éloignentChampagnat déstabilisent la pa-roisse, comme si l’autorité du vicaireétait garante de celle du curé. M.Seyve se trouve donc dans une si-tuation inextricable entre un curé surla défensive, un vicaire en titre oc-cupé ailleurs et un parti d’oppositionrésolu qui attribue peut-être à M. Re-bod l’éloignement de Champagnat.

En tout cas, cette affaire a desconséquences capitales sur la Sociétéde Marie naissante : M. Seyve est ex-clu du projet et brouillé avec Cham-pagnat. Dans l’urgence, celui-ci doity installer lui-même l’homme qui vacompromettre son œuvre. Mais iln’est pas inutile de remarquer queCourveille, en dépit de sa prétentionà être l’homme élu pour diriger la so-ciété, est un second choix et doncque Champagnat a nourri assez tôtquelques réserves à son égard.

CONCLUSION

A l’issue de cette étude, M. Re-bod nous apparaît un peu différentde ce que rapporte la tradition ma-riste. Ses travers majeurs semblentavoir été : un tempérament quelquepeu caractériel prompt à des parolesblessantes ; et un autoritarisme ca-chant mal un manque d’assurance.Ses démêlés avec Champagnat pa-raissent plus irritants que vraimentgraves et assez caractéristiques desrelations entre curés et vicaires.D’ailleurs Champagnat n’était certai-nement pas facile à gouverner. Le

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I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire40

vrai problème de Rebod c’est qu’iln’a pas réussi à se faire adopter parsa paroisse et que finalement cettecarence a eu des conséquences im-

portantes sur la mutation de l’œuvrede Champagnat en provoquant indi-rectement le remplacement de M.Seyve par M. Courveille.

fms Cahiers MARISTES

Boletim do Instituto (1913)

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5.APERÇU SOCIO-ÉCONOMIQUESUR LAVALLA VERS 1815

Nous pouvons connaître de ma-nière assez précise la démographie, lavie sociale et économique de Lavallaau moment de l’arrivée de Champa-gnat grâce à un « Tableau de la popu-lation de la commune de Lavalla 1815 ».Ses 11 pages de format 36 x 24 com-prennent sept colonnes indiquant degauche à droite pour chaque maison :nom du hameau, noms et prénomsdes individus, profession, nombred’enfants mâles, nombre d’enfants fe-melles, nombre de domestiques et en-fin le total des habitants de chaquefoyer. Ainsi, nous apprenons qu’au ha-meau de Maisonnettes Jean-BaptisteRivat est laboureur, qu’il a 4 garçons et3 filles ; ce qui fait une maisonnée de 9personnes avec sa femme. Malheu-reusement, le document n’est pas toutà fait complet et le hameau des Palais,situé à l’extrémité sud de la commune,où Champagnat rencontra le jeuneMontagne en 1816, a été négligé.

5.1. Le poids des réquisitions de 1814-1815

Ce tableau a servi, en outre, à éta-blir le montant des réquisitions exer-cées sur les habitants par les arméesétrangères. Jean-Louis Barge nousen donne d’ailleurs un aperçu dans lechapitre LIII de ses mémoires : « Acette époque les réquisitions detoutes espèces de vivres et fourragesfurent en permanences ». Comme le

gouvernement prévoit des indemnités« le maire, dit Barge, fit faire un rôlepour la rentrée des frais qu’il avaitfaits pour les susdites troupes ». Leretour de Napoléon impose le renou-vellement des autorités municipaleset Barge se retrouve adjoint du nou-veau maire Tissot qui …

« se promenait de hameau en hameau pour ramasserles récépissés du percepteur relativement audit rôlepour en faire rembourser la quote-part à chaquehabitant… Je fus chargé de faire un relevé par ordrealphabétique et par colonne en forme de rôle pourprésenter avec une pétition signée de presque tousles habitants sachant écrire à M. le préfet. »

Mais les réquisitions de 1814 sontpeu de choses car les alliés se sontrapidement retirés. En revanche,après Waterloo, la France sera oc-cupée par les troupes étrangères quivivront sur le pays jusqu’à la fin de1818. Il n’est pas inutile de rappeleren passant que, quand Champagnatarrive à Lavalla, la France subit tou-jours une occupation militaire et doncdes réquisitions.

Le document évoqué ici noussemble donc correspondre à deuxdates : un tableau de la populationétabli en 1815 et, superposé au pre-mier, un tableau des réquisitionsopérées au cours des années 1815-1818 pour les produits suivants : foin,seigle, orge, avoine, truffes (pommesde terre). Pratiquement, il faut consi-dérer que le même foyer est vu selondeux angles différents. C’est pour-quoi, dans l’exemple ci-dessous,nous représentons chaque habitantpar deux lignes.

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I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire42

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Lieu Nom Profession Fils Filles Domestiques Total

Chef-lieu J.L. Basson bourgeois 0 0 2 3et sonépouse

Foin : 12 J.L. Basson bourgeois Orge : 2 Avoine : 15 Truffes : 30et son

Seigle : 40 épouse

Chef-lieu J.L. Barge cultivateur 0 0 0 2

Foin : 1 J.L. Barge cultivateur Orge : 0 Avoine : 1 Truffes : 5

Seigle : 3

Maisonnettes J.B. Rivat laboureur 4 fils 3 filles 9et épouse

Foin : 3 J.B. Rivat laboureur Orge : 1 Avoine : 5 Truffes : 18et épouse

Seigle : 18

Nous avons là une idée du poidsdes réquisitions en fonction de la ri-chesse : M. Basson, seul bourgeois deLavalla, paie le maximum ; Jean-Bap-tiste Rivat, père de Gabriel, le futurFrère François, est un paysan aisé etBarge un paysan de niveau médiocre.Les unités accompagnant le chiffre deces produits réquisitionnés ne sontpas précisées mais il est presque cer-tain que, pour les grains et lespommes de terre, il s’agit du bichetvalant 27, 30 litres. Pour le foin, il peuts’agir de charrettes au volume mal dé-fini. Ainsi, M. Basson aurait fourni 1100

litres de seigle, Barge, 82 litres et J. B.Rivat près de 500. Par ailleurs, cesproduits réquisitionnés nous donnentune bonne idée des productions agri-coles de Lavalla : beaucoup de foin, deseigle et de pommes de terre, trèspeu d’orge et un peu plus d’avoine.

5.2. Paiement des réquisitions et richesse

Encore faut-il constater que biendes foyers ne paient pas les cinq pro-duits requis mais seulement quelques-

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uns. Les raisons de ces inégalités peu-vent tenir au lieu plus ou moins favo-rable à telle ou telle culture mais aussià la richesse des habitants, les labou-reurs payant en général 4 ou 5 des

produits requis et les journaliers de 3 à1. En systématisant les données dudocument, nous pouvons donc avoirune vue approximative des inégalitésde la richesse des hameaux.

André Lanfrey, fms 43

mars2013

Lieux dits 5 et 3/5 2 et 0/5 Nombre 4/5 1/5 de foyers

Le bourg 25 % 6,8 % 50 % 17,2 % 58La Loge, Surdel, Le Coing, Lolagnier 66 33 0 0 9Laval 50 16 32 0 12Le Mont 33 50 16 0 6Maisonnettes 54 36 9 0 11Chomiol 60 0 40 0 5Le Bessat 0 88 11 0 27Chabourelon, Le Toil, Les Gallots 0 100 0 0 7Le Bréat, L’Ollagnery, La Fourchina 0 90 10 0 10Larmusière, La Moneteyre, Chez Colomb 33 50 16 0 6Les Chazaud, Les Pervenches, Le Rossin, Le Citré, Vasseras 61 30 7 0 13Luzernaud 52 29 17 0 17Le Sardier 37 66 0 0 3Le Bos 0 61 38 0 13Les Roberts 0 50 50 0 6La Cognelière, Bourchanin, La Comba 0 57 42 0 7La Fara 0 39 60 0 28La Rive 50 0 50 0 6Les Mures 85 0 14 0 7Saleyre 75 12 12 0 8Revicola, La Grenary, La Logne, Lacours 44 22 33 0 9Sezinieu, Le Planil, La Fojasse 70 30 0 0 10Le Crozet 33 44 16 5 18Bertois, les Saignes 43 36 20 0 30Pioré 42 14 28 14 7Gurney, Le Ney, Chomienne, La Most 0 100 0 0 8Ceres ? 16 25 25 33 12Les Cotes, Le Pinay, La Combe 75 25 0 0 12Les Surchettes, La Cote 60 40 0 0 10Le Fleurieu 0 100 0 0 7Fonfoi 70 11 11 5 17Pont Ch., Rossillol, Soulages 76 15 7 0 13La Chirat, Pialussin 90 9 0 0 11Moyenne 39.3 % 39.2 % 18.8 % 2.2 % 100 %

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Il est normal que le bourg ne four-nisse pas une grande diversité deproduits car une partie de la popula-tion s’y livre à des activités artisa-nales et dispose de peu de terres.Néanmoins ce semble être le lieud’un fort contraste entre riches etpauvres. D’ailleurs, la première ac-tion des frères consistera à accueilliret nourrir les enfants pauvres dubourg. Pour les hameaux, nousconstatons que ceux qui livrent mas-sivement 4 ou 5 des produits requissont dans le bas de la commune, làoù les conditions climatiques per-mettent des cultures diversifiées etplus rémunératrices. Ce semble êtrele cas de Pialussin. Au contraire, LaFara, dans la haute vallée du Gier,paraît le lieu typique d’une agriculturepauvre compensée par l’exploitationde la forêt.

5.3. Hiérarchie sociale

En général, la hiérarchie socialeest nettement marquée dans lespremières lignes du document quicommence par les notables : le curéRebod, logeant avec lui sa mère, sasœur et un domestique ; son vicaire,le sieur Artaud ; le sieur Jean-LouisBasson ; le sieur Lagnet ex-notaire,et le maire Jean-Claude Ronchard.En-dehors de ces notables qui sem-blent avoir droit au titre de « sieur »,le reste de la population se répartiten paysans et artisans.

Pour les paysans, le documentdistingue « laboureurs », « journa-liers », « cultivateurs » et « fermiers ».Le premier et le second termes sont

classiques car un peu partout enFrance le laboureur est celui qui dis-pose d’au moins un attelage pour la-bourer. En principe, c’est un paysanaisé. Le journalier, au contraire, estcelui qui gagne son pain au jour lejour : c’est un paysan pauvre. Lesstatuts de « cultivateur » et de « fer-mier », plus flous, peuvent être consi-dérés comme intermédiaires entre lelaboureur et le journalier. En tout cas,la hiérarchie des paysans semblequantitativement s’établir ainsi :

– Laboureurs : 176 environ– Fermiers : 40 – Cultivateurs : 11– Journaliers : 148

Quant aux artisans, ils sont pré-sents surtout au bourg et au hameaude La Fara. Leur condition écono-mique semble très diverse. D’ailleursla plupart d’entre eux doivent dispo-ser de l’appoint de quelques terres.

– Maçons : 3– Cordonniers : 3– Drapiers : 6– Voituriers : 2– Garde-bois : 1– Scieurs de long : 2– Forgerons : 2– Menuisiers : 2– Passementières

(Les 10 sœurs de la congrégation)

– Tisserands : 2– Tailleur : 1– Meunier

ou meunière : 3– Mde ( ?) : 1

A ces catégories, il convientd’ajouter 134 domestiques, 16 foyers

44 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

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dont le chef est une veuve plus oumoins fortunée, et 6 maisons qui sem-blent particulièrement pauvres puisquene fournissant aucune réquisition, pasmême en pommes de terre.

Tel semble être le village de La-valla :

– 5 notables– 176 paysans, relativement à

l’aise– Un groupe à peu près

équivalent de paysansmédiocres ou pauvres

– Une petite quarantained’artisans

– Une plèbe de 134domestiques

– Une trentaine de pauvres etde veuves.

Le tout réparti en 434 « feux », 66hameaux et lieux-dits, sur les flancs duPilat entre 460 et 1160 m. d’altitude.

5.4. Démographie de Lavalla

Les hameaux, très nombreux,sont d’importance très inégale. Letableau suivant donne une idée as-sez précise des principaux hameauxet du chef-lieu :

André Lanfrey, fms 45

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Hameau Population Nombre de « feux » Nb. d’hab. par feu

Lavalla (bourg) 228 60 3.8

Laval 85 12 7

Maisonnettes 55 11 5

Le Bessat 127 27 4.7

Luzernod 88 17 5.1

Le Bos 63 13 4.8

La Fara 134 28 4.7

Saleyre 48 8 6

Le Crozet 76 18 4.8

Les Saignes 119 30 3.9

Cérès ( ?) 47 12 3.9

Fonfoi 80 ? 17 4,3 ?

Total 1100 253 4,3

Ainsi, à peu près la moitié de lapopulation réside dans des unitésdémographiques comprenant aumoins 8 maisons et près de 50 habi-tants. La population du bourg sembledépasser légèrement 10 % de la po-

pulation communale. L’aspect le plusdifficile de la pastorale de Champa-gnat ne sera donc pas d’agir aubourg et dans les hameaux impor-tants mais de joindre la poussièredes petits hameaux.

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5.5. LES « SŒURS DE LA CONGRÉGATION »

Nous avons vu que le curé Rebodn’habite pas seul mais que son pres-bytère est occupé par cinq per-sonnes : lui-même, sa mère, sasœur, un domestique et un vicaire.Ce fait pourrait contribuer à expliquerpourquoi Marcellin Champagnat,aussitôt arrivé, s’emploie à acheterune maison qui lui permette une cer-taine indépendance apostolique.

Nous apprenons aussi qu’aubourg existent 10 « sœurs de lacongrégation » exerçant le métier depassementières. Apparemment pau-vres, elles n’acquittent qu’une réqui-sition très modeste en pommes deterre. J. B. Galley88 signale qu’en1806 elles figurent, déjà au nombrede 10, dans un tableau départemen-tal des « sœurs vouées à la visite despauvres à domicile et… à l’instructionde la jeunesse. » Galley les classeparmi les 244 « sœurs de Saint Jo-seph » du département, ce titre nesignifiant pas l’appartenance à unecongrégation mais étant plus oumoins équivalent de « béate ».

Dans un autre ouvrage89 Galleycite un document du 12 juin 1795 quidécrit fort bien leur statut qui re-monte à l’Ancien Régime :

« Les filles généralement peu riches étoient lingères,rubanières, marchandes en détail, etc ;

elles instruisoient partout les jeunes filles sousles rétributions dont elles convenoient avec leurs parents ; elles ne faisoient aucun vœu public qui les privât des droits civils ; elles étoient associées, en entrant, par un acte passé devant le notaire qui constatoit la dot qu’elles apportoient… »

Ce sont donc des associations dedroit privé, qui ont été très activesdans la résistance à la révolution et,pour cela, souvent dénoncées parles autorités révolutionnaires qui onttendance à exagérer leur influence.Galley, qui ne les aime guère, insisteaussi sur leur rôle, auprès desfemmes et, dit-il :

« On voit ces sœurs des cam-pagnes tissant du ruban sur un petitmétier, comme les pauvres gens ;essayant d’apprendre (aux filles etaux petits enfants) à lire les prièresdu diocèse et les premières pagesdu catéchisme. »

Après la Révolution un certainnombre de ces communautés, par-fois constituées partiellement d’an-ciennes religieuses, s’affilient auxcongrégations renaissantes. Cesemble être le cas des sœurs de La-valla car le frère annaliste signale quecette communauté fondée en 1533s’associe à la congrégation desSœurs de Saint Joseph de Lyon en1803. Mais elles continuent à prendrel’habit et à faire profession à Lavalla.« Le père Champagnat étant vicaire

46 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

88 L’élection de Saint Étienne à la fin de l’Ancien Régime, St Étienne, 1903, p. 567.89 Saint Étienne et son district pendant la Révolution, St Étienne, 1907, t. 3 p. 85.

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a présidé plusieurs de ces cérémo-nies : on y voyait sa signature90. »

En fondant un groupe de frères àla fois travailleurs manuels et éduca-teurs, Champagnat crée pour leshommes et les petits garçons uneœuvre similaire.

5.6. Les Palais,Champagnat et le jeune Montagne

C’est aux Palais, le hameau situéà l’extrême limite sud de Lavalla, à lafrontière avec la paroisse de Taren-taise, que Marcellin Champagnat aété appelé à administrer le jeuneMontagne91. Malheureusement, laquatrième page du recensement de1815, après avoir relevé les habitantsdu Bessat, indique « les Palais » maisne donne aucun nom tout en lais-

sant un espace blanc de deux centi-mètres nécessaire pour décrire qua-tre foyers dont certainement celuides Montagne. On comprend que lerecenseur n’ait pas jugé utile de faireun détour pour une population si ré-duite et dont il juge probablement lafortune à l’aune de celle des habi-tants du Bessat.

Les Palais serait donc typique deces lieux-frontières relevant de deuxautorités distinctes et donc passa-blement délaissés parce que sansstatut très clair et trop éloignés deleur centre spirituel officiel. Ensomme l’ignorance religieuse dujeune Montagne, qu’il ne faut peut-être pas exagérer92, serait la consé-quence de cette situation marginale.L’acte de décès de la communedonne quelques précisions sur lejeune homme et son entourage.

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90 Annales de Lavalla-en-Gier, fascicule transcrit par le F. Louis Vibert, Lavalla, 2009, p. 38. 91 Le mémoire Bourdin parle d’un enfant au pied du Pilat. Ce n’est pas exactement le cas pour le jeune

Montagne qui est un jeune homme habitant sur le plateau. 92 C’est un agonisant qui ne jouit vraisemblablement plus de la plénitude de ses facultés.93 La partie entre crochets ayant été oubliée, elle a été ajoutée à la fin avec la mention : « Le renvoy

approuvé ». 94 Archives communales de Lavalla.

« L’an 1816 et le 29 octobre à six heures du matin, par devant nous Jean-Baptiste Berne, maire et officier de l’étatcivil de la commune de Lavalla, canton de Saint Chamond, département de la Loire, sont comparus FrançoisMontagne menuisier au lieu des Palais commune de la Valla âgé de cinquante sept ans et Jean-Baptiste Montagnejournalier audit lieu âgé de cinquante deux ans lesquels nous ont déclaré que Jean-Baptiste Montagne fils auditFrançois Montagne et de Clémence Porta était décédé [hier à sept heures du soir 93] en leur domicile audit lieudes Palais âgé de dix sept ans. D’après cette déclaration et la présentation du cadavre nous avons rédigé leprésent acte que les dits déclarans nont put (sic) signer pour ne le savoir faire, de ce requis.

Berne m[aire] »94.

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5.7. Les décès de jeunes gens a la même époque

Le jeune Montagne n’est certai-nement pas le seul jeune homme as-sisté par Champagnat à ses derniers

moments : le registre de l’état-civildonne en effet les décès suivantsdurant sa première année à Lavalla.

Le père et l’oncle paternel dujeune Montagne apparaissent donc

comme sans instruction et de condi-tion économique très médiocre.

48 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

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Acte de décès du jeune Montagne

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95 OM2, doc. 754, § 6. Les Palais ne sont pas au pied du Pilat mais sur le plateau. 96 Vie, ch. 6 p. 61.

Date Nom Age Lieu

16 septembre 1816 J.B. Frécon 24 Les Fleurieux

29 octobre 1816 J.B. Montagne 17 Les Palais

17 janvier 1817 J.C. Tardy 11 Les Palais

24 mai 1817 G. Farat 20 La Petite Gerbe

31 mai 1817 F. Matricon 7 Laval

7 juillet 1817 F. Verney 24 Le Bessat

26 septembre 1817 J.J. Chavanne 17 Les Mures

Même si la rencontre avec J.B.Montagne a eu un rôle décisif, il estclair que Champagnat s’est trouvétrès vite devant des cas semblablesqui n’ont pu que le conforter dans sadécision. C’est pourquoi, justifiantauprès du P. Bourdin sa hâte de fon-der les frères, il dira simplement :« enfant malade au pied du Pilat95 »en pensant à Montagne mais vrai-semblablement à plusieurs autresenfants et jeunes gens administréspar ses soins. C’est pourquoi dans laVie le F. Jean-Baptiste parle encored’un enfant de douze ans sans pré-ciser le lieu96.

5.8. Le Bessat, pauvremais homogène

Le Bessat, proche des Palais, sem-ble pauvre à première vue : personnen’y acquitte la rétribution en foin ni nefournit de l’orge. En revanche, à peuprès tout le monde est capable d’ac-quitter les autres réquisitions, y com-pris les veuves. C’est donc un hameaude condition économique médiocremais homogène, où dominent large-ment les journaliers. Placé à plus de1000 m d’altitude, il vit aussi dans desconditions climatiques beaucoup plusrudes que le reste de la paroisse et saproduction agricole s’en ressent. Qua-tre ou cinq laboureurs sortent du lot etdeux pauvres, dont une veuve, nepeuvent acquitter grand-chose.

LE BESSAT Statut Foin Seigle Orge Avoine Truffes

Cl. Matrat + femme. Garde- bois 7 4 8

Jn. Tamet + f. journalier 4 4 8

Veuve. Merlioux ? 3 2 6

Maurice Vernay + f. (+ mère) j. 6 4 6

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Nous savons que vers 1819, le F.Laurent (Jean-Claude Audras) com-mence à exercer sa fonction de ca-téchiste-instituteur dans ce hameauet qu’ensuite (1820-22) il remplaceson frère (F. Louis) à Marlhes pourrevenir en 1822-23 à Tarentaise, près

du Bessat, dans l’école latine du curéPréher97d’où il va, les dimanches,catéchiser les gens du Bessat98.

Cette activité du F. Laurent dansces trois lieux nous rappelle que lasociété du Bessat est moins tournée

50 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

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Jn. Pichon + f. j. 4 4 6

Math. Bertail + f. j. 6 6 8

Jn. Bongrand + f. j. 4 4 6

Ant. Gourdon + f. Laboureur 12 10 15

Et. Furet + f. Lab. 12 10 15

J.B. Mathoulin + f. j. 2 2 6

J.B. Drevet + f. j. 2 2 6

Veuve. Colla ? 2 2 6

J.B. Morel + f. j. 2 2 6

Jn. Beraud j. 2 2 6

J.B. Beraud + f. j. 2 2 6

P. Dufour + f. j. 6

Ant. Varnay + f. j. 4 4 5

Ant. Sud + f. j. 2 2 6

J.B. Macabeaud + f. j. 2 2 6

Jn. Varnay + f. j. 3 2 9

Veuve. Tardy dite Pentouery ? 9

C. Pichon + f. fermier 25 9

Cl. Tardy dit Pentouery + f. ? (lab ?) 10 10 20

Joseph Degraix ? (lab. ?) 25 10 20

Veuve. Bredoux ? 4 4 8

Veuve. Casson dit Lange ? 4 4 8

Joseph Noir ? (j.?) 8 6 8

97 Lettres de M.J.B. Champagnat, t. 2, Répertoires, Rome 1987, p. 516.98 Vie, édition du bicentenaire, p. 92.

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vers Lavalla et Saint Chamond quevers le plateau où se trouvent Taren-taise, Bourg-Argental et Marlhes,ainsi que vers la ville de Saint Étienneà laquelle on accède par Tarentaiseet Rochetaillée.

Comme Le Bessat est sur la voieOuest-Est de Saint Étienne à la valléedu Rhône, ce n’est pas un lieu mar-ginal - sa nombreuse population entémoigne - mais un lieu de passageà l’économie ressemblant à celle deMarlhes : handicapée par l’altitudemais ne pâtissant pas, comme La-valla, de pentes vertigineuses nid’une exposition peu favorable ausoleil. J.B. Galley signale d’ailleursqu’il s’y déroule deux foires par an.La spécificité du Bessat est telle quele hameau sera constitué en com-mune séparée de Lavalla, la logiqueadministrative rejoignant la logiquegéographique. Le lien avec Lavallademeure cependant avec le carre-four de la Croix de Chaubouret quirelie le haut de Lavalla à la grandroute Saint Étienne-vallée du Rhône.

Pour les Frères Maristes, ce car-refour n’est pas sans importancepuisque, rapidement, les écoles ma-ristes vont se répandre d’abord auSud de Lavalla, le Bessat constituantune sorte de balcon par lequel lacongrégation accède à un milieu queson fondateur connaît bien et où il

sait que les besoins sont grands.Pour les frères, et particulièrementle F. Laurent, ce territoire fait figurede pays de mission : quoique relaiséconomique relativement important,il est religieusement en marge de laparoisse99. Enfin, il ne faut pas ou-blier que c’est près du Bessat que leP. Champagnat et le F. Stanislas, per-dus dans la neige, sont accueillis parla famille Donnet.

5.9. Les premiers frèreset le recensement

Nous avons déjà parlé de la fa-mille de Jean-Baptiste Rivat au ha-meau de Maisonnettes. Au Pioré100,nous trouvons la famille de Jean-Ma-rie Odrac (Audras), journalier, com-posée de 8 personnes qui a donné àl’Institut deux de ses premiersfrères : Louis et Laurent101. Si ellen’acquitte pas de foin, elle livre 12unités de seigle, 1 d’orge, 3 d’avoineet 15 de pommes de terre. Bien quele niveau économique de la famillesoit médiocre, l’instruction n’y estpas négligée puisque le futur F. Louislit le Pensez-y bien102, manuel de dé-votion populaire, ce qui l’incite à en-trer chez les FEC.

La famille d’Antoine Couturier, filsde Damien Couturier et MargueriteBois, entré à la communauté le 1°janvier 1818, réside au hameau du

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99 J.L. Barge signale un cas d’infanticide au Bessat. 100 Orthographe variable : le Péorey aujourd’hui ?101 Le recenseur ne mentionne qu’un garçon et une fille mais aboutit, avec le père et la mère à 8 per-

sonnes. 102 Biographies de quelques frères, 1868, p. 1.

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Coingt, proche de Maisonnettes, àl’Ouest de la commune. Le père estlaboureur. La famille a trois garçonset une fille. Elle est taxée à 12 unitésde seigle, 1 unité d’orge, 5 d’avoineet 15 de pommes de terre, comme lafamille Audras.

Barthélemy Badard, fils de Jean-Marie Badard et de Jeanne MarieTeillard (Lettres, t. 2, p. 71) est natifdu hameau de La Fara, dans la hautevallée du Gier. Son père est journalier.La famille a 5 garçons. Elle acquittepour toute réquisition 7 unités depommes de terre. C’est une famillepauvre en terres qui exerce sansdoute des activités artisanales com-plémentaires.

Quant au frère Jean-Marie Gran-jon, le premier disciple de Champa-gnat, on sait qu’il fait connaissanceavec lui en octobre 1816, lorsqu’ilvient le chercher pour un malade deLa Rive, hameau situé tout en bas dela commune, au bord du Gier commeson nom l’indique. Le recensement ysignale six maisonnées. La veuve Pi-tiot, qui n’acquitte que 10 unités depommes de terre, y exploite un mou-lin avec l’aide d’un domestique. Elle aun garçon et une fille. Jean-MarieGalley et sa femme y sont égalementmeuniers. Ils ont un fils, 4 filles et undomestique. C’est probablementdans l’une de ces deux maisons queJean-Marie Granjon a travaillé.

Le recensement aide donc à per-cevoir que les premiers disciples deChampagnat représentent assezbien, du fils de laboureur au domes-tique, la hiérarchie sociale de Lavalla.

5.10. M. Basson,Bourgeois et ami de Champagnat

Nous avons vu qu’étant le seul bour-geois de Lavalla, M. Basson est le plustaxé par les réquisitions. Veuf ou céliba-taire et en tout cas sans enfants, il estl’un des rares habitants de la communeà avoir deux domestiques à son service.Le mémoire Bourdin, rédigé vers 1829(OM2/75§13) affirme : « M. Basson ex-cellent homme, conseillait, aidait le P.Champagnat. » Dans la Vie du Fonda-teur103 le F. Jean-Baptiste rapportequ’en mai 1824 le P. Cholleton venu àl’Hermitage poser la première pierre vadîner chez M. Basson « qui était unhomme riche et grand ami des Frères. »

Cette amitié d’un notable a doncété précieuse à Champagnat. Néan-moins les livres de compte n’indi-quant aucune transaction financièreentre les deux hommes, on peutsupposer que Champagnat a reçude lui des dons ou des prêts qu’il n’apas jugé utile d’inscrire dans les re-gistres, sans compter qu’il a pu bé-néficier de son influence à Lavalla etpeut-être dans ses relations avec labourgeoisie de Saint Chamond.

52 I. Le troubles de la Révolution et de l’Empire

103 Ed. du bicentenaire ch. 12, p. 129

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CONCLUSION

Lavalla est donc une communerépartie socialement, économique-ment et peut-être culturellement enquatre ensembles correspondant àpeu près à quatre étages de son ha-bitat : le bourg, à la population divi-sée entre riches et pauvres, sansclasse intermédiaire étoffée ; les ha-meaux du bas de la commune et del’ouest tournés vers Saint Chamondet plutôt aisés ; le haut de la com-mune, à la limite de la forêt, beau-coup plus pauvre ; enfin le rebord duplateau, de richesse médiocre mais

assez homogène et en relation avecSaint Étienne, la vallée du Rhône oule plateau.

L’institut naissant des Frères Ma-ristes colonisera en priorité cet espacemontagnard avant de franchir la valléedu Gier pour s’installer en 1823 à SaintSymphorien le Château sur cet autreplateau que sont les Monts du Lyon-nais. Finalement, l’installation à l’Her-mitage signifiera la volonté de s’ouvriraux espaces de plaines et de valléesaux populations plus nombreuses etd’accès plus facile sans pour autantrenier la phase précédente.

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1. LE TEMPS DE LAVALLA(1816-25)

La Vie du P. Champagnat par leF. Jean-Baptiste demeure un docu-ment irremplaçable pour la connais-

sance des premières années del’Institut parce qu’elle est fondée surles témoignages des acteurs et té-moins de cette histoire. Malheureu-sement sa chronologie n’estqu’approximative.

55

II.LA VIE MATÉRIELLE DES FRÈRES À LAVALLA

É T U D E S

André Lanfrey fms

Essai de chronologie

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Surtout, la Vie reflète largement latradition orale des Frères Maristes etoffre des interprétations souventpartielles ou partiales sur les per-sonnes et les événements. Parexemple, elle noircit le personnagede Bochard qui semble avoir pro-tégé Champagnat plus qu’il ne l’acombattu et se montre un peu troplouangeuse envers Mgr de Pins. Detemps en temps, elle empile les té-moignages relatant le même fait endonnant l’illusion qu’il s’agit d’évé-nements successifs. D’autres fois,elle mélange deux événements dis-tincts. C’est le cas des attaquescontre l’œuvre de Champagnat :l’une venant de la paroisse de La-valla, très probablement en 1819,dont Champagnat semble avoir faci-lement triomphé ; l’autre venant deSaint Chamond, beaucoup plus sé-rieuse.

En outre, la Vie projette sur cesannées de fondation l’organisationque connaîtra l’Institut après 1840alors que, durant les années de La-valla, les Frères de Marie ne sont pasencore une congrégation mais uneassociation de laïcs sans statut clair.A cette époque, les mots « frère » et« noviciat » n’ont pas encore le sensprécis qu’ils prendront un peu plustard et il n’y a pas de vœux. D’ail-leurs, bien des curés, comme M. Al-lirot, curé de Marlhes, considèrentLavalla comme une école normaled’Instituteurs et les frères de leur pa-roisse comme des maîtres d’écolesous leur autorité exclusive. Un cer-tain nombre de frères ne sont pasloin de penser comme eux. Il faudra

toute la conviction de Champagnatet de ses frères les plus fidèles, ainsique le soutien des autorités ecclé-siastiques diocésaines, pour faire en-tendre que son œuvre est plusambitieuse qu’une simple école deformation à la pédagogie des Frèresdes Écoles Chrétiennes.

Le fondement qui permet à l’œu-vre des Frères de Marie de surmon-ter de rudes épreuves estévidemment le Formulaire maristede 1816 dont la Vie de Champagnatparle très peu car, dans la traditiondes Frères, l’événement fondateurc’est le 2 janvier 1817. Par ailleurs,c’est lentement, durant les annéesde Lavalla, que Champagnat ac-quiert, à la lumière des événements,la certitude que son œuvre est vou-lue par Dieu. La fidélité des frères en1820, le soutien de Bochard, aussiambigu soit-il, et l’arrivée des postu-lants de la Haute-Loire en 1822, sontdes étapes majeures de l’acquisitionde cette conviction.

La chronologie ci-dessous, fon-dée sur une lecture critique de la Viedu P. Champagnat et éclairée parles documents historiques des Ori-gines Maristes et d’autres sourcestelles que les Annales de l’Institut du F. Avit, ne prétend évidemment pasà l’exactitude absolue mais vise àdonner une vue d’ensemble de cequi n’est pas encore une congréga-tion mais une association de laïcsapostoliques partageant les vuesd’un prêtre inspiré. Il nous a sembléjudicieux de proposer trois axesmajeurs sur cette période.

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Champagnat : le prêtre, le fondateur

Champagnat, les frères et la Société de Marie

Catéchisme et école

1. LE PROJET (1816)

1816 : Rédaction du Formulaire.Champagnat désire une branchede frères dans la S.M.

22 juillet 1816 : M. Champagnat or-donné prêtre.

23 juillet : Consécration des pre-miers Maristes à Fourvière.

12 août : Champagnat est nomméà Lavalla. Il y prend ses fonctionsquelques jours plus tard.

2. LES RENCONTRES FONDATRICES (octobre-novembre 1816)

28 octobre : Champagnat as-siste le jeune Montagne.

26 octobre 1816 : 1ère rencontreavec J.M. Granjon.2 novembre : rencontre J.B. Au-dras-Champagnat.

3. UNE ŒUVRE PAROISSIALE CATÉCHÉTIQUE ET CARITATIVE (1816-1818)

Fin 1816 : Location d’une maisonà M. Bonner.

2 janvier-fin mars 1817 : noviciat desdeux premiers disciples se termi-nant par leur prise d’habit.

C’est un groupe fervent à but ca-téchétique dans l’esprit de la So-ciété de Marie.

Champagnat et Courveille achè-tent la maison Bonner le 1° octo-bre 1817. Le curé s’emploiera àfaire casser cet acte.

Décembre 1817 - janvier 1818 : J.C.Audras et A. Couturier entrent àLavalla.

Probablement après la Toussaint1817, les frères commencent à ca-téchiser les hameaux les di-manches et le F. Jean-Marie ras-semble des enfants indigentspour les nourrir et les éduquer.

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Avril 1818 : La maison est définiti-vement acquise.

Mai 1818 : B. Badard et G. Rivat entrent à Lavalla.15 août 1818 : Prise d’habit de J.C.Audras et A. Couturier.

4. OPTION POUR L’ÉCOLE ET LA MODERNITÉ PÉDAGOGIQUE (1818-1819)

Vers la Toussaint 1818 Champa-gnat installe au hameau du Sar-dier un jeune Instituteur, Maison-neuve, qui pratique la méthode si-multanée.Au même moment, fondation del’école de Marlhes.

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1818-1819 : Polémique entreChampagnat et le curé qui sou-tient son instituteur.M. Champagnat enseigne le latinà quelques pensionnaires.

Durant l’année scolaire 1818-1819,au bourg, l’œuvre des frèresconcurrence l’école publique dumaître d’école Montmartin.

Le 8 septembre 1819, vêture deBarthélemy Badard et de GabrielRivat (5e et 6e frères).

Eté 1819 : L’Instituteur communalMontmartin se retire.Maisonneuve le remplace à laToussaint. L’enseignement du ca-téchisme dans les hameaux sepoursuit.

1819 : Attaque locale contre Cham-pagnat : réunion illicite de jeunesgens et détournement de quête(OM2, doc. 754).Champagnat se justifie auprès deM. Bochard qui soutient officieu-sement son œuvre.

A la fin de 1819, le P. Champagnatvient habiter avec les six frères quise constituent en communautédirigée par J.M. Granjon. Prised’habit d’Étienne Roumésy (F.Jean-François) à une date indé-terminée.

Toussaint 1819 ? F. Laurent auBessat.Toussaint 1819 ? Des frères vontenseigner quotidiennement, pen-dant l’hiver, dans les hameaux deLuzernaud et Chomiol (Vie).

6. LE SOUTIEN DES AUTORITÉS DIOCÉSAINES ET DES FRÈRES FACE AUX ATTAQUES (1820)

1820 : Le principal du collège deSaint Chamond et M. Dervieux ac-cusent Champagnat de tenir uncollège clandestin. Menace dedissolution de l’œuvre et de dé-placement de Champagnat.

Les vicaires généraux Bochard etCourbon ne suivent pas M. Der-vieux.Champagnat cesse d’enseignerle latin.

Le soutien des frères et des au-torités ecclésiastiques contribueà persuader Champagnat queson œuvre est voulue par Dieu(Mémoire Bourdin).

Toussaint 1820 : Fondation del’école de Saint Sauveur. La crisesemble passée.

1821-22 : Le vicaire général Bo-chard envisage d’intégrer à termeles Frères de Marie dans l’œuvrediocésaine des Frères de la Croixde Jésus.

Le recrutement sur Lavalla sembletari et les vocations venant d’ail-leurs sont très rares : AntoineGratallon (F. Bernard) entre aunoviciat le 30 novembre 18211 etClaude Fayol le 12 février 1822.

L’école de Bourg-Argental est ou-verte en janvier 1822.J.M. Granjon est éloigné de La-valla.

5. CHAMPAGNAT SUPÉRIEUR D’UNE COMMUNAUTÉ (1819)

7.UNE CRISE DE CROISSANCE (1820-21)

1 La chronologie indique novembre 1820 mais le registre des vœux temporaires indique le 30 no-vembre 1821 (OFM/ 3 p. 172.

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8. VERS UNE CONGRÉGATION ENSEIGNANTE DIOCÉSAINE (1822-1823)

28 mars 1822 : Un ex-frère desÉcoles Chrétiennes amène huitjeunes gens. Après réunion avecles frères, Champagnat décide deles recevoir.

L’inspecteur Guillard visite la mai-son en avril 1822 et constate queChampagnat instruit une quin-zaine de jeunes paysans. Le curéreproche à Champagnat deconstituer une congrégation.

Mai 1822 : Échec d’une tentativede fusion avec les frères de M.Rouchon établis à Valbenoîte.

Printemps 1822 : Le F. J.M. Gran-jon fait un séjour à la trappe d’Ai-guebelle.

Été 1822 : Agrandissement de lamaison de Lavalla.

Été 1822 : Fermeture de l’école deMarlhes.

L’œuvre de Champagnat est sousla coupe de Bochard. Mais les op-posants aux vicaires générauxmanœuvrent pour l’élection d’unremplaçant au cardinal Fesch.

Avec deux frères le P. Champa-gnat parcourt les environs de La-valla pour trouver un lieu nouveaupour l’œuvre (Vie).Fin 1823-début 1824 : M. Seyve,aspirant mariste, vient aider M.Champagnat.

1823 : Fondation des écoles deVanosc, Saint Symphorien-le-Château et Boulieu.Fermeture de Tarentaise où exer-çait le F. Laurent.

9. AFFIRMATION D’UNE VOCATION DIOCÉSAINE (1824-25)

22 décembre 1823 : Mgr. de Pinspréconisé comme administrateurapostolique de Lyon.Le 18 février 1824, il prend pos-session du diocèse de Lyon. Pro-testation et exil de M. Bochard.

3 mars 1824 : Mgr. de Pins reçoitle P. Champagnat.

L’œuvre des Frères de Marie li-bérée de l’influence de Bochard.

Mai 1824, M. Seyve, qui auraitsoutenu l’opposition au curé deLavalla, se brouille avec. M.Champagnat qui demande à l’ar-chevêché de nommer M. Cour-veille comme prêtre auxiliaire.

13 avril : l’archevêché autoriseChampagnat à acheter des pro-priétés au lieu-dit Les Gaux.

13 mai : M. Champagnat et Cour-veille achètent les propriétés desGaux.Juin 1824 : M. Courveille s’installeà Lavalla.

19 juillet : Publication du prospec-tus de la congrégation des PetitsFrères de Marie.

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2 Celle-ci sur ordre du diocèse pour contrecarrer l’influence de Bochard.

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Les Petits Frères de Marie consi-dérés par l’archevêché commela congrégation diocésaine defrères.

Mai-octobre : Construction de lamaison de l’Hermitage avec l’aidedes frères.Octobre : Le P. Champagnatdonne aux frères un « Petit Écrit »sur l’esprit de l’Institut (Vie).

Toussaint 1824 : Fondations deChavanay et Charlieu2.

Novembre : Champagnat dé-chargé de sa fonction vicariale.

Hiver 1824-25 : Aménagement dela maison de l’Hermitage.

Mai 1825 : La communauté de La-valla s’installe à l’Hermitage : 20Frères et 10 postulants. 22 frèresdans les écoles.

Lavalla n’est plus qu’une école oùenseignent deux frères pendantl’hiver.

Le berceau de l’institut aprés 1822. Tableau.

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2.FRÈRES ETPENSIONNAIRES À LAVALLA ET L’HERMITAGE(1817-1827)

Les Lettres de Champagnat et lesOrigines Maristes constituent pournous une base de documentation fon-damentale. Origine des Frères Ma-ristes, recueil de tous les documentsconcernant Champagnat et les pre-mières décennies de l’Institut, publiéen 2011, complète cet important cor-pus en rendant accessibles les nom-breux registres et livres de compte

déjà connus mais encore très peu ex-ploités. Cet article sera donc basé enbonne partie sur ces documents quimériteraient une étude systématique.

2.1. Vue d’ensemblesur les registres

1. Premier registre d’inscriptionsdes postulants (OFM/1, doc. 105, p. 297-310)

Commencé le 28 mars 1822, àl’arrivée des postulants de la Haute-Loire, il s’achève le 26 novembre1824. Il note donc les noms des pos-tulants, la date de leur arrivée, les

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Bulletin de l’institut (1913)

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sommes qu’ils versent, éventuelle-ment leurs sorties et les livres, pa-piers et plumes qu’ils se procurentpar l’intermédiaire de la maison envue de leurs études. C’est donc enquelque sorte une chronique de La-valla sur près de trois ans.

2. Registre des inscriptions(OFM/2, doc. 142-153, p. 3-247) (1822-1848)

Ce second registre recopie partiel-lement le premier et surtout le pro-longe en notant entrées et sommesversées par les novices ou les pen-sionnaires. Tenu jusqu’en 1838 par leP. Champagnat, il indique le plus sou-vent le nom du postulant, sa paroissed’origine, son âge, les noms de sespère et mère, ses intentions (noviceou pensionnaire), les sommes qu’ilverse pour sa formation. Nous y re-trouvons le fonctionnement complexeque nous avons cru percevoir avant1822 : noviciat, pensionnat, orphelinat,école. Nous nous contenteronsd’étudier ici les années 1822-1827.

3. Registre des vêtures(OFM/3, doc. 497-568 p. 4)(1824-1858)

Commencé en fait en 1829, il nesignale pas les vêtures de ceux quiétaient sortis avant cette date. Il estdonc relativement peu utile pour uneétude sur les années 1822-27.

4. Registre des vœux temporaires (OFM/3, doc. 569-574, p. 171-242)(1826-1841)

Il est fort utile pour une étude surles années antérieures à 1826 car lesnouveaux profès indiquent dans leurdéclaration la date de leur entréedans la maison et de leur vêture.

5. Registre des vœux perpétuels (OFM/3, doc. 575-598, p. 244-300)(1826-1858)

Comme le registre précédent, ilpermet de remonter partiellementaux origines de l’Institut.

6. Registre mortuaire (OFM/3, doc. 599-603, p. 301-361) (1825-1875)

C’est un complément aux autresregistres puisqu’il signale les décèsdes frères à partir de 1825.

2.2. De 1817 a 1822 : dix frères ?

L’Institut a gardé le souvenir dedix frères entrés dans l’œuvre durantles cinq premières années de sonexistence. Les six premiers (1817-1818) sont tous natifs de Lavalla ou ysont domiciliés. Les derniers (1818-22) venant d’ailleurs, et parfois d’as-sez loin, montrent que l’œuvre,d’abord purement paroissiale, com-mence à s’étendre modestement.

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2.3. Prise d’habit etpromesse

D’après le F. Jean-Baptiste, de-puis les origines les frères pronon-cent une promesse de se consacrerpour cinq ans à l’éducation des en-fants5. Mais celle-ci ne coïncide pasnécessairement avec la vêture. Ainsila Vie relate (p. 158) que le F. Louis,qui a pris l’habit en mars 1817, effrayé

devant les obligations de cette pro-messe, refuse de la signer en 1818,tandis que le F. Jean-Marie fait la dé-marche et s’inquiète de cette réti-cence.

Dans les premières années deLavalla, l’adhésion à l’œuvre desFrères de Marie pourrait donc com-porter deux étapes distinctes. C’estd’autant plus vraisemblable que le

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3 Ibid, p. 58-73. Il a été dirigé sur Lavalla par son curé. 4 Biographies de quelques frères, Lyon, 1868, p. 41-49. Recruté par les frères de Saint Sauveur en

Rue, il meurt en 1825.5 Voir les textes de la promesse dans Vie, ch. 15, p. 157, et dans OM1, doc. 168.

Nom Naissance Lieu Noviciat Habite re

J.M. Granjon 1794 Doizieu 2/1/1817 Fin mars 1817(F. Jean-Marie)

J.B. Audras 1802 Lavalla 2/1/1817 Fin mars 1817(F. Louis)

J.C. Audras 1793 Lavalla 24/12/1817 15/8/1819 ?(F. Laurent)

Antoine Couturier 1800 Lavalla 1/1/1818 15/8/1818(F. Antoine)

B. Badard 1804 Lavalla 2/5/1818 8/9/1819(F. Barthélemy)

Gabriel Rivat 1808 Lavalla 6/5/1818 8/9/1819(F. François)

Etienne Roumésy ? ? 1819 1820(F. Jean-François)

Antoine Gratallon ? Izieux 1820 11/11/1822 (F. Bernard)

Claude Fayolle 1800 Saint Médard- 2/2/1822 25/10/1822(F. Stanislas)3 en-Forez

J.P. Martinol 1798 Burdigne 1821 1823(F. Jean-Pierre)4

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récit de la Vie suggère que les frèresdes débuts sont relativement nom-breux6, la prise d’habit étant consi-dérée comme donnant droit au titrede « frère » sans que pour autantcelui qui le revêt se soit engagé parun acte formel. Ce pourrait être lecas du maître d’école, Claude Mai-sonneuve, vivant avec les frères,probablement en 1819-1820, et queChampagnat éloigne à cause de « saconduite irrégulière et trop mon-daine » (Vie, ch. 7, p. 75). Aurait-ilporté l’habit de la société sans avoirfait de promesse et d’autres au-raient-ils fait de même ? L’histoire del’Institut n’aurait donc retenu, pour lapériode antérieure à 1822, que lesfrères ayant non seulement pris l’ha-bit, mais s’étant engagé formelle-ment dans la société et y ayantpersévéré un temps significatif.

2.4. Entrée dans la maison et entrée au noviciat

L’entrée dans la maison desfrères ne signifie pas nécessaire-ment l’entrée au noviciat. Ce semble

être le cas pour Gabriel Rivat (F.François) qui fait sa première com-munion à 10 ans, le 19 avril 1818, etentre dans la maison dès le 6 mai1818. Cependant, comme la Vie (p.68) précise que Champagnat entre-prend de lui donner des leçons delatin, ce qui ne le prépare pas à l’étatde frère, G. Rivat a dû être pendantun temps un simple pensionnaire.D’ailleurs il ne prend l’habit que le 8septembre 1819, soit dix-huit moisplus tard.

A-t-il fait une promesse à ce mo-ment-là ? Une telle question se posecar un tel acte s’adresse en principeà des personnes majeures. Bien quede droit privé, la promesse a desconséquences pratiques telles quela mise en commun des biens etl’absence de rémunération pour letravail fourni. Ce problème concerned’ailleurs la moitié des dix premiersfrères qui sont mineurs au momentde leur vêture. Si celle-ci s’est ac-compagnée d’une promesse, il fautsupposer un accord des parents etmême des arrangements financiersavec eux.

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6 Il les envoie deux à deux dans les hameaux (Vie, ch. 7, p. 82) : « un frère formé et un novice » (Vie,p. 109). Il y est question d’un petit frère de 13 ou 14 ans dont la tradition n’a pas retenu le nom.

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Nom Année de Prise Âge au momentnaissance d’habit de la prise d’habit

J.M. Granjon 1794 Fin mars 1817 23(F. Jean-Marie)

J.B. Audras 1802 Fin mars 1817 15(F. Louis)

J.C. Audras 1793 15/8/1819 24(F. Laurent)

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2.5. La question de la « légitime »

La nature de ces arrangementsest suggérée par le curé Rebod qui,en 1822, reproche à Champagnat deconstituer une congrégation en sefaisant donner la légitime (l’héritage)des frères ; et le prospectus de 1824prévoira encore que le novice ap-porte avec lui sa légitime qu’on luirendra s’il quitte la société en dédui-sant les frais qu’il a pu occasionner. Ilsemble donc qu’au moins un certainnombre des dix premiers frères aientpassé ce type de contrat, s’enga-geant à faire bénéficier leursconfrères de leur patrimoine soit

qu’ils en disposent soit qu’ils l’atten-dent encore.

2.6. Trois statuts dans la communauté

La communauté de Lavalla fonc-tionnerait donc selon trois statuts : àson entrée dans la maison le jeunehomme est en habit laïc et paie unepension pour son instruction : c’estun postulant. S’il est satisfait de sacondition et donne des signes de vo-cation, la prise d’habit fait de lui unfrère, facilement reconnaissable,mais, sauf s’il a fait sa promesse enmême temps qu’il a pris l’habit, iln’est que novice et il doit encore

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7 Ibid, p. 58-73. Il a été dirigé sur Lavalla par son curé. 8 Biographies de quelques frères, Lyon, 1868, p. 41-49. Recruté par les frères de Saint Sauveur en

Rue, il meurt en 1825.

Nom Année de Prise Âge au momentnaissance d’habit de la prise d’habit

Antoine Couturier 1800 15/8/1818 18(F. Antoine)

B. Badard 1804 8/9/1819 15(F. Barthélemy)

Gabriel Rivat 1808 8/9/1819 11(F. François)

Étienne Roumésy ? 1820 Probablement (F. Jean-François) majeur

Antoine Gratallon 1803 11/11/1822 19(F. Bernard)

Claude Fayolle 1800 25/10/1822 22(F. Stanislas)7

J.P. Martinol 1798 1823 25(F. Jean-Pierre)8

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payer pour sa formation. Jean-ClaudeAudras, (F. Laurent) est peut-êtredans ce cas : il déclare être entré aunoviciat le 24 décembre 1817 maisn’avoir pris l’habit que le 15 août 1819,soit dix-huit mois plus tard, ce qui estun temps de probation très long.Comme il est majeur et qu’ensuite ilva évangéliser seul le Bessat, on peutpenser que sa prise d’habit s’est ac-compagnée d’une promesse.

Le cas de Jean-Pierre Martinol (F.Jean-Pierre), natif de Burdigne, prèsde Saint Sauveur-en-Rue, est encorespécifique. Le F. Avit (Annales desmaisons § 17) le déclare entré en 1818alors que sa biographie9 montre qu’iln’a pu venir à Lavalla avant 1821. Maiscette même biographie explique cettedistorsion en précisant que Martinolcommence à vivre dans la commu-nauté de Saint Sauveur avant d’êtreenvoyé au noviciat. Il serait donc entréchez les frères en 1818 et au noviciaten 1821. Nommé directeur de l’écolede Boulieu à la Toussaint 1823, il acertainement pris l’habit en 1822 ou1823. Comme il est directeur, il a cer-tainement prononcé la promesseavant sa prise de fonction.

2.7. Habit bleu ou habit noir

En 1822, l’inspecteur Guillard décritainsi l’habit des frères à Bourg-Ar-gental : « Leur costume consiste enune redingote noire avec un grandmanteau » (OM1, doc. 75 § 3). Pas-

sant à Saint Sauveur, où officient« deux frères de Lavalla » il voit le « sr.Badard » sans mentionner son cos-tume ce qui signifie qu’il est noir aussi.Parvenu à Lavalla, il n’y rencontreaucun frère. A Feurs où sont deuxfrères de Courveille, il constate : « Ilsportent un vêtement semblable,quant à la forme, à ceux de Saint Sau-veur et de Bourg-Argental ; mais laredingote est ici bleu de ciel, bouton-née comme une soutane, avec untrès grand collet noir. » De cette ob-servation on a déduit que ce seraitCourveille qui aurait imposé l’habitbleu à l’Hermitage. On peut en toutcas affirmer que la redingote desfrères de Champagnat est boutonnéenormalement et ne ressemble pas,comme celle de Courveille, à unesoutane : c’est un habit laïc.

Alors, habit noir ou habit bleu à La-valla en 1822 ? En tout cas, le F. Avitécrit (1822 § 35) que 7 frères « prirentle costume bleu en 1823 » et quatreautres (§ 76 p. 81) en 1824-26. Pourlui, ce n’est qu’en 1827 que dix frèresprennent « l’habit religieux » (§ 70, p.74).

Plus loin, il rapporte un témoignageaffirmant que c’est à la suite de la vi-site à Mgr de Pins (printemps 1824)que Champagat aurait changé laforme et le costume des frères « pourle rendre plus religieux10. » Mais àcette époque Champagnat a d’autressujets de préoccupation et c’est aussil’arrivée de M. Courveille censé ap-

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9 Biographie de quelques frères, 1868, p. 41.10 Annales de l’Institut, 1828 § 74.

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porter avec lui le costume bleu. Ladate de 1827 comme passage dubleu au noir est plus vraisemblable. Etc’est sans doute cette année que :« Le bleu avait été remplacé par lenoir, le pantalon par la culotte courte,la soutanelle par une soutane des-cendant jusqu’à la cheville boutonnéejusqu’en bas11 »…

La soutane cousue semble entreren service en 1829 sans susciter tropde controverse, contrairement auxbas de drap et à la méthode de lec-ture. Pendant longtemps encore, lesnovices ne prennent le rabat qu’à lasortie du noviciat. Le cordon se prendà l’émission des vœux temporaires(1826) et la croix le jour de la profes-sion (1828 § 74). L’habit bleu ne dis-paraît que lentement puisque le F.Jean-Joseph (Jean-Baptiste Chillet),entré au noviciat le 4 juillet 1826, ayantpris l’habit bleu le 11 octobre de lamême année et fait ses vœux perpé-tuels le 2 février 183012, quitte « l’habitbleu de Lavalla » le dernier, en 1838.Mais le F. Avit mentionne ce fait poursouligner l’esprit de dévouement dece frère chargé de l’atelier de drap quivêt tout le monde avant lui.

2.8. Une hypothèse sur l’habit

Il y a donc contradiction apparenteentre le témoignage irréfutable del’inspecteur Guillard qui parle d’habit

noir à Bourg-Argental et Saint Sau-veur et d’habit bleu à Feurs tandis quela tradition des frères portée par laVie13 et le F. Avit évoquent l’habit bleuavant l’arrivée de Courveille à Lavalla.

On peut envisager que les frèresaient porté un temps les deux habits,le bleu étant celui des novices et lenoir distinguant les frères ayant pro-noncé leur promesse ou (et) étantemployés dans les écoles. Cet habitbleu qui ressemble à l’uniforme descollégiens pourrait avoir accréditél’idée que Champagnat constituait àLavalla un collège concurrent de celuide Saint Chamond. Et l’appellation« frères bleus » viendrait du fait que lapopulation voit beaucoup plus defrères en bleu qu’en noir. En outre, lebleu se distingue davantage de l’ha-bit laïc, généralement sombre ou noir.

Et puis, lorsque le P. Champagnatdonne aux frères, en 1827, une sou-tanelle noire boutonnée se rappro-chant de l’habit ecclésiastique,personne ne songe à se révoltercomme si cette couleur ne faisaitpas problème. En choisissant unhabit noir pour tous, Champagnat neferait donc que généraliser progres-sivement une couleur d’habit jusquelà réservée à une certaine élite. Enmême temps, l’introduction desvœux à partir de 1826 marginaliseprogressivement l’importance de lapromesse tandis que le cordon pour

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11 Ibid. 12 OFM/3, p. 257. 13 Vie, ch. 6, p. 70. Voir la note qui synthétise l’article de Pierre Zind dans le Bulletin de l’Institut, t. XXI,

p. 536.

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les profès temporaires et la croixpour les profès perpétuels créent denouvelles distinctions visibles.

2.9. Le F. Sylvestre et l’habit

Le cas du F. Sylvestre nous poussenéanmoins à aller plus loin dans cettequestion. Dans les Annales de l’Ins-titut, le F. Avit rapporte que, entré àl’Hermitage en mars 1831, ce frère apris la soutane le 15 août 1831 à l’âgede 12 ans et demi. Et il ajoute : « Unenfant, frère du F. Grégoire, avait faitsa première communion et pris l’ha-bit le même jour14, à l’âge de 9 ans,la même année, et avait reçu le nomde F. Basile ». Comme, contrairementau F. Sylvestre, ce F. Basile n’apparaîtpas dans le registre des vêtures etqu’il est vraiment trop jeune, l’habitqu’il a pris n’est pas la soutane maisvraisemblablement l’habit bleu. On estétonné, en outre, que cet enfant aitdéjà un nom de frère comme si laprise d’un uniforme signifiait une pre-mière démarche d’entrée dans lacongrégation. Le F. Sylvestre a vrai-semblablement porté un habit sem-blable pendant les quelques mois deson noviciat.

Ayant pris la soutane, l’espiègle F.Sylvestre, ayant dû couper les che-veux à son compagnon, lui fait unetonsure et, la faute ayant été décou-verte à la coulpe, un frère ancien pré-

conise qu’on le prive quelque tempsde sa soutane, ce qui est ordonnépar le P. Champagnat15. Le F. Avit neprécise pas quel habit revêt alors leF. Sylvestre, mais ce pourrait êtrel’habit bleu. La leçon est claire : celuiqui se comporte en enfant reprendl’habit des enfants. Et c’est pourquoi« le F. Sylvestre n’était pas fier ».

Mais l’affaire ne s’arrête pas là : leF. Sylvestre raconte comment il réussità récupérer sa soutane16. M. Cattet,vicaire général, visitant l’Hermitage et« voyant qu’il y avait dans la salle plu-sieurs jeunes frères, il se prit à les in-terroger sur le catéchisme. » Le P.Champagnat suggère alors au F. Syl-vestre d’aller lui faire sa coulpe devanttout le monde et M. Cattet l’autorise àreprendre l’habit religieux. Mais l’es-sentiel n’est pas là : M. Cattet a facile-ment reconnu les jeunes frères dansl’assemblée, certainement à cause deleur taille et de leur apparence maisaussi par leur habit. Nous serions ten-tés de dire que c’est l’habit bleu, étantdonné que le P. Champagnat profitede l’occasion pour obliger le F. Sylves-tre à un acte prouvant qu’il est dignede porter à nouveau l’habit religieux.

Ce témoignage du F. Sylvestre estdonc d’interprétation délicate car illaisse entendre que l’usage d’unhabit spécial pour les novices quipourrait être l’habit bleu, se perpétueassez longtemps. Ainsi vers 1832,

68 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

14 Que celui de sa première communion. 15 Dans Frère Sylvestre raconte Marcellin Champagnat, p. 239, l’auteur précise que le P. Champa-

gnat le trouve un peu jeune. Il raconte lui-même cet épisode (p. 246).16 Frère Sylvestre raconte… p. 246.

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quand le F. Sylvestre doit enlever sasoutane, il ne retrouve certainementpas ses vêtements laïcs car il n’estpas renvoyé mais seulement rétro-gradé au rang de novice. Cet usaged’un habit spécifique, éventuellementbleu, à mi-chemin entre habit laïc etsoutane, expliquerait aussi que « pen-dant longtemps encore les novices neprirent le rabat qu’à leur sortie du no-viciat17. » L’usure des vêtements bleuset le besoin d’uniformisation ont dûpousser néanmoins à la généralisa-tion de la soutane noire qui semble àpeu près achevée en 1838. Pour au-tant, le cas du F. Sylvestre n’est pasunique et, semble-t-il, une fois la sou-tane généralisée : « Le rabat n’étaitpermis aux novices que lorsqu’ils sa-vaient bien leur prières. On le leur en-levait souvent par punition, de mêmeque la soutane18. »

2.10.Les pensionnairesde 1819-1822

Cette question de l’habit nous aentraîné un peu loin et il convient derevenir au temps de Lavalla quand,en sus des postulants, des noviceset des frères engagés par une pro-messe, il y a la catégorie des pen-sionnaires qu’évoque un documenttardif mais précieux : la lettre de Jo-seph Violet, habitant de Doizieu, le 19novembre 1888, contenue dans leprocès diocésain de béatification19.Né le 24 avril 1807, il prétend êtreentré à Lavalla à la fin de 1819, pro-bablement à la Toussaint, et y êtreresté deux ans, mais son séjoursemble avoir duré une année de pluscar il affirme avoir été témoin del’agrandissement de Lavalla qui a eulieu dans l’été 1822.

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17 Annales, 1828, § 74. 18 Annales de l’Institut, 1840, § 704. 19 Enquête diocésaine. Témoignages sur Marcellin Champagnat, présentés par le F. A.C. Carazo,

Rome, 1991, 17° session, p. 85. 20 Hameau de Lavalla.

« … Je suis né à Malval. Ma mère, devenue veuve, me plaça comme pensionnaire à Lavalla, sur la fin de 1819.J’y suis resté deux ans entiers, sous la direction des FF. Étienne (Roumesy) et François (Gabriel Rivat) ; lepremier était directeur et le second était mon professeur, car j’étais très en retard. Nous étions, à cetteépoque, deux internes qui couchions au milieu des Frères. Mon camarade de pension était un nommé Tissot,de Plagny20, qui apprenait le latin sous la direction de M. Champagnat. Ce dernier le menait rondement, àcause de la grande négligence qu’il apportait dans ses devoirs.J’ai vu faire une grande partie des agrandissements de Lavalla. M. Champagnat s’essayait à tous les travaux deconstruction, maçonnerie, charpente, etc., et y réussissait bien. Un jour, il fut provoqué par son curé à lever unegrosse pierre avec le maçon qui lui aidait et réussit à la mettre en place.Pendant que j’étais dans la maison, il arriva une bande de 10 jeunes gens. Devant la maigre chère que nousavions, ils filèrent dès le lendemain, moins deux, dont l’un était boiteux, qui tinrent bon. Notre ordinaire était une soupe, assez abondante, et une petite portion de fricassée, avec du pain mal cuit ;

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La richesse de ce document estconsidérable car elle donne des préci-sions sur la vie de la communauté quel’on ne retrouve guère ailleurs. Ainsi, legenre de vie des pensionnaires ne pa-raît guère différent de celui des frèreset on peut se demander s’ils ne sontpas, latin mis à part, confondus avecles novices, les F. Roumésy et Fran-çois assumant la tâche d’instruire lesuns et les autres. Cependant, J. Violetsemble suivre aussi l’école du village.Son récit donne donc l’impressiond’un statut mixte : vie avec les frères àtable et au dortoir ; enseignement debase avec les enfants du village maisleçons particulières avec le P. Cham-pagnat et les deux frères déjà cités22

qui semblent capables de leur donnerune instruction plus poussée.

2.11. Les pensionnairesen 1823-27

Le second registre des inscrip-tions23 (OFM/2, p. 5) donne une vued’ensemble intéressante des pen-

sionnaires reçus à Lavalla puis àl’Hermitage sans qu’on puisse tou-jours bien les distinguer des no-vices. D’ailleurs, le mot « pension »est utilisé indifféremment pour dési-gner les montants à payer des unset des autres. Mais, à partir d’avril1825, le registre précise si l’arrivantest novice ou pensionnaire, signeque les deux statuts commencent àse différencier. C’est d’ailleurs le mo-ment où la communauté s’installe àl’Hermitage.

Ainsi, le 30 mai 1823, arrive leneveu du F. Stanislas, dont le nomn’est pas cité mais qui se nommepeut-être Fayol. Il verse 100 F. endeux fois. Nous ne savons si c’estcomme pensionnaire ou comme no-vice. Le 25 novembre 1826, arriveJoseph Hyacinthe, de Saint Paul. Sonpère promet 500 F. Au 8 février 1828,il aura versé 404 F. Comme ce jeunehomme ne devient pas frère, il estsans doute entré en qualité de pen-sionnaire.

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21 Note finale du curé : Je certifie la parfaite honorabilité du père Violet, mon paroissien, et un bon pa-roissien digne de foi et sain d’esprit. Doizieu, le 3 décembre 1888. / LACHAL, Curé.

22 Mais celui-ci part à la Toussaint 1820 pour St Sauveur-en-Rue. 23 OFM/2 p. 5.

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pour boisson, nous avions de l’eau. A 4 heures du matin, M. Champagnat criait de sa chambre : ‘BenedicamusDomino’, on répondait: ‘Deo gratias’, puis on se rendait, le plus promptement possible, pour la prière. Entre 6 et7 heures, nous assistions à sa messe qu’il disait avec une grande dévotion.[…] On l’aimait beaucoup à Lavalla et, tous les dimanches, nous voyions arriver des personnes lui apportant des fruitset d’autres denrées. Tous les jours, il visitait l’école et se rendait compte de notre travail. Il nous faisait lecatéchisme et y mettait une grande émulation, donnant souvent des récompenses à ceux qui savaient le mieux21. »

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Les cas plus clairs sont nombreux :nous les répartissons par année.

– Le 17 novembre 1823, BenoîtClaude Roche est entré dans lamaison en qualité de pensionnaireet, le 8 août 1825, ont été versés260 F. pour sa pension, soit 130 F.par an, c’est-à-dire un peu plus de10 F. par mois.

– Le 10 janvier 1824, M. Champagnatnote : « Jean-Jacques Couturierreçu dans la maison pour appren-dre l’état de menuisier ou de dra-pier. Il doit me payer six mois sanourriture à 12 F. par mois. » Néan-moins, son instruction est envisa-gée puisque Couturier achète uneBible (de Royaumont), livre de lec-ture scolaire. Le 7 février 1824,Jean-Baptiste Brunon, âgé de 15ans, paie 12 F. par mois. Le 20 mai1827, son père paie 27 F. et doitencore 113 F. André Despinace,entré le 21 avril 1824, est certaine-ment déjà connu de Champagnatqui s’entend avec son père pourune pension de 10 F. par mois.

– Le 1er mars 1825, Antoine Nolin estreçu comme pensionnaire « provi-soirement ». Natif de Lyon, âgéd’environ 12 ans, il semble être unorphelin pour qui paient les demoi-selles Contes de Lyon « y comprisle blanchissage, raccommodage,livre, papier ». La pension annuelles’élève à 240 F. (OM/1 p. 306). Le10 mars 1826, les dames Contes

paient encore sa pension ainsi quecelle « du petit Ayoux », un autrepensionnaire.

– Le 1er août 1826, Ausier (ou Osier)de Saint Jean Bonnefons entrecomme pensionnaire et paie 24 F.par mois. Mais la maison doit luifournir livres, papier, literie, blan-chisserie, raccommodage. Entreoctobre et juin 1827, l’Hermitage re-cevra encore 143 F. paiement peut-être partiel de l’année scolaire1826-27. En octobre 1827 et janvier1828, le père. Osier acquitte encore96.30 F. Le 2 novembre 1826,Jean-Antoine Vère, natif de Roche-taillée, entre comme pensionnaire :il donne 15 F. comme premier paie-ment, sans doute pour un mois. Le26 février 1826, André Chalayer deSaint Étienne, âgé de 11 ans, entrecomme pensionnaire. Son oncleverse diverses sommes. Le 3 août1829, la pension de Chalayer auracoûté 1.078 F.

– Le 23 septembre 1827, Bonjour, deSaint Chamond est reçu commepensionnaire : il paie 25 F. par mois.

Il arrive que des jeunes gens en-trés comme pensionnaires optent fi-nalement pour le noviciat.

Le 20 février 1824, Jean Fara, âgéde 12 ans, pensionnaire, doit payer 12 F.par mois et sa mère verse un acomptede 100 F. Il semble vouloir se former àl’enseignement puisqu’il se procureune Conduite des frères24. Le 20 août

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24 Le manuel contenant la méthode simultanée, appelé en fait Conduite des écoles chrétiennes.

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1825, âgé de 13 ans, il est reçu dans lamaison en qualité de novice : « il paye10 F. par mois », mais « il y a 14 moisqu’il est dans la maison ». Pour ce sé-jour, il a payé 100 F. et en doit encore44. Sa pension s’élève donc à un peuplus de 10 F. par mois. Le 16 janvier1825, le père de Jacques Poinard,âgé de 13 ans, donne 200 F. par anpour sa pension. Mais le registrementionne que le 18 novembre 1826,il entre en qualité de novice. Son pèredonne 177 F.

Une fois au moins, le contrat pré-voit le cas où celui qui entre commenovice pourrait ne pas persévérer.C’est le cas de Christophe Courbon,du hameau du Chirat à Lavalla : enmars 1825, le P. Champagnat noteque le père donne 72 F. « pour l’en-tière pension de l’année 1825 » etdoit donner encore 200 F. dans unan, tandis que la tante, résidant àSardière, promet de fournir chaqueannée une paire de bas et une che-mise. Le père s’engage à payer 15 F.par mois de pension de son fils « s’ilvient à se retirer de la maison ou quepour des raisons fort graves on soitobligé de lui faire prendre le parti…(de se retirer). » Courbon, entrécomme novice, ne prendra pas l’ha-bit et son séjour sera de fait celuid’un pensionnaire.

Le 17 septembre 1825, la pensionde Jean Chalagner est payée : 350F., et Marianne Chalagner, sa mèreou sa tante, y ajoute 100 F. pour l’ha-

bit. Quant au trousseau, il a étéfourni en entier « même au-delà ». Ildeviendra F. Joseph. Dans le pro-cès-verbal de sa vêture, il déclareraêtre entré le 25 avril 1825, sa vêtureayant lieu le 25 octobre 1825.

Le registre donne donc l’impres-sion que, jusqu’à l’installation à l’Her-mitage, il n’y a pas de frontière trèsclaire entre novice et pensionnaire,sans doute parce que la distinctionentre École Normale d’Instituteurslaïcs et communauté de frères estelle-même floue. Divers témoignageset, notamment celui de Joseph Vio-let, ont d’ailleurs donné la même im-pression pour les années antérieuresà 1823. Après 1827, on ne reçoit plusde pensionnaires à l’Hermitage etune lettre du P. Champagnat à MgrDevie25 explique cette décision :

« Nous nous étions mis, dans le principe, sur le pied de recevoir à l’Hermitage, quelques enfants externes et quelquespensionnaires. Nous nous sommes vus contraints d’y renoncer vu qu’ils entraînaient la perte d’un bon nombre de novices et qu’ils causaient à tous un dommage évident. »

Une telle décision ne fait qu’enté-riner la nouvelle logique de l’œuvredes Frères de Marie quittant uneforme associative laïque très souplepour entrer dans un fonctionnementconventuel plus clair mais plus rigide.L’établissement des vœux tempo-raires (1826), des vœux perpétuels(1828), de l’habit noir (1827) sont

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25 Lettres, n° 305 p. 550, le 3 décembre 1839.

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d’autres manifestations de cettemême évolution. En attendant, pen-dant près d’une dizaine d’années, àLavalla puis à l’Hermitage, la com-munauté a reçu un nombre non né-gligeable de pensionnaires payantentre 10 et 25 F. par mois de pen-sion.

2.12.Les écoliers de l’Hermitage

Les comptes du registre des re-cettes commencé par M. Courveilleen 182626 donnent une idée du fonc-tionnement de l’externat auquel a faitallusion le P. Champagnat ci-dessus :

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26 OFM/2 p. 332…

Date Recette Somme

17/1/26 Reçu pour le petit Coquet 25 F.

17/1/26 Reçu du père Crapanne un mois pour son petit 4 F.

20/1/26 Reçu des deux petits Gallay pour leur école, un mois 3 F.

27/1/26 Reçu de Chomiennes pour leur école, deux mois 1.20 F.

1/2/26 Reçu du petit Gerin pour un mois d’école 2 F.

1/2/26 Reçu du petit Tribly pour un mois de son école 1 F.

4/2/26 Reçu du petit Frécon du Creux pour un mois de son école 1 F.

20/2/26 Reçu du petit Crapanne pour un mois de son école 4 F.

23/2/26 Reçu du petit Tardie pour deux mois de son école 3 F.

24/2/26 Reçu du petit Pervanchon pour deux (mois) de son école 2 F.

Il ya ensuite quelques mentions derevenus scolaires mais sans précisionde noms. A partir d’août 1826, cette re-cette n’apparaît plus, pour les raisonsévoquées par Champagnat. Nous yapprenons en tout cas que la rétribu-tion scolaire mensuelle était de 1 à 4 F.

2.12.Les vagabondsavant 1822

Joseph Violet met en évidenceune autre fonction de la maison :l’accueil de vagabonds cherchant

l’hospitalité et même une aubainepour se fixer dans un lieu où ils pour-raient se procurer le vivre et le cou-vert sans trop de contraintes. Il nousmontre donc que la pauvreté de lapitance, et sans doute le travailexigé, font fuir les vagabonds. Quantaux deux qui demeurent, à quel titrerestent-ils ? Certainement pascomme pensionnaires. Comme pos-tulants ? Probablement pas nonplus, au moins dans un premiertemps. Il y aurait donc une catégo-rie, certainement très instable, d’en-

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fants et de jeunes gens accueillis parcharité qui ne vivent pas avec lesfrères, ne sont sans doute pas mêlésavec les enfants de l’école, mais sontmis au travail tout en recevant desrudiments d’instruction religieuse.L’œuvre de Lavalla semble d’ailleursavoir commencé comme cela27.

Certains de ces enfants sontreçus ensuite au noviciat, commeJean-Baptiste Berne, dont la Vie28

nous rappelle qu’accueilli en décem-bre 1820, il est inéducable et fugueplusieurs fois avant de s’assagir.Ayant demandé à entrer au noviciat,il revêt l’habit le 18 octobre 1825 etfait des vœux temporaires le 24 sep-tembre 1829. Il meurt le 2 octobre183029. C’est parce que ce cas estexceptionnel qu’il a été retenu par leF. Jean-Baptiste : la plupart de cesenfants et jeunes gens ont dû s’enaller ou être renvoyés après untemps bref de résidence.

A ces jeunes vagabonds, il fautsans doute joindre les cas d’adoles-cents envoyés par des bienfaiteurs. Le4 janvier 1823, il est question de JeanPraire pour qui une dame Colomb paie45 F. pour trois mois. Le 9 novembre1823, la même dame paie 70 F. poursix mois de pension. Ce doit être unenfant sans instruction puisqu’il achète

trois alphabets. Cette dame Colombsemble s’occuper aussi du petit Jean-Louis Rivat de Saint Pal, âgé de 18 ans,pour qui elle paie 20 F. de pension le27 décembre 182430.

Le 8 avril 1825, le registre31 an-nonce l’entrée d’Augustin Barrey,natif de Lons-le-Saulnier, ville duJura, âgé de 15 ans et orphelin,adressé par le curé de Tartaras. Au-cune somme d’argent n’est signalée.

Le 5 septembre 1824, est entréAugustin Bellin (ou Balant), âgé de 13ans : « on doit l’entretenir » dit le re-gistre32. Le 1er registre d’inscription33

précise qu’il a pris plusieurs livresd’une valeur de 4.50 F : une Instruc-tion, une grammaire, un livre d’office,une civilité, un exercice de piété, uneHeure de Lyon et un catéchisme.Manifestement les livres qu’il reçoitindiquent qu’il participe pleinement àla vie du noviciat.

Le 28 octobre 1826, Jean Cholle-ton, natif de Clermont, âgé de 14 ans,abandonné par ses parents mais pro-tégé par son oncle, le vicaire général,entre dans la maison. Il deviendra F.Jean et le P. Bourdin écrira sa vie.

Le 23 novembre 1825, est entréBatardier de Lyon, « nourri à notre

74 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

27 Vie, ch. XXI, p. 522-525. 28 Ch. XXI, p. 523-525.29 OFM/3, p. 180 : Registre des vœux temporaires et Registre mortuaire, p. 305. 30 OFM/1, p. 307.31 OFM/2, p. 7.32 OFM/2, p. 8.33 OFM/1, p. 303.

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table » ; « il a donné pour ses petitesdépenses cent francs. »

Ainsi, le passage d’un ex-Frère desÉcoles Chrétiennes qui sollicite sonentrée vers février 1822 n’est pas ex-ceptionnel. Quant au récit de Violet surl’arrivée de dix jeunes gens qui ne fontque passer, il ressemble étrangementà l’arrivée des postulants de la Haute-Loire le 28 mars 1822. Soit Violet rap-porte cette arrivée en la confondantpartiellement avec celle d’autresgroupes de passage, soit il relate unfait similaire. En tout cas, il met en évi-dence une activité caritative impor-tante de la communauté de Lavallaqui paraît en même temps un moyende recrutement, très peu efficacemais significatif d’un esprit fortementutopique : proposer aux plus pauvresune vie nouvelle stable, utile et chré-tienne. En somme, passer de la sau-vagerie à la civilisation.

2.13. Un modèle complexe

Si nous ramassons les informationsrecueillies sur Lavalla avant 1822, ilnous faut sans doute dépasser uneimage bâtie tardivement par le F.Jean-Baptiste exagérant une fortecontinuité avec les origines. Il faut, aucontraire, souligner que l’entrée dansla maison et l’entrée au noviciat sontchoses différentes puisqu’on peut yavoir le statut de postulant, de novice,de pensionnaire, ou d’enfant pauvreaccueilli par charité. La maison hé-berge donc des jeunes gens en habit

civil (postulants, vagabonds, pension-naires), des novices en habit bleu etpeut-être d’autres qui, ayant fait lapromesse, seraient en habit noir.

En définitive, combien de per-sonnes ont pris l’habit bleu à Lavallaavant 1822 ? Certainement beaucoupplus que la dizaine de frères retenuspar la tradition. On peut peut-être ris-quer le chiffre d’une trentaine.

Ces différences de statut sont trèsatténuées par une fraternité, un zèleapostolique et un esprit de sacrificequelque peu exaltés34 mais ces vertuséminentes n’excluent pas une hiérar-chie de droits et de devoirs liés aux di-vers degrés d’engagement. Jusqu’en1822, l’œuvre de Champagnat estdonc dans une phase dominée par lamystique et l’utopie, mais son degréd’Institutionnalisation n’est déjà pasnégligeable. N’ayant plus guère denovices, Champagnat constate vers1821 que son recrutement ne peut re-poser sur les jeunes gens de Lavalla nisur le passage d’enfants ou de jeunesgens pauvres qu’il espère fixer dans samaison. Il a besoin de mieux fonder sonœuvre.

2.14.La mutation de 1822 :recrutement massifet registres

Il recevra donc l’arrivée inopinéede 8 jeunes gens de la Haute-Loirecomme un signe du ciel mais aussicomme l’occasion de mettre de l’or-

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34 Voir Vie, ch. 10, p. 110, le témoignage d’un frère sur l’ambiance communautaire à cette époque.

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dre dans son œuvre. En ouvrantalors un registre des inscriptions, ilpasse d’une gestion en quelquesorte familiale à une administrationun peu plus rigoureuse qui va aller ense précisant sans cesse et qui,comme nous l’avons dit en introduc-tion, nous laisse des sources encorepeu exploitées mais dont la publica-tion de Origine des Frères Maristesfacilite grandement la consultation.

2.15.Les entrées en 1822-1827

La grande nouveauté de l’année1822 c’est le démarrage d’un recrute-

ment massif et, en combinant l’en-semble des registres, nous pouvonsconnaître assez précisément la massedes gens qui ont vécu à Lavalla à par-tir de 1822 et durant les toutes pre-mières années de l’Hermitage.

En moins de 6 ans (mars 1822-dé-cembre 1827), l’Institut aurait doncreçu 102 novices soit une moyennede 17 par an. Sur ce total, 61 auraientaccédé à la vêture. Mais il est proba-ble qu’un bien plus petit nombre defrères est allé jusqu’à prononcer lapromesse. Quant au nombre despensionnaires, il est loin d’être négli-geable.

76 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

35 C’est d’ailleurs ce que constate l’inspecteur Guillard le 26 avril 1822, lors de sa visite à Lavalla dontle vicaire a « 12 à 15 jeunes paysans qu’il forme à la méthode des frères pour les répandre dans les pa-roisses » (OM1, doc. 75 § 9).

fms Cahiers MARISTES31

Année Entrées Pensionnaires Total Parvenus noviciat à vêture

1822 23 0 23 12

1823 3 4 7 2

1824 16 7 23 10

1825 16 3 19 8

1826 21 4 25 14

1827 23 4 27 15

Total 102 22 124 61

Évidemment, bien des novices oupostulants sortent rapidement. Parexemple, sur les 8 postulants de laHaute-Loire entrés le 22 mars 1822,Pierre Aubert sort en juin ; AntoineVassal et Barthélemy Vérot, tous deuxde Sainte Sigolène, entrés le 1er mai1822, sortent ensemble le 8 juin de la

même année. Aussi, l’effectif perma-nent du noviciat ne doit guère dépas-ser une dizaine de personnes35. Autotal, le nombre des occupants de lamaison, fondateur et encadrementcompris, doit avoisiner la vingtaine, cequi est déjà beaucoup, et oblige àagrandir dans l’été 1822.

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Le recrutement de l’année 1823marque une transition, Champagnatsemblant handicapé par le manquede place, d’où le petit nombre de no-vices accueillis. La nécessité de trou-ver des ressources favorise l’accueilde quatre pensionnaires qui, en prin-cipe, paient chacun 240 F. par an. Ce-pendant, dans une lettre du 1er dé-cembre 1823 au F. Jean-Marie Gran-jon, Champagnat précise : « Il se pré-sente beaucoup de novices maispresque tous pauvres et très jeunes »et aussi trois hommes ayant passétrente ans. C’est pourquoi Champa-gnat parcourt les environs de Lavallaavec deux frères pour trouver unemplacement nouveau afin de logerles nombreux candidats qui se pré-sentent et qu’il ne peut recevoirmême après les agrandissements.

L’année 1824 est celle de laconstruction de l’Hermitage. Sur les 14novices reçus cette année-là, 6 sontentrés entre janvier et mai. Les 8 au-tres n’entreront qu’entre septembreet décembre. On peut raisonnable-ment supposer que, les frères desécoles (une quinzaine disponibles ?),ceux de Lavalla et leurs novices ontconstitué une masse de manœuvrede 25 à 30 individus. Pour la premièrefois, le F. Avit, utilisant certainement leregistre des prises d’habit, signale (§76) que cette année prennent le cos-tume bleu Jacques Furet (F. Cyprien),Civier (F. Régis), Fara (F. Placide), Pe-ronnet (F. Bernardin).

Au printemps de 1825, la commu-nauté de Lavalla s’installe dans la mai-son de l’Hermitage. D’après le F. Avit(Avit § 3, p. 54), elle comprend alors20 frères et 10 postulants. Les pen-sionnaires ne sont pas mentionnés (3sont entrés entre janvier et avril) maisils ne sont certainement pas restés àLavalla et il faut sans doute évaluer lenombre d’habitants permanents de lamaison à près d’une quarantaine depersonnes, prêtres compris. Vingt-deux frères sont alors dans lesécoles. En 1827, une lettre de Cham-pagnat parle de plus de 80 per-sonnes durant les vacances36.

2.16. Tableau du rythmemensuel des entrées

On pourrait, à priori, penser que lerythme des entrées se calque sur ce-lui de l’année scolaire d’alors, c’est-à-dire un très fort contingent d’entréesen octobre-novembre. Mais le tableauci-dessous ne vérifie que partielle-ment cette hypothèse et on est surprisde constater que les mois de prin-temps sont une autre période favora-ble à l’entrée au noviciat, parce qu’ilsmarquent, au voisinage de Pâques, lafin de l’année scolaire dans les cam-pagnes et le départ des enfants etjeunes gens vers le gardiennage destroupeaux, soit chez eux, soit commepersonnel loué. Par ailleurs, l’arrivée duprintemps favorise les migrations - etparfois le vagabondage - des jeunesgens. Il n’est donc pas fortuit que les

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36 OM1, doc. 173, lettre à un grand vicaire en mai 1827, § 10.

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postulants de la Haute-Loire arriventà Lavalla à la fin mars et que Cham-pagnat propose à certains d’entreeux, pour les éprouver, de les louer

comme bergers37. En somme, le re-crutement à Lavalla paraît suivre lesrythmes agraires qui commandent enmême temps la scolarité populaire.

78 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

37 Vie, ch. 9, p. 102. 38 Le mot « congrégation » n’a pas encore de sens canonique précis. Il signifie encore « association

religieuse ». D’ailleurs les membres de la congrégation ne font pas de vœu.

fms Cahiers MARISTES31

J F M A M J J A S O N D

1822 8 1 2 3 2 4 1

1823 1 1 4 2

1824 3 3 2 1 2 3 4 1 3

1825 3 1 4 4 1 2 1 4 1

1826 1 3 1 1 1 6 2 3 1

1827 1 3 6 2 2 3 4 3 1

Total 8 7 14 12 9 2 1 10 19 14 14 6

CONCLUSION

Entre 1817 et 1822, la maison de La-valla devient un petit centre de diffusionde l’instruction doté d’un noyau durd’une dizaine de membres et d’une pé-riphérie floue mais concernant pasmal de monde. C’est une Institution po-lyvalente qui délivre non seulementl’enseignement élémentaire (école)mais un enseignement primaire supé-rieur pour de futurs Instituteurs etmême une initiation au latin pourquelques-uns. Vers 1820, c’est une

œuvre qui fait parler d’elle au niveaud’une petite région, et les années1822-27 sont celles de son établisse-ment en centre de formation dont l’in-fluence s’étend sur la Haute-Loire,l’Ardèche et la Loire. En 1824, recon-nue par le diocèse de Lyon commecongrégation diocésaine38, elle estdéjà une œuvre supra-diocésaine.Transférée à l’Hermitage, l’œuvre setransforme peu à peu, abandonnantune complexité de fonctionnement quidevait être délicate à gérer mais qui lafaisait vivre en symbiose avec le milieu.

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Géographie du recrutement

Un schéma dressé à partir de l’ori-gine des novices en 1817-1827 permetde définir un certain nombre degrandes caractéristiques : il concerneune zone centrale comprenant La-valla et les agglomérations alentourqui, à elles seules, donnent 21 no-vices. Cette zone s’étend naturelle-ment vers le Sud jusqu’à Annonay età l’Est jusqu’au Rhône. C’est ensomme l’aire naturelle du recrute-ment portée par les échanges cultu-rels et commerciaux. Quarante sixnovices sortent de cette zone.

Nous savons que la zone Ouest,située en Haute-Loire mais aussi auSud-Ouest de la Loire, n’apporte desvocations qu’à partir de 1822 sans

qu’aucune école y soit installée. Leurnombre est absolument remarqua-ble : 21. Mais il faut souligner que c’estmoins de la moitié des vocations dela zone décrite précédemment.

Enfin, au Nord de Lavalla et SaintÉtienne s’allument des zones plusmodestes : les Monts du Lyonnais ; laplaine de Feurs et le rebord du Forez,la région de Charlieu. Le lien entre ceszones et la fondation des écoles estmanifeste dans deux cas sur trois.Cependant, il n’est pas indifférentde remarquer que la Haute-Loire et larégion de Feurs, qui donnent un nom-bre significatif de vocations, sont deslieux où M. Courveille a vécu. Enfin,quelques vocations ont des originesplus lointaines : ce sont souvent desjeunes gens issus de l’émigration oudu vagabondage.

André Lanfrey, fms 79

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ANNEXE

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80 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

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3.APERÇUS SUR LA VIE ÉCONOMIQUE À LAVALLA ET À L’HERMITAGE

Dans ses Annales de l’Institut39, leF. Avit s’est intéressé aux conditionsmatérielles dans lesquelles l’Institutest né et a grandi. Il a même consultéles archives existantes sur ce point. Ilnous rappelle qu’en 1817 le P. Cham-pagnat n’avait que son traitement devicaire, qui n’était pas assuré par legouvernement mais par la commune,et dont le montant exact n’est pasconnu. N’est pas davantage connu leloyer de la maison Bonner où il établitses deux disciples le 2 janvier 1817.Comme mobilier, il y a quelques meu-bles donnés et deux lits en planchesfabriqués par Champagnat. Le linge,les ustensiles de cuisine sont rares ouabsents.

3.1. Peu de sources dansles années 1817-1822

Nous savons que le 1er octobre1817, M. Courveille et Champagnatachètent la maison moyennant 1000F. Mais il faudra passer un nouvel actele 26 avril 1818 pour 1600 F. Pour vivre,les premiers frères font des clous ettravaillent la terre. Nous savons par lemémoire Bourdin que, lorsqu’ils com-mencent à s’occuper des enfants, ilsquêtent des dons en nature et que lecuré Rebod semble avoir contribué àpayer la maison. Le F. Avit signale40

qu’une veuve, nommée Oriol, donne200 F. à Champagnat. En outre, uncertain nombre d’enfants de l’écolepayent une rétribution et la maisonloge quelques pensionnaires. Le ca-suel (messes, enterrements, bap-têmes…) doit aussi fournir au P.Champagnat un appoint non négli-geable.

Quant à l’habit donné à partir de1817 et certainement payé par celuiqui l’endosse, le F. Avit affirme (1826§52) que, jusqu’en 1826, il est confec-tionné par les tailleurs et cordon-niers de Lavalla.

D’autres questions peuvent êtresoulevées. Par exemple, lorsque l’Ins-tituteur Maisonneuve vient tenir écolechez les frères et vivre en commu-nauté avec eux, en 1819 probable-ment, quelle rétribution était verséepar la commune et la somme allait-elle en tout ou en partie dans lacaisse des frères ? Comme la Vie si-gnale que Maisonneuve est renvoyéà cause de « sa conduite irrégulière ettrop mondaine41 », il est permis depenser qu’une des causes de sonrenvoi est d’ordre financier. Par ail-leurs, nous voyons les frères exercerdes fonctions d’auxiliaire paroissialtelles que chantre, et il se peut que lafabrique leur ait consenti des dé-dommagements.

En tout cas, la communauté desorigines est certainement pauvre et,encore en 1822, l’inspecteur Guillard

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39 Année 1817, § 13-16. 40 Annales des maisons. Lavalla.41 Vie, ch. 7, p. 75.

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constate cette pauvreté42. Néan-moins quand, vers la Toussaint 1819,Champagnat vient loger avec lesfrères, cette pauvreté est compatibleavec la dignité sacerdotale.

En fait, c’est une existence au jourle jour, avec des rentrées d’argentaléatoires et un approvisionnementdépendant largement des terres cul-tivées par les frères. C’est le tempsdu provisoire et, dans une certainemesure, de la survie, en attendantque la Providence et l’expérience in-diquent la voie à suivre. Néanmoins,les registres tenus à partir de 1822nous permettent de suivre à peuprès la vie économique et mêmenous suggèrent la situation anté-rieure. Le déménagement à l’Hermi-tage permettra de perfectionner cetteorganisation économique.

3.2. La fabrication des clous

La fabrication des clous a été lapremière source de revenus desfrères à Lavalla car la fondation faiteen hiver ne permettait pas le travaildes champs et c’était un peu partoutdans les fermes une activité hivernale.Néanmoins, les registres de compten’en portent la trace que tardive-ment. La première mention en estfaite le 24 janvier 1826 : « reçu pour lafaçon des clous : 30 F. » et le 6/2/1826,le même registre porte: « Donné au F. Jean-Pierre pour du fer pris chez

M. Nérand à Saint Chamond : 140 F.43 ».Comme Neyrand est négociant enclous, on peut supposer qu’au moinsune partie de la somme concerne lesfameuses baguettes de fer appelées« verges » qui étaient ensuite coupéeset martelées pour faire les têtes et lespointes des clous. C’est sans douteencore l’activité du F. Jean-MarieGranjon qui, d’après le mémoire Bour-din44, s’était retiré vers 1826 dans unecabane au-dessus de l’Hermitage oùil forgeait. Une autre mention descomptes ne laisse aucun doute : le25/12/1828, « Donné à M. Estiennepour payement du fer à faire desclouds : 10.50 F. » (OFM/1 p. 423).

Deux choses sont donc certaines :jusqu’en 1826, on forge des clous chezles Frères Maristes et on les com-mercialise. Ensuite, le travail de forgecontinue mais nous n’avons pas decertitude quant à leur commercialisa-tion : il se peut que la fabrication soitdestinée seulement aux besoins de lamaison. D’ailleurs, l’achat de 1828, peuélevé, suggère cette hypothèse. Enoutre, le registre des dépenses nementionne pas d’achat de clous avant1835. Cette année, en avril et juillet, leregistre note deux achats à M. Brosse,marchand de clous, à Saint Julienpour une somme d’ailleurs peu im-portante : 18.6 F. (OFM/1, p. 456).

A partir de 1837, les achats declous se multiplient : le 10 janvier1837, achat à la veuve Rossilliot de

82 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

42 OM1, doc. 75.43 Registre des dépenses, OFM/1, p. 333 et 409. 44 OM2/ doc 754.

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10 000 clous et 3000 pointes pour 70F. Le 29 septembre 1837 : « Donné àFara de Lavalla, faiseur de clous :46 ». En décembre nouvel achat aumême pour 42 F.

Ces dépenses sont en grandepartie liées à la cordonnerie de l’Her-mitage dont le F. Avit évoque le fonc-tionnement :

« Depuis 1817, le P. Champagnat s’était servi descordonniers de Lavalla pour la chaussure des FF45.Depuis quelques années46 (il évoque l’année 1833),les nommés Diosson et Roux faisaient ce métier dansla maison. Celui-ci prit l’habit en 1834 sous le nomde F. Pacôme et le bon Père l’établit chef de lacordonnerie. Il n’était pas habile mais la chaussuredes frères n’était pas mignonne. On y employaitparfois un cuir mal tanné dont on aurait pu comptertous les poils. »

L’hypothèse d’un abandon de lafabrication des clous vers 1835 sem-ble donc assez pertinente, d’autantque les Frères Maristes commencentà connaître alors une certaine ai-sance financière.

3.3. Le textile à Lavallapuis l’Hermitage

Claude Fayol, le futur F. Stanislas,entre au noviciat le 12 février 1822, àl’âge de 22 ans. Comme il est tisse-

rand, « on plaça un métier dans la cui-sine sur lequel il fit de la toile pendantquelque temps pour gagner quelquessous47. » Le F. Stanislas lui-même nesemble pas avoir continué cette acti-vité à l’Hermitage. Néanmoins, la mai-son deviendra un centre de productiontextile non négligeable qui procurera letissu nécessaire à une taillerie établiedès 1826, que le F. Hippolyte « qui sa-vait un peu coudre » dirigera pendant43 ans (Avit, 1826 § 52).

Dès 1827, est établi un atelier derubans où sont employés les frères etpostulants fatigués ou incapablesd’un autre travail. Dans une lettre de1829, le P. Champagnat précise qu’ilest dirigé par M. Séon48. La mêmeannée 1827, le P. Champagnat, le F.Pierre et quelques autres enclosent lacour du midi et créent un bâtimentcomprenant boulangerie, « vacherie »(étable) et plusieurs dépôts. Peuaprès on y place une carderie de laine(Avit, 1827 § 60) à laquelle sera jointun tissage de drap dirigé par le F.Jean-Joseph (Chillet Jean-Baptiste)49.Le F. Avit reconnaît que ce frèren’avait pas d’aptitude à l’enseigne-ment « mais il était habile à tisser latoile et le drap. » D’ailleurs, le livre desdépenses renferme de nombreuxachats de laine, et le registre des re-cettes note de nombreuses ventes de

André Lanfrey, fms 83

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45 Dans les actes du procès diocésain de béatification, Mlle Françoise Baché, de Lavalla déclare en1886 : « Mes parents faisaient ses souliers et ceux des premiers frères » ; renseignement fourni par le F.Henri Réocreux.

46 Vers 1830. Voir Avit, 1833, § 112. 47 Annales de l’Institut, 1822, § 34. 48 OM1, doc. 185. L’abandon de la fabrication des rubans a eu lieu avant 1838. 49 Natif de St Denis sur Coise, entré le 4 juillet 1826, ayant pris l’habit le 10 novembre de la même

année, il fait profession perpétuelle le 8 septembre 1828.

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drap par le F. Jean-Joseph. Le F. Avit(1840 § 703) précise que « le drapdestiné aux soutanes, aux manteauxet aux bas étant fabriqué à l’Hermi-tage était assez grossier, mais il du-rait longtemps. » Le choix des bas dedrap pour les frères en 1828-29 seraitdonc motivé essentiellement par desraisons économiques, la maison étantdésormais capable de confection-ner elle-même les chaussettes desfrères.

Enfin, en 1827, « une vieille fillenommée Gabrielle vint se fixer à côtéde la maison pour avoir soin dulinge. » Les comptes portent la tracede ses quelques dépenses mais aussimentionnent très souvent les journéesdes lavandières, certainement desfemmes habitant à proximité etpayées 1,30 F. la journée, ce qui estun assez bon revenu puisqu’alorsun manœuvre ne gagne guère qu’1 F.Le registre des dépenses porte pourla première fois le 27 février 1827 :« Donné pour laver le linge ou pourcendre50 : 12 (F) ». Il faut attendre le8 février 1832 pour trouver : « Donnéaux femmes qui ont lavais (sic) la les-sive 7, 80 F » et le 10 : « Donné pourla lessive : 28, 50 (F) ». On retrouvemention de la lessive en avril, juin,septembre, octobre, novembre de lamême année. On a donc l’impressionque jusqu’en 1832 on ne fait appelqu’incidemment à des lavandièresmais qu’ensuite, la maison étant de-

venue plus nombreuse et moins pau-vre, les lessives sont confiées à desfemmes.

3.4. Librairie de Lavallaet l’Hermitage

Le registre des inscriptions men-tionne non seulement le prix de lapension que versent les novices oules pensionnaires mais aussi les four-nitures scolaires qu’ils achètent à lamaison, ce qui fait de Lavalla un pe-tit centre de diffusion du livre et dumatériel scolaires, certainement bienavant 1822. Souvent le même livreconnaît des tarifs différents, proba-blement selon qu’il est plus ou moinsusagé. On peut remarquer que l’en-cre n’est pas achetée, probablementparce que fabriquée sur place à par-tir de la noix de gale51. La maison nevend pas d’ardoises, accessoiresque l’enseignement mutuel diffusepourtant largement, mais des mains52

de papier. Enfin, on ne trouve ni ou-vrage d’initiation au latin ni manuelsd’histoire ou de géographie qui relè-vent d’un enseignement de collège.Le programme des études de Lavallaest donc réduit aux matières fonda-mentales.

Pour l’apprentissage de la lec-ture, les alphabets sont assez rares,sans doute parce que la majoritédes arrivants (novices et pension-naires) semblent déjà connaître leurs

84 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

50 On utilise peu le savon mais on fait bouillir le linge avec de la cendre. 51 Plante parasite du chêne ayant la forme d’une bille. Broyée, elle donne une encre de couleur marron. 52 Liasse de 25 feuilles de papier.

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lettres. L’ouvrage de lecture élémen-taire est le « principe » (de lecture).Puis les lecteurs se forment à la lec-ture suivie dans « la Bible » de Royau-mont : une histoire sainte. Nous pour-rions donc distinguer trois niveaux delecture des novices et pensionnaires :un petit nombre ayant besoin d’êtrealphabétisés ; la plupart devant êtreinitiés à la lecture courante puis à lagrammaire, et à l’écriture, d’où l’achatde plumes et de mains de papier.Quant à l’arithmétique, elle est sansdoute réduite à l’apprentissage desquatre opérations. La civilité s’ap-prend dans l’ouvrage de J.B. de laSalle : Les règles de la bienséance etde la civilité chrétienne. Comme la Bi-ble de Royaumont, elle sert à perfec-tionner la lecture53.

Le dernier élément fondamental del’enseignement est le catéchisme.

Mais celui du diocèse n’est pas le plusfréquent : les novices semblent dispo-ser d’un ouvrage plus développé dontl’auteur n’est pas mentionné. Un telchoix n’aurait rien d’étonnant puisquela vocation catéchétique des frères estfortement affirmée. Le catéchisme deCalot, cher, semble une exception.

Donc, Lavalla est une école pri-maire offrant un niveau de formationassez développé. Et surtout la pré-sence de la Conduite des frères desécoles chrétiennes parmi les livres im-portants montre qu’elle forme de fu-turs maîtres à la méthode simultanée.C’est ce que l’on commence à ap-peler une école normale. Les nom-breux livres de piété rappellent qu’ils’agit d’un noviciat mais il est vraiqu’alors la littérature pieuse est unecomposante normale de l’appren-tissage des Instituteurs.

André Lanfrey, fms 85

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53 Elle est imprimée en caractères de civilité qui ressemblent à l’écriture gothique. 54 On compte encore selon deux modes : en sous et en francs. Un franc vaut 20 sous.

Livres Sous54 Francs et centimesAlphabet 0.25

Arithmétique 5. 0.25

Bible (de Royaumont) 1.25

Bible (de Royaumont) 27 1.35c

Bible (de Royaumont) 1.25c

Bible (de Royaumont) 1.40c

Bible (de Royaumont) in 12 28 1.40

Cantique 9 0.45

Catéchisme 0.40

Catéchisme 11 0.55

Catéchisme 11 0.55

Catéchisme de Calot in 12 2.65

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Pour se procurer ces ouvrages, La-valla est en relations avec le libraire-édi-teur Guyot de Lyon qui consent cer-tainement des rabais. Les frères desécoles se fournissent d’ailleurs au-près de Lavalla en livres et matériel

scolaire qu’ils vendent en prélevant unpetit bénéfice : en 1824, le F. J.M. Gran-jon, directeur de Bourg-Argental, verse133 F. pour « argent des livres56 ». Evi-demment, cette librairie sera continuéeà l’Hermitage. En 1829, le P. Champa-

86 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

55 Instructions chrétiennes pour les jeunes gens, ouvrage de dévotion. J’en possède une édition im-primée à Lyon chez Lambert-Gentot, en 1826.

56 OFM/1, doc. 105, p. 303.

fms Cahiers MARISTES31

Catéchisme du diocèse 5 0.25

Catéchisme 0.25

Chemin de Croix 18 0.90

Chronologie (biblique ?) 17 0.85

Civilité 0.25

Civilité 0.20

Civilité 4 0.20

Conduite des frères 32 1.60

Exercice de piété 5 0.25

Grammaire 0.50

Grammaire française 16 0.80

Grammaire in 12 16 0.80

Heures de Lyon 27 1.35Heures de Lyon avec Chemin de croix in 18 36 1.80

Heures de Lyon 1.50

Instruction (des jeunes gens ?) 1.50

Instruction des jeunes gens55 17 0.85

Livre d’off[ice] (de la Sainte vierge ?) 0.50

Livre d’office 0.50

Office de la Sainte Vierge in 24 13 0.65Livre d’or (ou L’humilité en pratique par Dom Sans de Sainte Catherine) 14 0.70

Main de papier 8 0.40

Plumes : paquet de vingt quatre 8 0.40

Principe (de lecture) 5 0.25

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gnat déclare que c’est le P. Bourdin quien est chargé57. En 1838, ce sera le F.Louis (Avit, 1838, § 387).

3.5. Les pensionnaires etles novices

Nous ne reviendrons guère sur lesrevenus procurés par les pensions quis’élèvent à plus ou moins deux centsfrancs par an, comme celle des no-vices. Mais chaque entrée semble re-lever d’un contrat particulier que lestatut des pensionnaires révèle bien :certains paient 10 F. ; d’autres 15, 20 oumême 25 F. par mois mais avec desservices différents parfois expressé-ment notés. Il faut souligner en tout casqu’il s’agit de sommes très impor-tantes : un ouvrier qualifié gagne alors2 F. par jour ouvrable et donc plus oumoins 600 F. par an. Dans ces condi-tions, il n’est pas étonnant que les pen-sions ou le prix du noviciat soient ac-quittés peu à peu ou supportent desaccommodements. En fait, l’Hermi-

tage est riche de créances mais l’argententre très lentement et les problèmesde trésorerie sont quasi permanents.

3.6. Des retards depaiement étonnants

Quelques documents sur le paie-ment des frais de noviciat nous paraissentdignes d’une attention plus spéciale parles personnes impliquées et par l’impor-tance des sommes en jeu. Le registred’inscriptions dans un « Compte ap-proximatif de ce qui nous est dû »(OFM/1, doc. 109, p. 328) daté du 6 no-vembre 1825, révèle que certains frèresentrés depuis longtemps figurent parmiles débiteurs, en particulier Gabriel Rivat.Autre surprise : le document mentionne« les deux Chomat », c’est-à-dire lesdeux Instituteurs de Sorbiers, Louis Cho-mat et Arsène Fayol qui deviendront lesF. Cassien et Arsène, et qui semblent déjàassociés secrètement à l’œuvre deChampagnat. D’ailleurs leur biographie58

apporte là-dessus un certain éclairage.

André Lanfrey, fms 87

mars2013

57 Ibid. 58 Biographie de quelques frères, édition 1868, p. 195-198, indique des contacts entre eux et lui vers

cette époque. Ils ne feront d’ailleurs pas de noviciat mais, entrés le 19 septembre 1832, ils revêtent l’ha-bit religieux le 7 octobre et repartent dans leur école. Il semble que les habitants de Sorbiers aient con-sidéré cette affiliation comme une trahison et le P. Champagnat devra fermer l’école. On est peu de tempsaprès la Révolution de 1830, dans une ambiance anticléricale, mais il se peut que Louis Chomat, jusquelà pratiquant la méthode mutuelle, soit passé à la méthode simultanée, ce qui, dans une ambiance denouvelle guerre scolaire, pouvait passer pour une provocation.

59 Cette colonne est rajoutée par nous pour permettre de situer la personne. 60 Comme pour « les 2 Chomat », Benoît Deville semble lié à l’œuvre sans être encore frère.

État civil (rajouté par nous) Somme due

« Poinard Claude Poinard. F. Étienne. Entré le 11/11/2359 60

Frère du F. Jean-Pierre F. Benoît (Deville). Entrée et vêture en 182860 400

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Nous comprenons donc mal queles F. Louis, Laurent et François doi-vent encore en 1825 des sommes im-portantes, comme s’ils n’avaient en-core pas acquitté leur noviciat. Dansle doc. 140 (OFM/1, p. 557), figure un

autre inventaire intitulé, cette fois :« Frères qui n’ont pas fini de payer leurnoviciat ». Non daté, il semble établivers 1830. Une première liste de 13noms concerne encore deux frèresentrés avant 1822 dont le F. François61.

88 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

61 Mais la mention de la somme semble signifier la fin du paiement. Il pourrait en être de même pourBarthélemy Badard qui n’est d’ailleurs pas signalé comme débiteur dans la liste de 1825.

fms Cahiers MARISTES31

Furet de st Pal F. Cyprien. Entré le 3/9/22 400

F. Pierre Souchon Jean. Entré le 20/10/24 400

F. Hilarion Girard. Entré le 28/3/22 180

F. Marie-Lin ? 50

F. Ambroise Pinsonnel Jean. Entré le7/9/24 300

F. Dominique Exquis Benoît. Entré le 14/10/24 200

F. Joseph Bret Entré le 5/8/1825 400

Jean-Claude Jalon F. Clément. Entré le 27/6/25 400

F. Louis et Laurent Les deux frères Audras entrés en 1817 1000

Les deux Chomat Il s’agit des F. Cassien et Arsène (Louis Chomat et Césaire Fayol) qui entreront le 19 septembre 1832 2000

Auguste Ayou Pensionnaire 220

Nolin Pensionnaire 220

Jean Fara Pensionnaire puis frère 120

Gabriel Rivat F. François. Entré le 6 mai 1818. 400

F. Jean-Pierre » Jean Deville. Entré le 14/5/25 200

Somme reçue Entré le Nom civil

« 1° F. François. Reçu 100 6/5/1818 Gabriel Rivat

2° F. Barthélemy 100 1/5/1819 Barthélemy Badard

3° F. Joseph 28/3/1822 Georges Poncet

4° F. Jean-Bap(tiste) 28/3/1822 J.B. Furet

5° F. Théodoret 20/1/27 Thomas Fayasson

6° F. Hilarion 28/3/1822 Joseph Girard

7° F. Jean-Marie 2/12/1826 Claude Bonnet

8° F. Abel 25/9/1825 Jean Etienne Dumas

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Il faudrait donc considérer que lepaiement du noviciat s’étale sur unetrès longue période et aussi qu’un cer-tain nombre de personnes sont atta-chées à l’œuvre sans être officielle-ment frères, soit parce qu’elles se sontformées à Lavalla soit parce qu’ellessont liées officieusement à l’œuvre deChampagnat. Ces comptes paraissentdonc bien étranges. Peut-être cer-taines de ces sommes sont-elles liéesà la légitime (l’héritage) des frères quidoivent en faire bénéficier la maison.En tout cas, si le paiement des frais denoviciat s’effectue souvent sur unetrès longue période, personne n’ensemble dispensé.

CONCLUSION

L’économie de l’œuvre des frèresà Lavalla s’établit donc dans les pre-mières années sur un trépied : d’unepart, l’exploitation des ressourcesagricoles de la propriété ; d’autre part,

des activités artisanales destinéesau début à procurer des ressourcesfinancières et ensuite à réduire les dé-penses ; enfin, la fonction de noviciat-pensionnat-école normale qui as-sure lentement des rentrées d’argent.La complémentarité entre ces res-sources est manifeste : la productionagricole assure plus ou moins la viequotidienne ; les revenus artisanauxpermettent d’alimenter une trésore-rie minimale ; les sommes fournies parla formation donnent des ressourcesplus importantes mais sur le longterme.

Par ailleurs, l’examen des sourcesfinancières donne de l’œuvre de La-valla une image plus complexe queles récits classiques des origines : lafraternité n’empêche pas que chacunpaie ce qu’il doit et elle semble avoir,durant l’époque de Lavalla, des fron-tières plus floues et plus larges que legroupe restreint dont la tradition nousa laissé le souvenir.

André Lanfrey, fms 89

mars2013

9° F. Damien 31/10/1824 J. M. Mercier

10° F. Xavier 11/4/1825 Gabriel Prat

11° F. Hyppolite 20/9/1826 Jean Remillieu

12° F. Enselme 5/2/1827 Etienne Poujard

13° F. Mathieu 19/11/1827 Philibert Derisson

14° Régis (sic) 28/3/22 François Civier

15°J. Chrysostome 25/2/1829 Doche Louis

16° F. Benoît » 19/5/1828 Jean Deville

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4.LA GESTION DES ÉCOLES DE 1818 À 1827

4.1. De l’école paroissialeà l’école communale

Entre l’établissement de l’école deMarlhes en 1818 et le prospectus de1824 qui propose au public les ser-vices des Petits Frères de Marie sedéroulent six années qui ont permisau P. Champagnat d’affiner les condi-tions financières et matérielles de

fondation et de fonctionnement desécoles.

4.2. Le prospectus de 1824

Les Petits Frères de Marie publientdonc, sous l’autorité du diocèse, en juil-let 1824, un prospectus probablementrédigé par M. Cholleton, vicaire général,qui s’inspire d’un projet certainementplus proche de la pensée de Champa-gnat62. Toujours est-il que les diffé-rences entre eux paraissent flagrantes.

90 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

62 F. Pedro Herreros, La regla del Fundador, sus Fuentes y evolución, Rome, 1984, p. 20-24.

fms Cahiers MARISTES31

Projet (juin 1824 ?) Prospectus (juillet 1824)

Traitement : 400 F. pour deuxfrères ; 600 F. pour 3 frères.

Traitement : 800 F. pour deuxfrères ; 1200 F. pour trois frères.

Un petit mobilier valant 1500 F. pourtrois frères ; 1000 F. pour deux ; 800F. quand les frères ne passent quel’hiver.

Une maison convenable pourvue dumobilier nécessaire.

400 F., un logement et un mobilierconvenable pour 2 frères n’exerçantque l’hiver.

Un bâtiment apte à l’enseignement. Les communes peuvent percevoir,des parents aisés, une rétributionscolaire.

Un jardin.

Un lieu de récréation pour les enfants.

Appel aux prières et libéralités desparoissiens et à la bienveillance descurés.

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Il semble que le projet, fidèle audésir de répondre aux besoins despetites communes, réduise au maxi-mum les exigences financières etimmobilières. En outre, il entérine latradition de l’école durant l’hiver : dela Toussaint à Pâques. Avec le pros-pectus, on fait le choix d’une œuvreassez différente qui ne peut intéres-ser que les communes les plus im-portantes mais semble, par bien desaspects, plus réaliste. En particulier,le prospectus prévoit une rétributionscolaire perçue par la commune etnon par les frères, ce qui leur évitebien des embarras.

Comme le projet ne parle pas desrétributions scolaires, pourtant per-çues déjà dans plusieurs écoles, il fautconsidérer que, s’adressant auxconseils municipaux, il indique lasomme versée par la commune etlaisse de côté l’argent reçu directe-ment par les frères au moyen des ré-tributions scolaires. Le projet supposeaussi les apports financiers dequelques notables soit sous forme derentes soit directement par subven-tion annuelle. C’est d’ailleurs le scé-nario des fondations de Bourg-Ar-gental, Saint Sauveur et Saint Sym-phorien-le-Château. Le prospectus,lui, fait discrètement appel aux libé-ralités des habitants (article 12).

En somme, le projet ne prévoiraitque l’argent public dépensé pourl’établissement des écoles tandis quele prospectus est plus global.

4.3.Les tâtonnements des années 1817-1822

Ce texte normatif est, en tout cas, lefruit de l’expérience acquise entre 1818et 1824 au prix de bien des déboires.Nous avons un bon exemple de cetemps en observant la situation finan-cière des écoles fondées avant 1824.

Le statut de l’école de Lavalla nesemble guère avoir été fixé. Après ladescente à l’Hermitage, l’école de-vient une annexe de la maison-mère,deux frères n’y faisant l’école que du-rant l’hiver et descendant les jeudispour s’approvisionner, comme le fai-sait le F. Laurent vers 1819 au Bes-sat63. A Tarentaise, le F. Laurent,vers 1822, est dans une situation en-core plus précaire : « Il préparait lui-même sa chétive nourriture, cou-chait dans le dortoir des latinistes (del’école presbytérale du curé Préher)et faisait sa classe dans une grange. »

Marlhes, fondée en 1818, ne paraîtpas davantage établie financièrement.L’école est considérée comme uneannexe de la cure et relevant des res-sources de celle-ci. Aussi les condi-tions matérielles sont-elles peu conve-nables. Il faut recevoir des caméristesdans un local très insuffisant : « on ga-gnait même de l’espace en faisantcoucher 2, même 3 enfants ensem-ble dans des lits un peu plus larges »,comme c’était encore l’usage dansbien des familles et « les frères avaientà peine un petit réduit pour eux64. »

André Lanfrey, fms 91

mars2013

63 F. Avit, Annales des maisons, Province de l’Hermitage, Lavalla.64 Ibid. Marlhes.

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Devant la mauvaise volonté du curépour remédier à une telle situation, leP. Champagnat retire les frères en1822. Vanosc, fondée cette mêmeannée 1822, n’est pas mieux lotie :très mal logés, les frères en seront re-tirés aux vacances de 1826 ou àPâques 1827.

Saint Sauveur, fondée en 1820, re-lève d’un cas différent car fondée parM. Colomb de Gaste, le maire. Il au-rait versé 400 F. de prime d’installa-tion et un mobilier de la même valeur.Pour le traitement des deux frères, lacommune aurait donné 350 F. et M.Colomb 200. Une rente de 100 F. ti-rée de la location d’un pré, une autrerente de 50 F. venant de M. de St Tri-vier, ainsi que les rétributions scolairesdes élèves écrivains (les plus avan-cés qui apprennent à écrire) : 100 F.Le total fait théoriquement 800 F. Maisles rétributions rentrent mal, la popu-lation étant réticente à payer pours’instruire et le nombre des élèvesécrivains étant faible.

A Bourg-Argental, nous avons unscénario semblable : M. De Pléné,maire, et le vicomte de St Trivier as-surent la fondation. Ils fournissent lemobilier et il semble que la prime defondation ait été obtenue par unesouscription de bienfaiteurs. Quant autraitement des trois frères, il est endeux parts : 600 F. de revenu garanti,on ne sait par qui, et les 600 autresobtenus par des rétributions sco-laires. Le 7 février 1824, le registre desinscriptions (OFM/1, doc. 105, p. 303)indique que le F. Jean-Marie Granjona payé 600 F. pour l’année 1822 et,

pour l’année 1823, 300 F. de traite-ment des frères. Il y a aussi 133 F.d’argent des livres, probablement lebénéfice sur les fournitures scolairesaux enfants mais 59 F. seulement derétribution scolaire. Enfin, le F. Jean-Marie rembourse 60 F. prêtés par lamaison-mère. Comme les rétribu-tions ne donnent pas l’argent es-compté, en 1824, M. de Pléné s’en-gagera à fournir 1000 F. Quant à M. deSaint Trivier, il concède un capital de10 000 F. qui donne une rente annuellede 500 F. Mais le F. Avit note quejusqu’en 1832 le revenu des 3 frèresn’est que de 980 F. au lieu des 1200promis.

Boulieu est fondée en 1823 par lecuré Dumas, le maire Mignot et la fa-mille de Vogüe. Le F. Avit pense quele mobilier a été « fourni en nature »,c’est-à-dire composé de meublesdonnés et doute qu’une prime d’ins-tallation ait été versée. Quant au trai-tement des deux frères, il est de 800F. fourni pour moitié par la communeet le reste par la famille de Vogüe. Lesenfants ne paient pas de rétributionscolaire.

A Saint Symphorien-sur-Coise(Saint Symphorien le Château), c’estle maire, M. Clérimbert, qui prend l’ini-tiative d’écrire à Champagnat le 15septembre 1823 en annonçant que lacommune est prête à donner 400 F.,le logement et le mobilier pour deuxfrères, le reste étant acquitté par lesrétributions scolaires. Le curé, M.Roch, écrit aussi. Cette fondationsemble avoir été assez précipitée,peut-être pour concurrencer une

92 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

fms Cahiers MARISTES31

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école mutuelle. Ouverte vers la Tous-saint 1823, dès 1825 l’école a troisfrères. Le revenu a dû être trop mo-deste puisque le Marquis de Nobletzen 1828 dote l’école d’une rente de650 F.

La fondation de Chavanay, à laToussaint 1824 après les démarchesdu curé Gauché, ne correspond pasencore à l’application du prospectusmais est très proche du projet. Le F.Avit mentionne, pour cette école dedeux frères, une prime d’installationde 400 F., un mobilier valant 500 F. etun traitement de 400 F. par frère. Lelocal est en très mauvais état65.

4.4. Trois modèles de fondation

Lavalla, Marlhes, Tarentaise et Va-nosc sont paroissiales et donc dé-pendant uniquement du curé quitraite les frères comme des sous-clercs. Apparemment, aucun enga-gement financier précis ne semblepris et ces maisons sont misérablesau point que Champagnat les fermerapidement sauf Lavalla qui va vivoteraprès 1825. Une école exclusivementdépendante de la cure n’est donc pasviable pour les Frères de Marie.

Bourg-Argental et Saint Sauveursont des écoles communales dues àl’initiative des autorités civiles et desnotables. Des engagements finan-ciers assez précis ont été pris, ap-paremment sans intervention des

curés. Le système fonctionne tantbien que mal.

Boulieu et Saint Symphorien-le-Château sont des modèles intermé-diaires qui vont devenir les plus fré-quents. Ils reposent sur l’entente descurés, des autorités communales etdes notables. Comme dans le modèleprécédent, les conditions financièressont précisées. Et avec Chavanay,bien que le fondateur soit le curé, onsemble aboutir à des conditionsproches du projet de prospectus.

4.5. L’esquisse d’unchangement de fond

Ces faits illustrent un début de laï-cisation de l’école, les autorités civiles,même et surtout bonnes catholiquesconsidérant que l’instruction relève deleur compétence. En somme, SaintSauveur est la première école maristede type moderne : une modernité quirend les frères moins dépendants dela cure, leur offre des conditions ma-térielles décentes et les rétribue as-sez correctement.

Reste le problème de la rétributionscolaire car les parents ancrés dansla vieille tradition de l’Église, qui consi-dère l’éducation comme une œuvrede miséricorde et non un mercenariat,rechignent à payer. La perception dela rétribution est donc difficile et le F.Avit remarque que le F. Louis, suc-cesseur du F. Jean-Marie à Bourg-Ar-gental, s’étant montré plus sévère

André Lanfrey, fms 93

mars2013

65 Les renseignements sur les écoles ci-dessus viennent des Annales des maisons.

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pour faire rentrer les rétributions,« plusieurs enfants quittèrent l’école ».

Durant ces années 1818-1823, le P.Champagnat a donc pu expérimenterdifférentes situations et se faire uneidée des conditions nécessaires àl’existence d’une école de deux outrois frères. Il a pu constater l’échecdes fondations uniquement parois-siales et évaluer de manière plusprécise le minimum à exiger. Aussi lesconditions de fondation du prospec-tus de 1824 découlent de ces annéesde tâtonnements marquées par deséchecs ou des fondations mal éta-blies.

4.6. Les difficultés des écoles

Pour autant, même quand il y ades accords financiers, l’argent ren-tre mal. Dans le registre des inscrip-tions, un compte approximatif de cequi est dû, établi au 6 novembre1825 (OFM doc. 109, p. 328) donneune idée des retards de paiementpour l’année 1824 :

Boulieu : 500Bourg-Argental : 1.700 Saint Sauveur : 400Vanosc : 300Chavanay : 500Ampuis : 800Saint Symphorien : 700Charlieu: 800

On remarque que Bourg-Argentalsemble avoir un retard d’au moinsdeux ans. Donc, ce sont 5.700 F. dontles finances de Champagnat ne peu-vent disposer juste avant que Cour-veille et lui ne fassent un emprunt de12.000 F. en décembre 1825.

4.7. Le cas de Charlieu :un prospectus peu appliqué

Cet établissement n’a pas étévoulu par Champagnat mais imposépar le diocèse voulant éliminer l’in-fluence de Grizard, disciple du vicairegénéral Bochard, opposé à la venuede Mgr. de Pins. De plus, c’est uneville dans laquelle il y a un collège etoù exercent des Instituteurs mutuels.M. Courveille, envoyé pour traiteravec la municipalité, tente d’y instal-ler un noviciat de frères et même unemaison missionnaire66. Il essaie ce-pendant de baser la négociation surle prospectus de l’Institut, récemmentimprimé, demande à la commune 600F. par an de traitement - le reste de-vant sans doute être fourni par les ré-tributions scolaires – ainsi que 1000 F.pour l’achat du mobilier et les fraisd’installation. Finalement la communeaccepte ses conditions.

Le F. Avit67, qui n’a certainement pasconnu la lettre du maire de Charlieudonnant les détails de la négociation,présente des renseignements un peu

94 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

66 Voir OM1/doc. 120, p. 343.67 Annales des maisons. Charlieu.

fms Cahiers MARISTES31

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différents : une prime de 400 F. un trai-tement de 425 F. par frère, soit 1275 F.par an, et un mobilier de 1500 F. La villen’aurait assuré que 500 F. pour le trai-tement annuel et les rétributions, fourni

le reste. « Mais il fallait les obtenir à lapointe de l’épée. » Nous pouvons, àpartir de ces diverses sources, dresserun intéressant tableau du passage dela théorie à la pratique :

André Lanfrey, fms 95

mars2013

68 OFM/1, p. 544.

Projet Prospectus Conditions Avitde prospectus (3 frères) de (Annales (3 frères) M. Courveille des maisons)

(OM1/120)

Traitement 600 F. 1200 F. 1200 F. 1275 F.théorique (3 frères)

Traitement Non précisé Non précisé 600 F. 500 F.communal

Rétributions Non précisées Perception Théoriquement Perceptionpar 600 F. difficilela commune par les frères

Mobilier et frais 1500 F. Non précisé 1000 F. 1500 F.d’installation

Cette fondation pourtant exécutéeen référence au prospectus de juillet1824 est donc très loin de l’appliquer.En fait, avec ou sans prospectus, leproblème de fond demeure le refusdes municipalités de consacrer dessommes importantes à l’enseigne-ment populaire et la réticence des fa-milles à verser une somme, mêmemodeste, pour l’éducation de leursenfants. Nous sommes encore dansun ancien régime éducatif dontChampagnat et les frères doivents’accommoder. Il faudra attendre laloi Guizot (1833) pour qu’un traite-ment minimal de 200 F. soit imposépar l’État aux communes. Quant auP. Champagnat, il recherchera sys-tématiquement les écoles gratuites

ou dont les rétributions scolairessont perçues par la commune. Maisen 1824, nous n’en sommes pas là.Le prospectus anticipe donc surl’avenir.

4.8. Les versements des écoles à la caisse commune(1825-1832)

Le livre de comptes68 nous permetde suivre année après année la vie fi-nancière des écoles même si les in-dications données sont souvent d’in-terprétation difficile. Il est notammentdélicat de connaître le traitement an-nuel car les versements sont très ir-réguliers et le plus souvent en retard.

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Le moyen le moins mauvais deconnaître les revenus des frères estd’additionner dépenses et verse-

ments à la caisse commune. L’échan-tillon de 10 des plus anciennes écolesdonne les résultats suivants :

96 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

69 En 1826, 40 F. à Charlieu et 79 à Ampuis (OFM/1 p. 548-549).70 OFM/1, doc. 138, p. 554.

fms Cahiers MARISTES31

École Année Fourchette Fourchettedes dépenses des versements des frères annuels à

la caisse commune

Chavanay 1825-31 305-511 F/an 90 - 141

Bourg-Argental 1825-32 364-665 450-937

Saint Sauveur 1825-32 300-561 48-100

Boulieu 1825-31 306-330 73-153

Saint Symphorien 1825-32 342-389 34-250

Charlieu 1825-32 350-666 107-766

Ampuis 1826-32 514-700 30-141

Mornant 1826-32 400-455 300-654

Saint Paul en J. 1827-32 457-747 132-221

Neuville 1826-32 420-700 100-317

Moyenne 375-572 136-368

Les moyennes permettent de sug-gérer qu’en année basse le revenumoyen d’une école est de 375+136,soit 511 F. ; et en année faste : 572+368,soit 940 F. En tenant compte de reve-nus annexes (vente de livres69), demenus revenus et de l’argentconservé en caisse, on peut évaluerles revenus moyens entre 600 et1000 F. par an. Comme les com-munes et les bienfaiteurs semblentpayer quand ils veulent, quand ils peu-vent ou après de pressantes sollici-tations, il est impossible d’établir unbudget prévisionnel, et un certaindésordre des comptes de Champa-gnat s’explique partiellement par une

économie largement soumise à la né-gligence des débiteurs à acquitter cequ’ils doivent dans des délais raison-nables. Le train de vie très modestedes frères vient moins de la faiblessede leurs revenus que de l’obligationde vivre sans argent quand les débi-teurs ne paient pas.

Enfin, il faut tenir compte des mo-ments de troubles politiques pouvantengendrer des crises financières.Ainsi le P. Champagnat fait le comptedes dettes pour les années 1830-31dans 7 communes. Le total s’élève à1611 F., et va de 450 F. (Bourg-Ar-gental) à 61 F. (Feurs)70. Un tel en-

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dettement découle très probable-ment de la révolution de 1830.

4.9.Le mobilier des frères des écoles…et de Lavalla

La Vie du P. Champagnat nousdonne quelques détails sur la viematérielle de certaines écoles entraitant du chapitre de la pauvreté71.Nous y apprenons que les frères,même malades, dorment sur despaillasses et non des matelas, usentde draps d’étoffe grossière, ne boi-

vent pas de vin, mangent du pain deseigle, raccommodent eux-mêmesleurs habits… Le projet de prospec-tus, moins détaillé que le prospectuslui-même sur bien des points, pré-sente cependant une liste du mobilier.Comme les écoles sont les copiesconformes de la communauté deLavalla, elles donnent une bonneidée du mobilier des frères en 1824 etcertainement bien avant. Nouscroyons qu’il n’est pas inutile de pro-duire ici cette liste qui semble prévuepour une communauté de deuxfrères :

André Lanfrey, fms 97

mars2013

71 Vie, ch. IX, p. 370-384. 72 Un lit est sans doute prévu pour la visite du supérieur ou d’un hôte de passage. 73 La livre vaut 0,422 kg. Donc le poids de chaque paillasse serait de 34 kg environ.

« Mobilier requis pour les frères : 1/ Un crucifix, un bénitier en plomb, une image de la T.S. Vierge, de Saint Joseph, et du Saint Ange gardien.2/ Deux prie-Dieu.3/ Trois lits72 composés ainsi qu’il suit : 1° trois bois de lit ; 2° trois paillasses garnies de feuilles de bled de

Turquie (maïs), chacune 80 livres73 ; 3° trois traversins garnis idem ; 4° six couvertures en laine.5/ Une douzaine de draps en toile commune.6/ Deux douzaines de serviettes bonnes et communes.7/ Une douzaine de nappes.8/ Une douzaine de torchons.9/ Une douzaine de tabliers de cuisine en toile bleue.

10/ Une horloge à réveil.11/ Deux armoires ; une à deux portes.12/ Deux petites tables avec tiroir et une pour la cuisine et pour manger.13/ Quatre assiettes pour la soupe, quatre plat(e)s pour la portion, deux un peu plus grandes

pour servir le fricot, une soupière ; le tout en étain.14/ Une demi-douzaine de fourchettes, autant de cuillers et de couteaux de table ;

un panier pour tenir six verres ; un panier pour la salade.15/ Un buffet ou espèce de commode pour la cuisine.16/ Quelque coffre pour tenir du bled ou farine.

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Cette liste est plus indicative qu’ef-fective. Mais elle donne une bonneidée du genre de vie des frères dis-posant d’un oratoire avec bénitier,images et prie-Dieu, et de tables leurpermettant d’étudier, sans doutedans le même local. Pour l’éclairageune seule lanterne est prévue mais lesfrères disposent certainement delampes individuelles. L’horloge leurpermet de se lever à l’heure et de sui-vre leur règlement. L’absence defourneau et de poêle signifie que lacuisine est faite dans une marmitesuspendue dans la cheminée de lacuisine, par ailleurs seule source dechaleur dans la maison. La premièremention de l’achat d’un poêle appa-raît dans les comptes de Lavalla enmars 1824 pour 60 F74.

En matière de literie, les frèresn’ont pas de matelas mais de simplespaillasses. Le linge est assez abon-dant parce que les lessives sont ra-rement faites. La vaisselle, verresmis à part, n’est ni en terre cuite, tropfragile, ni en faïence, un peu luxueuse,mais en étain. Le coffre à bled ou à fa-rine signifie que le pain de seigle estune base de l’alimentation et que les

frères, apparemment, le pétrissent etle cuisent eux-mêmes. La présenced’une poële à frire suggère laconsommation de pommes de terrefrites et les assiettes indiquent laconsommation habituelle de soupe etde « fricot », plat pouvant comporterdes ingrédients divers mais certaine-ment légumes, pommes de terre et,au moins de temps en temps, du lard.On n’exige pas de cave pour entre-poser pommes de terre, saloir ettonneau de vin mais seulement unbuffet dans la cuisine. La batterie decuisine, seulement évoquée, doitcomporter au minimum une marmiteà faire le fricot et la soupe, quelquescasseroles et un assortiment delouches, écumoires…La présencedes seaux rappelle la nécessité de seprocurer l’eau à la fontaine du villageou à une source. Les arrosoirs ser-vent à laver les sols et indiquent queles frères doivent jardiner quoique laprésence d’outils ne soit pas prévue.La présence d’une douzaine dechaises paraît un peu élevée mêmes’il en faut deux ou trois pour la cui-sine, au moins deux avec les tablesde travail et sans doute deux encoreprès des lits. On semble prévoir que

98 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

74 OFM/1, doc. 106, p. 318.

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17/ Deux arrosoirs, deux seaux, deux huilières ; le tout en fer blanc.18/ Une douzaine de chaises.19/ Une lanterne.20/ Une poêle à frire.21/ Une batterie de cuisine dont le détail nous est impossible.

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les frères aient à recevoir diversespersonnes : maire, curé… et tenir depetites réunions.

Au total, cette liste de 1824 mon-tre que le genre de vie des frères esttrès proche de celui des paysans decondition moyenne, activité intellec-tuelle mise à part. La dignité de leurvocation leur interdit d’ailleurs ungenre de vie trop bas. En 183875, l’Ins-titut donnera une nouvelle liste defournitures pour une école de troisfrères beaucoup plus détaillée : pourla cuisine et la vaisselle, elle prévoira42 items ; 15 pour le laboratoire desfrères et le jardinage et 17 pour le lingeet la literie. C’est presque quatre foisplus qu’en 1824. La comparaison deces deux listes, mieux que bien desdocuments, montre le chemin par-couru en 14 ans mais ce serait un au-tre sujet.

CONCLUSION

En un peu plus d’une dizaine d’an-nées, l’œuvre de Champagnat a doncexpérimenté divers types de contratsavec les autorités locales fondatricesd’écoles, le prospectus de 1824constituant une norme interprétéeau coup par coup plutôt que réelle-ment appliquée. Pour Champagnat, la

meilleure formule semble être l’écoleissue de la collaboration entre nota-bles capables de fournir une rente ré-gulière, autorités communales dis-posées à payer une somme signifi-cative et à fournir un local décent, etcuré assumant la responsabilité mo-rale de la fondation. L’idéal est doncl’école gratuite car les rétributionsscolaires rapportent peu et, quandelles sont perçues par les frères,sont des sources de conflits. Commeun tel modèle n’est pas réalisabledans les petites paroisses, Champa-gnat oriente son œuvre vers descommunes d’importance moyenneou des bourgs. Aussi, l’école de deuxfrères fonctionnant seulement pen-dant l’hiver, encore envisagée en1824, ne va guère durer.

Quant à la vie matérielle des frères,elle est, théoriquement, proche decelle des villageois de conditionmoyenne mais les conditions maté-rielles sont assez différentes d’uneécole à l’autre et la lenteur ou les re-tards des paiements, tout autant quel’esprit de mortification, les invitent àvivre chichement. C’est donc au prixde bien des sacrifices que Champa-gnat impose aux communes un sys-tème éducatif moderne dont tout lemonde veut bénéficier mais dontbien peu veulent payer le prix.

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75 Circulaires, t. 1, p. 242.

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5.LES POSTULANTS DE LA HAUTE-LOIRE

5.1. Vagabondage et recrutement

Sur les postulants de la Haute-Loire arrivés en mars 1822, le F. Ga-briel-Michel a donné, dans le Bulletinde l’Institut (T. XVIII, 1969) un articletrès important. Si nous reprenons cesujet c’est sous un angle un peu dif-férent, axé sur deux aspects : lesconditions matérielles et financièresde l’événement et la recherche du fa-meux ex-Frère des Écoles Chré-tiennes amenant ce groupe avec lui.

Faute de registre jusqu’en 1822,nous ne savons pas exactementquelles étaient les conditions finan-cières à la réception des novices.D’ailleurs, dans les premières an-nées, les frères forment une com-munauté autonome vivant de sontravail, des revenus de Champagnat,de dons et aussi de pensions. Néan-moins, la prise d’habit laisse suppo-ser qu’une somme d’argent étaitversée à ce moment-là car elle mar-quait l’entrée dans une communautéet le coût de l’habit était loin d’être né-gligeable. Par ailleurs, le prospectusde 1824 est très clair quant au coût dunoviciat : 400 F. pour les deux annéesde noviciat et un trousseau compor-tant l’habit d’entrée en religion, unedouzaine de chemises ; six ser-viettes ; quatre paires de draps ; unedouzaine de mouchoirs ; deux pairesde souliers. Il va de soi que ces exi-gences sont largement théoriques etexpriment un idéal plus qu’une réalité.

Néanmoins, les années 1822-24 ontservi en quelque sorte de tempsd’essai durant lequel M. Champagnata pu établir un barème permettant àla communauté de vivre.

5.2. Un scénarioprobable

Le récit de la Vie (ch. IX) sur l’ar-rivée des huit postulants et de leurguide, le 28 mars 1822, est d’ailleursplein d’enseignements et aussi decontradictions sur la manière dont aprocédé le recruteur improvisé. Partiavec une lettre de recommandationdu P. Champagnat, il semble ne pass’en servir mais faire reposer sa ten-tative sur deux arguments : sa qua-lité de FEC et le statut de sa famille.Tous les huit postulants n’envisagentpas de se rendre chez les FEC, ceque reconnaît l’auteur de la Vie :« plusieurs étaient déjà décidés à en-trer en religion ». Des conventionsécrites sont même passées « pourdéterminer la pension et les époquesde payement ». Mais le nombre devrais candidats au noviciat de Lyon nedoit pas excéder deux ou trois jeunesgens et le recruteur a promis unedemi-douzaine de sujets à M. Cham-pagnat. Il étoffe donc son groupeavec d’autres jeunes gens cherchantà se placer comme bergers ou petitsvalets durant le printemps et l’été, ouattirés par le goût de voir du pays, dedécouvrir la grande ville. Avec les fa-milles de ceux-ci, il n’y a vraisembla-blement pas eu de convention.

La surprise de Champagnat à leurarrivée n’est pas de voir une troupe

100 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

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de jeunes gens demander l’hospita-lité, mais de les entendre solliciter leurentrée au noviciat. En les question-nant, il s’est rapidement renducompte du peu de sérieux du projet.Il a vu aussi que « la plupart de cesjeunes gens ne donnaient que peu dechoses pour leur pension. » Il refusedonc de les recevoir comme novicesmais ne peut moins faire que de leuraccorder l’hospitalité jusqu’au lende-main. Comme bien d’autres groupesavant eux, ils coucheront à la grange.

Le lendemain, Champagnat lesautorise à rester quelques jours s’ilsle désirent afin de tester leurs moti-vations et de prendre conseil desfrères et de ses amis. Il leur donne unchapelet, les exhorte à la dévotion àMarie et les emploie donc quelquetemps au travail de la terre. Il estnéanmoins peu probable qu’il leur aitimposé la coulpe et les pénitencespubliques comme le dit la Vie quisemble confondre plusieurs époques.En revanche, la Vie cite un témoi-gnage fort crédible de l’un d’eux : ilscouchent dans la paille, mangent unpain noir « qui tombait en pièces »,des légumes, et boivent de l’eau. Leprintemps occasionnant la reprisedes travaux agricoles, ils sont as-treints à un travail pénible « dontl’unique salaire était quelques répri-mandes ou quelques punitions. »

Combien de temps a pu durercette épreuve ? Certainement plu-sieurs semaines. Le renvoi du recru-teur serait intervenu après 15 jours,soit vers la mi-avril, « pour attentatcontre les mœurs » dit le F. Jean-Bap-

tiste qui noircit peut-être un person-nage de toute façon peu enclin à sui-vre un tel régime et qui, compte-tenude son initiation au métier d’Instituteur,peut trouver assez facilement uneplace. Le fait est que son départ n’en-traîne pas celui de ses compagnonset donc qu’il n’a guère d’influence sureux.

Par ailleurs, la Vie rappelle que« dès qu’il fut arrêté que les postulantsseraient admis, M. Champagnat en-voya chez leurs parents un de sesprincipaux frères pour prendrequelques renseignements sur leurcompte et pour faire payer la pensionde noviciat… » et aussi pour recruter« quatre nouveaux sujets ». Une telleopération n’a pu se dérouler qu’aprèsPâques (le 7 avril).

Champagnat envisage de louer lesplus jeunes et peut-être ceux quin’ont pas apporté de pension commebergers jusqu’à la Toussaint. Cettesolution aurait permis d’éviter lesbouches à nourrir, résolu les pro-blèmes de logement en attendant unagrandissement de la maison, permisaux jeunes gens d’acquérir quelqueargent pour payer leur pension, et demieux connaître leurs intentions. En-fin, la Toussaint étant le début de l’an-née scolaire, le temps du noviciat au-rait pu coïncider avec la rentrée desclasses. Champagnat ne retient pascette solution pour des raisons pra-tiques et surtout spirituelles : il va em-ployer la force de travail de cesjeunes gens pour agrandir la maisontout en commençant leur formation etsurtout c’est N.D. du Puy qui a envoyé

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ces sujets. En 1835, dans une lettre àMgr de Pins, il reprendra cette idée quiest peut-être née à ce moment-là :

« Je n’ose refuser ceux qui se présentent, je lesconsidère comme amenés par Marie elle-même76. »

En ouvrant un registre d’admissionen 1822, Champagnat manifeste sym-boliquement que son œuvre prendune dimension nouvelle. Il faut doncétablir plus clairement les conditionsd’accès et déterminer une pensionqui, pour être plus théorique queréelle, sert de base de négociation.Mais cette décision pose une ques-tion : Champagnat, en acceptant despostulants lointains et qu’il ne connaîtpas, n’abandonne-t-il pas une pre-mière forme de son œuvre pour luidonner une organisation mixte : à lafois noviciat et cours normal ? C’estd’ailleurs l’impression qu’a l’inspec-teur Guillard quand il constate que levicaire de Lavalla en avril 1822 n’ins-truit pas des latinistes « mais bien 12à 15 jeunes paysans qu’il forme à laméthode des frères pour les répan-dre dans les paroisses77. »

5.3. Cours normaux et écoles normaleschez les FEC

L’histoire des FEC de Rigault78

rappelle que l’ordonnance de 1816prévoyait que certaines écoles im-

portantes offriraient des leçons auxmieux doués de leurs élèves candi-dats à l’art d’enseigner et que l’on ac-corderait le brevet de 2° degré auxmagisters qui emploieraient la mé-thode simultanée. Rigault ajoute que« les expériences se bornèrent àd’insuffisantes ébauches » mais onpeut se demander si ces sortes decours normaux n’ont pas eu plusd’importance qu’il ne le dit, même sila pratique est restée largement in-formelle.

Nous en avons un indice intéres-sant par l’inspecteur Guillard qui visiteBourg-Argental le 23 avril 1822. Il ytrouve le Sr. Brole-Labeaume, Insti-tuteur79 supplanté par les frères deChampagnat. Pour le remettre enselle, l’inspecteur décide qu’il ira :« apprendre la méthode des frères àCondrieux ou à Annonay, enverra lecertificat constatant qu’il la possèdebien, et la pratiquera avec les livresqu’il fera venir de chez M. Rusand80. »

Rigault mentionne encore que lepréfet du Rhône, Lezay-Marnésia,dans une lettre du 14 novembre 1821,invite le F. Gerbaud, Supérieur géné-ral, à ouvrir les classes du noviciat deLyon à des élèves-maîtres destinés àenseigner dans les campagnes. Et le1er décembre, le F. Gerbaud accèdeà sa demande. Celui-ci s’étantconcerté avec l’inspecteur d’acadé-

102 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

76 Lettres, n° 56, p. 140. 77 Origines Maristes, t. 1, doc. 75 § 9. 78 T. IV, p. 468-469. 79 Il a un certain âge puisqu’il a été Instituteur à Condrieux avant l’arrivée des FEC. 80 Origines Maristes, t. 1, doc. 75, § 2.

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mie, seize candidats sont désignés etsuivent les cours durant le second tri-mestre 1822. Satisfaites du résultat,les autorités reconduisent les créditspour 1823.

Ces faits nous invitent donc à si-tuer les postulants et Champagnatdans une ambiance un peu diffé-rente de celle que nous évoquionsplus haut : les centres de formationd’Instituteurs se sont multipliés sousla houlette des FEC dont la méthodeest soutenue par l’université. L’œuvrede Champagnat peut figurer commel’un de ces centres de Frères de laDoctrine Chrétienne, terme géné-rique recouvrant divers Instituts enformation. Très conscients de cette si-tuation, l’ex-Frère des Écoles Chré-tiennes et Champagnat profitent doncdu prestige des FEC, l’un pour secréer une situation, l’autre pour re-cruter des frères. Les jeunes gens re-crutés peuvent constater que, s’il nes’agit pas du noviciat de Lyon, ils y re-çoivent bien la formation qu’ils atten-daient, qu’ils envisagent ou non dedevenir frères. En acceptant cette si-tuation, Champagnat résoud son pro-blème de recrutement tout en étantconscient que les jeunes gens recru-tés ont des motivations moins clairesque ses premiers disciples.

5.4. Entre cours normalet noviciat : financeset persévérance

Le premier registre des inscrip-tions (OFM/1 doc 105, p. 237) nousdonne une idée du processus d’en-trée. L’admission n’est pas acquise

tant que des accords financiers n’ontpas été passés avec les familles despostulants. C’est la tâche du frèreenvoyé en Haute-Loire. Mais les ré-sultats de ses démarches semblentsingulièrement inégaux, les exigencesde Champagnat, peut-être quelquepeu imprécises, rencontrant les pos-sibilités limitées des familles.

Ainsi, Claude Aubert, de Saint Pal,est porté à la date du 28 mars 1822comme devant 100 F. et en ayantpayé 40. Le 27 octobre, il verse encore60 F. Il a certainement achevé son no-viciat puisqu’il a reçu le nom de F. An-dré, mais sa vêture n’a lieu que le 18octobre 1827.

Pierre Aubert, de Boisset, arrivé le28 mars 1822, est mentionné sur le re-gistre en avril seulement. Il doit 300 F.mais n’a rien payé. Il sort en juin 1822.

Civier François, de Boisset, estnoté au 28 mars 22. Il doit 400 F. maisn’en verse ce jour-là que 12. Entre le 28mars et le 10 mai, il a pris une paire desabots, une main de papier et deuxplumes d’une valeur de 0.80 F. C’estle signe qu’il est déjà quelque peu al-phabétisé puisqu’il envisage de s’exer-cer à l’écriture qui ne s’apprenaitqu’après la lecture. Le 10 mai, le P.Champagnat note qu’il lui a remis 10 F.envoyés par son père mais qu’il estsorti le même jour. Cependant sa sor-tie n’est que provisoire et son départsemble justement dû à un voyage enfamille pour résoudre la question fi-nancière. Aussi, le registre porte au 28juin un paiement de 180 F. Dans le re-gistre des vêtures rédigé en 1829,

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François Civier signale qu’il est arrivédans la maison de Lavalla le 27 mars1822 et qu’il a pris l’habit le 25 mars1824 sous le nom de F. Régis. Il a alors23 ans. Il sort ensuite de l’Institut à unedate inconnue. A-t-il payé le reste desa pension ?

Mathieu Cossange, natif de Bas-en-Basset, est entré aussi le 28 mars1822. Le 6 août 1823, son frère verse104,8 F. et le 25 avril 1824, il est portécomme devant 200 F. et en ayantversé, probablement ce jour-là, 50.Ayant porté le nom de F. Augustin, il adû prendre l’habit en 1823 et le ver-sement de son frère intervient proba-blement à cette époque. En 1829, il estl’un des deux révoltés de l’affaire desbas de drap qui refuse de se sou-mettre.

Jean-Baptiste Furet, le futur F.Jean-Baptiste, nous est bien connu. Leregistre signale au 28 mars 1822 qu’ildoit 100 F. et qu’il en donne 30.

Le 28 avril 1822, Girard Joseph, deSolinhac, est porté comme devant200 F. sans aucun versement. A unedate indéterminée, le registre signalequ’il en doit 150 - ce qui suppose unpremier versement de 50 F.- et qu’il ena versé 100. Dans le registre desvœux perpétuels, il indique qu’entrédans la maison le 28 avril 1822, soit unmois après les autres, il a pris l’habit re-ligieux sous le nom de F. Hilarion le 25octobre 1822 et fait ses vœux perpé-tuels en octobre 1828. La question dela date de son entrée à Lavalla est in-téressante car il semble être venu dèsle 28 mars mais le registre des pro-

fessions ainsi que celui des inscriptionsindiquent la même date d’entrée aunoviciat un mois plus tard. Il sembledonc que l’arrivée à la maison et l’ad-mission au noviciat soient deux chosesdifférentes et que son admission n’aitété effective qu’après un arrange-ment avec la famille.

Ponset Georges, de Tiranges, estbien signalé au 28 mars 1822 commedevant 120 F. mais ne versant rien. Unpremier versement de 72 F. a lieu le 30octobre 1823 et un second de 100 F. le13 octobre 1824. Ainsi les versementsexcèdent la somme primitivementfixée. Le registre des vœux perpétuelssignale qu’il est entré le 27 mars 1822et a pris l’habit sous le nom de F. Jo-seph le 25 octobre 1825 seulement,mais qu’il fait les vœux perpétuels dèsle 8 octobre 1826. Un si long temps derésidence à la maison (3 ans et demi)sans que le postulant prenne l’habitpose la question de ce que signifiaitalors le mot « frère ». Nous avons déjàvu le même cas avec Claude Aubert.Tous deux donnent en effet l’impres-sion qu’après leur formation ils ont puexercer les fonctions d’Instituteurssans être officiellement frères.

Vertore (Vertoie, Vertove selon lesregistres) Jean-Pierre, de Tirange, estsignalé au 28 mars comme devant 100F. Sorti du noviciat le 1er juin, il semblen’avoir rien versé.

Jean Dantogne, de Boisset, est si-gnalé le 28 mars 22 comme devant100 F. Comme rien de plus n’est si-gnalé sur lui, son séjour a dû être trèscourt.

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Jean Fleury, de Tiranges, doit 50 F.le 28 mars mais ne paie rien. Commele précédent, il n’a fait que passer.

Jean-Antoine Monnier, de Boisset,est signalé le 23 avril 1822 comme de-vant 200 F. sans signaler de verse-ment. Mais le 4 mai 182, André Mo-nier (probablement son père) estnoté comme devant 96 F. et en ver-sant 60. Il ne semble pas du premiergroupe de postulants mais d’un se-cond arrivé avec le frère envoyé parChampagnat pour régler l’admissiondes premiers. Quoiqu’étant resté plusd’un an dans la maison, il n’accèdepas à la vêture et il est possible quele versement du 4 mai soit un arran-gement réglant les affaires à l’occa-sion de son départ.

De même, il y a un Michel Marcon-net, de Boisset, enregistré le 23 avrilavec le chiffre « 12 p.m. » difficilementinterprétable (12 F. pour mémoire ?)qui, le 30 septembre, donne 30 F. Le2 juillet 1823, un André Marconnet(son père ou un parent) verse 50 F.« pour droit légitime », c’est-à-dire pro-bablement pour les frais de séjour à lamaison, ce qui signifie qu’à cette dateil s’est déjà probablement retiré.

Il y a aussi un Jean Aubert signaléle 15 septembre 1822, natif de SaintPal en Chalancon, qui deviendra F. Jean-Louis, qui apporte 24 F. maisverse assez régulièrement dessommes d’argent par la suite jusqu’au8 octobre 1824. Devenu F. Jean-Louis, il est l’un des deux révoltés del’affaire des bas de drap en 1829. Autotal, il verse 304 F.

Le cas de Jacques Furet, frère deJean-Baptiste, ressemble à celui deJean Aubert. Venant du même lieu etentrant le même jour, il a certainementfait la route avec lui. Il paie 30 F. sansqu’une somme due soit signalée.Certainement désireux de s’instruire,il achète à la maison une Conduitedes frères (32 sous = 1,6 F.) et unemain de papier (40 centimes). Dansle registre des vœux perpétuels qu’ilprononce le 20 octobre 1826, il dé-clare être entré au noviciat le 23septembre 23 et avoir pris l’habitsous le nom de F. Cyprien le 22 oc-tobre 1824. Le F. Avit le déclare sortiensuite.

Enfin, le registre signale un Bon-nefoix Jean-Claude, de Saint GenestMalifaux, sans aucune date ni sommedue ou versée et qui semble devenuF. Régis. Son cas paraît étrange.

Au total, l’arrivée des postulantsde la Haute-Loire nous apparaîtcomme un peu plus complexe que nenous le rapporte le récit du F. Jean-Baptiste dans la Vie. Il semble que,pour la plupart des 8 jeunes gens, laperspective du noviciat des FEC n’aitété que vague. Les trois parmi euxcapables de fournir dès le 28 marsune somme significative : ClaudeAubert (40), François Civier (12), J.B.Furet (30) sont peut-être ceux quiavaient l’intention d’entrer chez lesFEC. Quant aux conditions finan-cières de leur entrée, elles donnentlieu à de nombreuses tractations età des paiements échelonnés dont leregistre nous donne un aperçu unpeu confus.

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5.5. La question du nom du recruteur

Le F. Gabriel Michel a émis autrefoisla théorie que le fameux recruteurdes jeunes gens était Benoît Grizard,effectivement entré deux fois chezles FEC et y étant resté au total six ans.Mais, natif du nord du département dela Loire, à Belleroche, il ne peut conve-nir. En revanche, il y a trois Aubert dansles jeunes gens venant de la Haute-Loire en 1822, deux de Saint Pal enChalancon et un (Pierre Aubert) deBoisset qui sort dès juin 1822. Les deuxvillages étant très proches l’un del’autre, on peut se demander si le re-cruteur n’est pas lui-même un Aubertqui aurait recruté des frères, cousinsou neveux. Le registre d’entrée desFEC de Caluire signale d’ailleurs, sousle matricule 445, un Paul Aubert, natifde Boisset, entré le 27 janvier 1820, âgéde 19 ans.

D’autres hypothèses sont possi-bles à partir de la liste des entrées

dans leur Institut de 1805 à 1838 éta-blie par les Frères des Écoles Chré-tiennes81. Nous y constatons que lenombre des novices venant de laHaute-Loire de 1805 à 1822 s’élève à86 mais que la zone d’où viennent lespostulants de la Haute-Loire n’y estque très peu représentée. Le bilan estle suivant : de Saint Pal-en-Chalancon,1 novice en 1809 ; de Boisset, un no-vice en 1816 et un en 1820. Enfin, deTirange, un novice en 1819. Seul lebourg de Bas-en-Basset est fécondpour eux, et au moment où les postu-lants de la Haute-Loire viennent àl’Hermitage, il en est sorti : 1 novice en1811, 2 en 1820, 4 en 1821 et 10 en1822. L’ex-Frère des Écoles Chré-tiennes semble donc avoir chassé surdes terres encore peu prospectées.

La confrontation de la liste desFEC avec celle des postulants de laHaute-Loire donne des convergencesde noms de famille qui ne sont passans intérêt même si nous n’abou-tissons pas à des certitudes :

106 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

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81 Archives lasalliennes, Lyon.

Postulants de la H.L. en 1822

Origine FEC Origine et date de vêture

Aubert Claude(F. André)

Saint Pal-en Chalancon

Aubert Paul (F. Abel, 19 ans)

Boisset (1820)

Aubert Pierre Boisset

Aubert Jean (F. Jean-Louis)

Saint Pal-en-Ch.

Civier François (F. Régis)

Bas-en Basset Civier Pierre (F. Natal, 16 ans)

Bas-en Basset(1821)

Poncet Georges Tirange Poncet Louis(F. Pérégrin, 21 ans)

Tirange (1819)

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En supposant que l’ex-FEC aitchoisi des aspirants dans sa proprefamille, nous aurions là trois candidatspossibles à la fonction de recruteur.Par ailleurs, Louis Poncet qui portechez les FEC le titre de F. Pérégrin at-tire notre attention car le F. Avit quinous donne la liste des prises d’habiten octobre 182382 mentionne parmieux un F. Pérégrin qui n’est cité nullepart ailleurs.

Un autre personnage apparaît pourdisparaître aussitôt : un BonnefoixJean-Claude, de Saint Genest-Mali-faux83 dont l’entrée se situe après le 28mars 1822 mais sans aucune précision.Or, les listes des FEC mentionnent unJean-Paul Bonnefoy natif d’Apinac,où M. Beynieu, oncle de M. Courveille,est curé, dans la Loire mais tout prèsde Saint Pal, Tiranges, et Boisset, en-tré au noviciat en 1816 à 18 ans. Il n’estpas impensable que ces deux Bon-nefoy n’en fassent qu’un84 d’autantque son séjour chez les FEC auraitduré six ans comme le dit la Vie85.

En somme, le problème de l’iden-tité du recruteur des postulants de laHaute-Loire demeure, même si leshypothèses ci-dessus peuvent ap-porter des éléments en vue d’une re-cherche ultérieure.

5.6. M. Courveille et le recruteur des postulants

Il est frappant de constater que lesvillages où opère l’ex-FEC sont àproximité d’Usson-en-Forez, lieu denaissance de M. Courveille, et d’Api-nac où celui-ci a fait une partie de sesétudes cléricales auprès de son on-cle curé. Par ailleurs, en 1822, Cour-veille a fondé des frères à Feurs86 etse trouve desservant d’Épercieux.On peut supposer que l’ex-frère,cherchant une place et connaissantM. Courveille, ait pu être envoyé parcelui-ci ou se soit autorisé de cette re-lation, ce qui expliquerait que M.Champagnat l’écoute et lui donnemême une lettre de recommandation.Ce lien fort avec Apinac est encore il-lustré par la proposition d’un particu-lier du lieu en 1824 de donner trois do-maines aux Frères de Marie : l’un de800 F. de revenu et les deux autres de8.000 F. de valeur chacun87.

5.7. L’agrandissementde Lavalla en 1822

Nous savons que durant l’été 1822Champagnat et les frères agrandis-sent la maison de Lavalla et le regis-tre d’inscriptions88 nous donne un

André Lanfrey, fms 107

mars2013

82 Annales de l’Institut, 1822 § 35. 83 OFM 1, doc. 105/2.84 Son nom ne figurerait dans le registre que pour mémoire, d’où l’imprécision quant à ses noms et

origine, et en attente d’un règlement pour le séjour. 85 Ch. 6, p. 98.86 OM1, doc. 75.87 OM1, doc. 110. L’archevêché est d’avis d’accepter et transmet la proposition au P. Champagnat.

Mais rien ne sera conclu. 88 Document 106 (OFM/1 p. 316-317).

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écho des dépenses faites alors. Le 22octobre 1823, Champagnat a payé 12F. pour des pierres de taille et le 1er

décembre, il donne 45 F. à Poson« pour des voitures de tuile et autre ».Le 5 décembre, il verse 100 F. à Ma-tricon, maire et menuisier. Le 10 dé-cembre, il verse en deux fois 52 F. ;pour de la « ferremante89 » et le 27 décembre, il donne encore 138 F.à un menuisier qui est sans doute Ma-tricon. Le 8 janvier 1824, il verse 65 F.pour « la tuile ».

Sans aucun doute ces paiementsà la fin de 1823 nous donnent une idéedes délais couramment pratiquésentre achat et paiement : plus oumoins 18 mois. Il est certain quetoutes les dépenses ne sont pascomprises dans ces comptes soit paroubli soit par imprécision dans les ru-briques. Par exemple, la Vie dit queles pierres n’étaient pas jointes à lachaux mais avec de la terre grasse.Mais en juin 1822, le registre des en-trées signale incidemment : « chaut »sans plus de précision90. Il seraitd’ailleurs étonnant que la maison aitété construite sans ce produit. En toutcas, comme Champagnat n’indiqueaucun paiement à des maçons, onpeut croire la Vie qui affirme que laconstruction a été réalisée par Cham-

pagnat et les frères. En revanche, lemenuisier Matricon est largement in-tervenu dans la réalisation des boi-series.

L’ensemble des dépenses repé-rées avec certitude donne 412 F. Sil’on songe que rien n’est indiquépour l’achat des bois de charpente etdes planchers et peu de choses pourles tuiles, il faut sans doute quadruplerla somme payée par Champagnatpour cet agrandissement. Dans un bi-lan financier du 7 août 182691, Cham-pagnat estimera à 4000 F. « ce quej’ai à Lavalla ». Et comme il a achetéla maison pour 1600 F. en 1818…

CONCLUSION

Durant l’année 1822, l’aire d’in-fluence de l’œuvre de Lavalla s’étenddonc brusquement par un étrangerecruteur appuyé sans doute par unréseau relationnel dont nous ignoronsà peu près tout. Cette irruption d’ungroupe massif n’est pas sans ambi-guïtés ni déboires, mais Champagnatinterprète l’événement comme lesigne que son œuvre est voulue parMarie. Et l’agrandissement de Lavallaannonce la construction de l’Hermi-tage.

108 II. La vie matérielle des frères à Lavalla

89 Pièces métalliques servant à équiper un ouvrage en bois. Probablement pour les fenêtres. 90 OFM, t. 1, doc. 105 p. 300. 91 OFM/1, doc. 136, p. 541.

fms Cahiers MARISTES31

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1. LA PREMIÈRE ANNÉE À L’HERMITAGE (1825-26)

1.1. Problèmes financierset crise d’identité

Le passage de Lavalla à l’Hermi-tage n’est pas seulement un chan-gement de lieu mais la mutation com-plète d’une branche des frères queChampagnat semble avoir considé-rée jusque là comme une esquissede la Société de Marie. En finançantensemble la construction de l’Hermi-tage, Courveille et Champagnat envi-sagent de constituer la Société deMarie dans l’esprit du Formulaire de1816 avec noviciat des frères et mai-son missionnaire pour les prêtres, di-rigée spirituellement par Courveille etadministrée par Champagnat. MaisM. Terraillon, le troisième prêtre,conçoit la Société selon le modèlecommencé par J. C. Colin dans lediocèse de Belley1. Quant à l’arche-

vêché de Lyon, il veut une congréga-tion diocésaine de frères enseignantsdirigée par M. Champagnat assistéde deux prêtres auxiliaires. Enfin, lesfrères ne voient pas l’origine de laSociété dans la consécration deFourvière en 1816 mais dans la fon-dation de Lavalla en 1817.

Une fois la maison construite et lacommunauté descendue à l’Hermi-tage, toutes ces divergences vontparaître rapidement au grand jour etsusciter une série de conflits sur lanature de la Société de Marie mêlésà une situation financière très difficile.Les documents dont nous disposonspermettent de débrouiller partielle-ment les péripéties de ce faisceau deconflits aboutissant à la consécrationde Champagnat comme fondateuret supérieur de ce qui est plusqu’une branche de la Société de Ma-rie mais aussi un premier échec deconstitution de la branche des prê-tres à l’Hermitage.

109

III.DE LAVALLA À L’HERMITAGE : CRISE INITIALE ET LENTE MUTATION MATÉRIELLE

É T U D E S

André Lanfrey fms

1 Voir OM1, doc. 115, Lettre de M. Terraillon à J.C. Colin le 31 octobre 1824.

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110 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

2 OM1, doc. 121 : « Il avait déjà fait plusieurs avances et donné huit mille francs pour une maison ; ettout cela fait grand bruit à Lyon. »

3 Le donateur aurait envisagé une colonie agricole qui ne correspondait pas au but de Champagnat.Apinac étant située près de la zone de recrutement de la Haute-Loire et étant la patrie de M. Courveille,on voit que l’œuvre de Lavalla est déjà repérée assez loin de sa base mais que son image est moins en-seignante que sociale et agricole : une sorte de couvent trappiste en somme.

fms Cahiers MARISTES31

1.2. L’aspect financierdu problème

Jusqu’en 1824, l’œuvre de Cham-pagnat a eu une existence essentiel-lement locale et ses besoins finan-ciers sont relativement réduits. Il va enêtre tout autrement avec la construc-tion de l’Hermitage qui mobilise descapitaux importants. Comme saconfiance en la Providence n’est pasdéconnectée du réel, M. Champa-gnat n’entreprend pas cette œuvresans disposer de prêteurs.

Donc, le 13 mai 1824, Champa-gnat-Courveille achètent, au lieu ditLes Gaux, à cinq propriétaires, un en-semble de tènements de bois, brous-sailles et rochers avec un petit pré,pour le prix officiel de 6.600 F. mais enfait beaucoup plus. Le F. Avit parled’une somme de 10 à 12.000 F. Il si-gnale (§ 78) que l’on ne sait pas cequ’a coûté la maison « non plus queles dons reçus excepté les 8.000 F.donnés par Mgr de Pins » et il ajoute :« Le C.F. Jean-Baptiste a cru qu’elleavait coûté plus de 6.000 F. »

Une lettre de J.C. Colin, le 27 no-vembre 1824, évoque ce don de Mgrde Pins2 mais on peut douter de sonexistence. En effet, le 13 avril 1824son conseil, prenant connaissancedes projets d’acquisition du terrainde l’Hermitage par Champagnat, dé-

cide : « On le laissera, pour cela, à lui-même » (OM1/ doc. 98). En re-vanche, un particulier d’Apinac a bienoffert de donner aux Frères de Marieun domaine de 800 F. de revenu etdeux autres domaines de 8.000 F. devaleur chacun. Le 28 juillet, le conseildiocésain est d’avis d’accepter et deconsulter M. Champagnat. L’affairen’aura pas de suite (OM1/ doc. 110)3

mais a pu ancrer dans les esprits larumeur rapportée par J.C. Colin.

Auprès de qui le P. Champagnata-t-il trouvé l’argent nécessaire à laconstruction de l’Hermitage ?D’abord, auprès de M. Courveilledont la participation semble avoir étéd’environ 5.000 F. puisque le 5 octo-bre 1826 (OM1/doc. 166) c’est lasomme que Champagnat lui versepour le désintéresser. Pour le reste, ila bénéficié de dons et de prêts lo-caux dont les comptes donnent uneidée et en particulier le registre d’ins-criptions (OFM, doc. 109) dans une« mise au point de la situation finan-cière » le 22 février 1826 qui dresseune liste des dettes de la maison àl’époque de la convalescence deChampagnat. Malheureusement, cedocument est d’interprétation diffi-cile car, sur une même ligne, il asso-cie deux personnages et deuxsommes différentes et ne distinguepas nettement les prêteurs propre-ment dits des fournisseurs.

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M. Maréchal à LyonM. Bonard de Rive de Gie4

M. le Curé de St Pierre5

Monteiller de St. Chamon M. Faivre de Lyon Domestique de M. RoyerM. Finas, notaire à St. Ch.M. le curé d’Izieux M. Lagier Odras de Lavallas Crapanne de LavallasM. Journoux, vicai. St. Ch. M. Tardy de St. Étienne M. Grangier St. Eti.Ferblantier St. Blachon de St.Le Maréchalà St. Étienne autre dépensecordonnier de St. Ch.cordonnier de Lavallascuré d’Empuysla veuve BridouCourbon

Journoux6

selier facture

médecin principal7

Lopitallaine

Minard

Giller f. fabresGuyot8

Achard (? )

Chevalierdomestiquemarie

12.0003.5002.300

35720

1.000200

3.0001.100

160200400

260200150200

1.000700

12.000700400300

12.0003.0003.8003.0001.0001.0001.6004.000

600900800400200400300180

100280200

12.0001.0001.0001.0003.550

André Lanfrey, fms 111

mars2013

4 La signification des traits barrant les noms est difficile à interpréter. On peut supposer qu’il a été mislorsque la dette était éteinte.

5 Dervieux6 Vicaire à St Chamond7 Peut-être le principal du collège de St Chamond.8 Libraire. 9 Lorsqu’un seul nom figure dans la ligne, la somme la plus élevée serait celle de la dette maximale

et l’autre la dette subsistante après remboursement partiel. Quand deux noms figurent, le partage est plusaléatoire.

Nous pensons pouvoir interpréter ainsi ces données9 :

Créanciers Argent Dettes pour Remboursé Restantet prêteurs emprunté travaux à payer

et services

M. Maréchal à Lyon 12.000 12.000

M. Bonard, de Rive-de-Gier 3.500 500 3.000

M. le Curé de St Pierre 3.800 1.500 2.300et M. Journoux

Montellier de St Chamond 3.000

Un sellier 35

M. Faivre de Lyon 1.000 280 720(paiement d’une facture)

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En admettant notre interprétationde la répartition des sommes expo-sées ci-dessus, le total des em-prunts et dettes s’élèverait à environ57.000 F. dont un peu plus de 10 %auraient été remboursés. Mais cesdettes ne sont pas toutes égalementurgentes. Ainsi les deux emprunts de12.000 F. sont à longue échéance. Ilfaudrait donc envisager que lesdettes et emprunts les plus préoc-

cupants à la fin de février 1826 s’éle-vaient à 39.130 – 24.000 = 15.130 F.

Les registres de compte et parti-culièrement celui des dépenses(OFM, doc. 120) permettent demieux situer une bonne partie desprêteurs et créanciers et de suivrel’état des remboursements ultérieursqui correspondent partiellement auxdonnées exposées ci-dessus.

112 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

fms Cahiers MARISTES31

Le domestique de M. Royer 1.000 1.000

M. Finas, notaire 1.600 1.400 200

M. le curé d’Izieux 4.000 1.000 3.000

M. Lagier 1.100 500 600

Odras (Audras) de Lavalla 900

Médecin 160

Crapanne de Lavalla 800

Principal (du collège ?) 200

Journoux, vicaire à St Ch. 400

L’hôpital (de St Chamond ?) 400

Tardy de St Étienne 200 (laine)

Grangier de St Étienne 400 140 260

Un ferblantier de St Chamond 300 100 200

Blachon de St Chamond 150

Minard 180

Un maréchal ferrand 200

Giller et Fabre, St Étienne 100

Cordonnier de St Chamond 280

Guyot (libraire à Lyon) 1.000

Cordonnier de Lavalla 200

Achard 700

Curé d’Empuis (Ampuis) 12.000 12.000

Veuve Bridou 1.000

Chevalier 700

Courbon 1.000

Un domestique 400

Marie 1.000 700 300

? 3.550 3.550

Total 50.450 6.803 6.120 39.130

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Créancier

M. Maréchal à Lyon(fondé de pouvoirs deMlle de Divonne)

M. Bonard de Rive de Gier

M. le Curé de St. Pierre(Dervieux)

Monteiller de St. Chamond

M. Faivre de Lyon

Domestique de M. Royer

M. Finas, notaire à St. Ch.

M. le curé d’Izieux

M. Lagier

Odras de Lavalla

Crapanne de Lavallas

M. Journoux, vicai. St. Ch.

André Lanfrey, fms 113

mars2013

Registre des dépenses(remboursements)

12/7/26 : Donné à M. Maréchal deLyon 240 F. 1/27 : A M. Maréchal de Lyon 240 F. 22/11/27 : 120 F. à M. Maréchal

2/6/28 Donné à Maréchal pour M. Séon 1.000 F.22/2/33 : Remboursement de 6.480 F.

1/4/27 : A M. Bonard de Rive-de-Gier 3.000 F.

Voir Vie, ch. 13, p. 143. M. Dervieuxaurait versé 6.000 F pourdédommager les créanciers.

3/5/26. A Montellier marchand defer : 3.400 9/1/28 : Donné à David, sellier à St Chamond 40 F.

10/5/26 : Donné à Lion : 1.500 F.

20/5/28 : Donné au domestique deM. Royer 1.015 F.

20/2/26 : Donné au P. Champagnatpour maître Finaz 116 F. 3/5/26 : Donné à M. Finas : 1.000 F.

22/11/27 : Donné à M. le curéd’Izieux 45 F. 5/6/28 : Donné 1000 F. Sept. 28 : 1000 F.

5/5/26 : A M. Lagier, marchand :1.000 F22/6/26 : A M. Lagier : 1000 F ; Mai 27 : 600 F. à Lagier cadet ; 400 F. à Lagier aîné18/2/28 : donné à M. Lagier 1.014 F.

22/11/27 : donné à Odras aîné 1.000 F.9/1/28 : Donné à M. Bernardmédecin à St Chamond 40 F.

17/9/26 : donné à Crapanne de LaRivoire pour du bled 55 F. 17/1/27 : A Crapanne de La Rivoire,327 F.

(OFM 110), 15 mars 1827 : « reçu de M ; Journou, vicaire, 1.050 ».

Autre ?

12.000 12.000

3.500 3.000

Journoux(vicaire)

2.300 3.800

sellier 35 3.000

facture 720 1.000

1.000 1.000

200 1.600

3.000 4000

1.100 600

médecin 160 900

principal 200 800

Lopital 400 400

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114 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

fms Cahiers MARISTES31

M. Tardy de St. Étienne

M. Grangier St. Eti.

Ferblantier St.

Blachon de St.

Le Maréchal

à St. Étienne autre dépense

cordonnier de St. Ch.

cordonnier de Lavallas

curé d’Empuys

la veuve Bridou

Courbon

1/4/27 : A M. Tardy decos 300 F.

23/6/26 : M. Grangier : 100 F. 29/4/27 : A M. Grangier de StÉtienne 200 F + 210 F.

19/12/27 : Donné à Bertolinferblantier à St Chamond 213 F.

14/3/ 26 : donné à M. Blachond deSt Chamond 123 F.

13/3/26 : Donné à Marcou serrurierà St Chamond 100 F. 5/5/26 : 350 F. 1/27 : Donné à Marcou maréchal àSt Chamond 232 F

26/7/26 : Donné pour payer les frères Fabres : 20 ;plus pour M. Gillet : 85 F.

8/9/26 : donné au cordonnier 200 F. 3/12/26 : Donné au cordonnierVincent de St Chamond 104 F.Donné au cordonnier Dion de St Chamond 19120/10/27 : Donné à M. Guyot 280 F.

A Jean Bacher cordonnier àLavalla : 200 F.

C’est une rente constituée (OFM 3,doc. 657) remboursable sans délaiprécisé.

24/3/27 : Donné à Courbon pour sasœur veuve Bridou 50 F. pour lesintérêts de la somme de 1000 F.échue dans le courant de février.

18/12/26 : Donné à CourbonLyonnel de St Étienne 700 F.1/4/27 : 50+400 8/11/28 : Donné à Courbon duBachat 1.015

laine 200

260 400

200 300

Minard 150 180

200

Giller f.Fabres 100

Guyot 1.000 280

Achard( ?)

700 200

12.000 12.000

Chevalier 700 1.000

Domestique 400 1.000

Marie 300 1.000

3.550

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Parmi ces créanciers, figurent plu-sieurs prêtres : non seulement M. Der-vieux mais le curé d’Izieux et le vicaireJournoux. Il y a aussi des marchands,des habitants de Lavalla et même desdomestiques parmi les prêteurs. Ensomme, Champagnat a bénéficié dusoutien de son réseau social et éco-nomique pour se procurer les res-sources nécessaires à son entreprise,comme tout le monde faisait alorsdans un univers économique sans ré-seau bancaire développé. En tout cas,le coût de la maison semble s’élever àplus de 20.000 F.

1.3. Champagnat et Patouillard

Le F. Avit et d’autres justifient lechoix des Gaux par la solitude du lieumais en fait la même année, justeaprès l’acquisition de Champagnat-Courveille, le 3 juillet 1824, Mathieu Pa-touillard a acheté à Antoine Thiollère-Laroche le terrain et les bâtiments del’autre côté du Gier où il installe desateliers (Avit, 1839 § 468). Comme lieusolitaire il y a mieux. L’Institut ne pourraacquérir cette propriété qu’en 1839pour 39.000 F., justement pour êtretranquille.

A quel prix Patouillard avait-il achetéen 1824 ? Et Champagnat-Courveilleont-ils tenté d’acheter aussi ? Ils nedisposaient peut-être pas du capitalnécessaire pour concurrencer Patouil-lard et l’achat d’un établissement in-dustriel n’aurait pas correspondu à leurprojet. C’est donc faute de mieux qu’ils

s’installent en face, en bénéficiant toutde même de l’avantage de l’eau duGier10. Le nom « hermitage » donné aulieu correspond donc mal à la réalité ettrahit une certaine contradiction entreun idéal de retrait du monde et le dé-sir de constituer un pôle missionnaireproche des populations. Cette contra-diction entre l’utopie et la nécessitésera un élément de la crise d’identitévécue alors.

1.4. La construction de l’Hermitage

Le travail urgent a été la taille du ro-cher pour y construire l’aile orientale dela maison.

Le F. Avit indique clairement les en-trepreneurs : Roussier, maître-maçonde Lavalla, Benoît Matricon, menuisierde Lavalla, et Robert, plâtrier de SaintChamond. Il signale que, la chaux étanttrop chère, le mortier était fait deroches pourries broyées, mais lescomptes de l’Hermitage indiquent desachats de chaux, produit d’ailleurs as-sez peu coûteux.

Les livres de compte permettentde suivre plus ou moins les autresachats faits par Champagnat à cetteoccasion et les sommes versées à sesprestataires de services. Malheureu-sement, la principale source, le livredes dépenses, ne commence qu’en1826 et ne donne qu’une vue partiellequ’il faut compléter par des bribes re-cueillies dans d’autres documents da-tant d’avant 1826.

André Lanfrey, fms 115

mars2013

10 Mais sans avoir le droit d’établir un bief.

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Sans compter les briques, lestuiles et un certain nombre de charsde bois dont les prix ne sont pas in-diqués, on arrive déjà à un chiffre voi-sin de 7.000 F. et manifestement lessommes versées au plâtrier Robertou au maçon Étienne Roussier sontsous-estimées.

1.5. Registre des dépenses

Le registre des dépenses prenden quelque sorte la suite des infor-mations ci-dessus en donnant unaperçu des paiements qui semblentliés à la construction de la maison.

116 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

fms Cahiers MARISTES31

Date Fournisseur Produits et services Prix

Dans OFM/1, doc. 105, p. 302…

21/10/1824 J.M. Payre bois 600

17/2/1825 J.M. Payre bois 300

20/10/1824 15 bennes de chaux 15

22/10/1824 300 tuiles 300

23/10/1824 300 tuiles 300

?/2/1824 Tibau Pannes (bois de charpente) ?

18/10/1824 Chars de planches ?

Dans OFM/1, doc. 106, p. 316…

29/5/1825 Jacques (Couturier ?) 900 briques ; 600 tuiles

1825 Rembeau 1800 tuiles ; 2000 briques ?

Dans OFM/1, doc. 108, p. 320

?/3/1825 Matricon Benoît menuisier 30

Robert plâtrier 60

27/4/1825 Gerin 2 chars de chevrons 44

30/4/1825 Gerin 2 chars de planches 64

30/5/1825 Gerin Somme payée totale 1.045

Juillet-oct. 1825 Matricon du Bessat 39 chars de planches 1.100

Février-oct. 1825 Benoît Matricon 172

Avril-mai 1825 Benoît Matricon 60

Juillet-août 1825 Étienne Roussier Maçon (82 journées) 395

Nov. 1825-sept. 1826 Feuilles de verre 97

Juillet 25

février 27 B. Matricon 435 journées 1136

31/7/1825 Jean Marcou Ferrement 600

Total 6.918

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23/1/1826 Chaux 314

4/2/1826 Matricon menuisier 20

6/2/1826 Neyrand fer 140

9/2/1826 Matricon Menuisier 33

23/2/1826 Matricon menuisier 60

23/2/1826 Tuilier (briques) 107

14/3/1826 Neyrand verre 195

17/2/1826 Monjou minor maçon 100

28/3/1826 Monjou minor 50

8/4/1826 Monjou minor 50

22/4/1826 Antoine Robert plâtrier 100

?/5/1826 Antoine Robert 600

3/5/1826 Finaz notaire 1000

3/5/1826 Montelier Marchand de fer 3.400

5/5/1826 Lagier marchand 1.000

10/5/1826 Lion (Lyon ?) Un fournisseur de Lyon ? 1.500

14/5/1826 Matricon 100

14/5/1826 Monjou minor 20

10/6/1826 Roussier 285

22/6/1826 Lagier 1.000

26/6/1826 Matricon Benoît menuisier 60

8/7/1826 Roussier 50

Total 10.184

C’est l’année des gros rembourse-ments dus à la rumeur de faillite quia fait se précipiter les principauxcréanciers. La somme d’environ

10.000 F. remboursés jointe aux7000 F. des années 1824-25 donne-rait une bonne idée du coût de lamaison.

André Lanfrey, fms 117

mars2013

En somme, l’examen des livresde compte nous indique un coût dela maison de 17.000 F au minimum.

1.6. Achèvement de l’aménagementpar les frères

La communauté quitte Lavalla enmai 1825. Rappelons qu’elle se com-pose alors de 20 frères et 10 postu-lants tandis que 22 frères sont dans

les postes. Le F. Avit ne parle pas dela présence de pensionnaires aveceux mais il y en eut certainement. Acette date, la chapelle dominant lamaison à l’angle sud-est n’est pas en-core terminée puisqu’une chapelleprovisoire fonctionne au premierétage de l’aile Est durant trois mois.La bénédiction de la chapelle définitivepar M. Dervieux le 13 août 1825 consa-cre la fin des gros travaux de la maisonjusqu’en 1836. La présence de M.

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Dervieux prouve qu’à cette époque cecuré, si influent à Saint Chamond, estdevenu ami du P. Champagnat depuisun certain temps.

A cette époque, les alentours de lamaison ne sont pas encore aménagés.Le F. Avit situe en 1824 (§ 52) la confec-tion d’un mur en pierres sèches de plu-sieurs centaines de mètres pour cana-liser le Gier, ainsi que l’arrachage des ar-bres, broussailles et rochers puis le ni-vellement de la bonne terre pour consti-tuer un jardin. Mais ces travaux longs etpénibles ont dû occuper les années1825-29.

Il est vrai que le 13 décembre 1825,lorsque Champagnat et Courveille em-pruntent une somme de 12.000 F. à MlleJustine de Divonne à Lyon (OM1/doc.142) hypothéquant tous leurs biens et enparticulier l’Hermitage, la propriété estainsi décrite : « de vastes bâtiments,cours, jardins, verger, basse-cour, prés,terres, bois et une prise d’eau »(OM1/doc. 142). Mais le remboursementne prenant effet que le 13 décembre1829, M. Courveille et Champagnat dé-crivent la situation dans laquelle devraitêtre la maison à cette date.

Ces travaux seront même une descauses du dissentiment entre M. Cour-veille et Champagnat, le premier re-prochant au second de ne pas assezformer les novices qui ont dû être mas-sivement employés à ces aménage-ments pendant plusieurs années. En ef-fet, dit le F. Avit, (1830 § 134) : « Malgréle rigoureux hiver de 1830, le P. Cham-pagnat, Philippe, son neveu, et plusieursfrères arrachèrent le bois, bouleversè-

rent les rochers et créèrent la grandeterrasse ainsi que le chemin qui yconduit, sur le versant ouest du coteauoriental. » Si l’on s’attaque à l’aména-gement des pentes, c’est donc que letravail sur la partie plate est terminé.

1.7.Un conflit de légitimitéen 1825

Les problèmes financiers et maté-riels ne seront que secondaires à par-tir de l’élection de Champagnat commesupérieur à l’automne 1825, probable-ment en octobre. Le récit de cet évé-nement majeur rapporté par la Vie (ch.13, p. 138-141) montre que ce choix dé-concerte non seulement Courveillemais aussi Champagnat et déclencheune crise entre les frères anciens et lepremier tandis qu’elle embarrasse lesecond pris entre les deux camps.

Nous avons déjà évoqué en intro-duction le nœud du problème : M.Courveille se considérant comme lefondateur choisi par Marie, veut consti-tuer la Société de Marie à partir du For-mulaire de 1816 rédigé sous son inspi-ration. Pour lui le P. Champagnat n’estqu’un précurseur qui, comme Jean-Baptiste vis-à-vis de Jésus, est destinéà jouer les seconds rôles et à luiconfier ses disciples, ce que Champa-gnat semble accepter.

Ce n’est pas à proprement parlerune crise d’autorité comme le dit la Vie,mais un débat sur les origines de la so-ciété de l’Hermitage : 1816 à Saint Iré-née et Fourvière ou 1817 à Lavalla ? Etl’on peut facilement comprendre le dé-sarroi de Champagnat, le seul à avoir

118 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

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participé aux deux événements fonda-teurs, et tiraillé entre ses confrères etses disciples. Cependant, l’oppositiondes frères à M. Courveille semble nepas fondamentalement affecter les re-lations Champagnat-Courveille puisquele 13 décembre 1825 ils obtiennent unprêt substantiel de 12.000 F. auprès deMlle de Divonne, certainement avec lagarantie morale de l’archevêché (OM1,doc. 142). Et en février ils procéderontencore ensemble à un achat.

1.8. Maladie de Champagnat etmenace de faillite

Les sources maristes (Vie, Avit, Syl-vestre) décrivent les difficultés engen-drées par la maladie de Champagnatqui débute le 26 décembre 1825 maisne semble pas empêcher M. Courveillede prendre au sérieux sa tâche d’ad-ministrateur, puisque le 1er janvier 1826il ouvre un registre des recettes et unregistre des dépenses. La maladie de

Champagnat s’aggrave subitementpuisque le 3 janvier Courveille envoieaux frères des écoles une circulaire de-mandant des prières pour lui (OM1, doc.147) sans pour autant le reconnaîtrepour supérieur puisqu’il l’appelle son« bien aimé fils » et le « vénérable Pèredirecteur ». Le 6 janvier Champagnatdicte son testament ; il est si faible qu’ilne peut signer. Courveille accepted’être son légataire universel tandis queM. Terraillon a refusé.

Les sources maristes11 s’accordentalors à déclarer que la perspectived’une mort prochaine de Champagnattranspire dans le public et que lescréanciers arrivent en foule, menaçantde faire vendre le mobilier et la maison.Sur les instances du F. Stanislas, M.Dervieux, curé de Saint Pierre, serait in-tervenu pour payer 6.000 F. de dettes.Si l’on suit cette chronologie, une crisefinancière aurait eu lieu en janvier-fé-vrier mais le registre des dépensesdonne un tout autre scénario :

André Lanfrey, fms 119

mars2013

11 Vie, Avit, Sylvestre. 12 Cette somme faible pourrait aussi trahir une tenue des comptes négligée.

Mois/année Dépense totale Détails

Janvier 1826 2.905 F. Dont « au P. Champagnat dans sa maladie : 200 et« pour M. Rigolos, médecin à St Étienne : 35 »

Février 1.744 Dont « donné au P.Champagnat pour payer le médecin ou Mme Lagier ou pour M. Finaz : 600 » ; « donné au P. Champagnat pour Badard de Lavalla : 12 F ; « donné au P. Champagnat pour M. Finat : 116 »

Mars 965

Avril 20012

Mai 9.204 Dont « M. Finas, notaire à St Chamond : 1.000» ; « M. Mon-telier, marchand de fer : 3.400 » ; M. Lagier, marchand :1.000 ; Lion (personne domiciliée à Lyon ?) : 1.500 » ; « Antoine Robert, plâtrier : 600 ».

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D’après le registre, la maladie duP. Champagnat aurait constitué unexcès de dépense d’un millier defrancs et il semble mieux dès le moisde février. La grande crise financièreest au mois de mai. Nous pouvonsmême resserrer son grand moment :entre le 3 et le 10 mai, la maison doitacquitter 7.568 F.

Ce n’est donc pas la crainte de lamort de Champagnat qui a déclen-ché la crise financière mais un autreévénement ou un faisceau d’autresévénements, et pour en avoir lecœur net il faut reprendre la suite duscénario exposé par les sources ma-ristes.

1.9. La suite du conflitCourveille-frères

Les sources maristes porteusesde la tradition des frères évoquentleur découragement devant la pers-pective du décès de Champagnat etla sévérité de Courveille qui menace,punit et renvoie. L’exaspération sem-ble à son comble quand Courveilledéclare publiquement qu’il envisagede se retirer. Le F. Stanislas, chef del’opposition, encourage les frères,fait des remontrances à M. Cour-veille, renseigne M. Champagnat surla situation et sollicite l’aide de M.Dervieux pour payer les dettes.

Finalement, Champagnat se pré-sente aux frères réunis pour affirmersa présence de supérieur avant depasser sa convalescence chez M.Dervieux. Courveille suscite alorsune inspection diocésaine sévèrequi corrobore ses assertions quantà la formation insuffisante desfrères. Mais celui-ci, suite à unefaute, doit se retirer à Aiguebelle.Les événements décrits se seraientdonc déroulés du 25 décembre1825 à la fin mai, date du retrait deCourveille.

L’ennui de ce scénario, c’est quele F. Jean-Baptiste, dans la Vie, aempilé divers témoignages et crééune chronologie en partie factice dif-ficile à concilier avec celle du registredes dépenses et même le témoi-gnage de Champagnat.

1.10.Une lettre du P. Champagnat d’un ton très différent

En 1833, au moment où il estquestion d’affilier son œuvre à cellede M. Querbes, Champagnat évoque« la triste affaire de M. Courveille » et« la désertion de M. Terraillon » en182613 en étant à peine moins sé-vère envers M. Terraillon qu’enversM. Courveille :

120 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

13 OM 1, doc 286. En fait il s’agit d’un brouillon de lettre.

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Champagnat se reconnaît doncdeux adversaires et n’est pas loin dedésigner Terraillon comme le princi-pal. En effet, il insinue que la ma-nœuvre entreprise vise à susciter ledépart des frères. Il n’évoque pasl’action des créanciers mais Cour-veille et Terraillon usant de cette me-nace pour détacher les frères an-ciens de la société. Néanmoins, il nenie pas une menace de faillite pen-dant un temps puisqu’il est questionde dernier morceau de pain.

Le scénario qu’il décrit se dérou-lerait donc en quatre temps :

1. Sa maladie occasionnant unedéfiance envers lui de M. Ter-raillon.

2. Terraillon et Courveille visant àprovoquer le départ des frèresopposés à eux.

3. Son retour à la santé et sonaction pour rassurer les frères.

4. Sa solitude, comme prêtre, etle retour à une situation finan-cière plus favorable.

1.11. Un problèmechronologique

Nous savons que l’archevêché anommé M. Terraillon à l’Hermitage le25 août 182516 et il y est certaine-ment présent au moment où lesfrères élisent Champagnat. Récem-ment arrivé, on comprend qu’il soitresté en retrait. En revanche, quand,

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14 Il semble suggérer que la faute de Courveille est un châtiment du ciel. 15 C’est le poste occupé par Terraillon en 1833. 16 Mgr. de Pins lui a refusé de rejoindre les frères Colin

« Pendant qu’une maladie grave et longue, de grandes dettes pesant sur ma tête, je veux faire Mr Terraillon mon héritier universel, M. Terraillon refuse mon héritage en disant que je n’ai rien, ce qu’il ne cesse, avec Monsieur Courveille, de dire aux frères : les créanciers viendront sous peu vous chasser d’ici ; nous n’avons qu’à accepter une cure et vous abandonner. Enfin, Dieu dans sa miséricorde, hélas peut être dans sa justice14, me rend enfin la santé. Je rassure mes enfans ; je leur dis de ne rien craindre, que je partagerai toutes leur infortunes, en partageant le dernier morceau de pain.Je vis dans cette circonstance que ni l’un ni l’autre n’avait pour mes jeunes gens des sentiments de père. Je n’ai d’ailleurs aucune plainte à faire contre Mr le curé de Notre Dame15, dont la conduite a toujours été édifiante dans notre maison.Me trouvant seul par l’éloignement de Mr C(ourveille) et le départ de Mr Terraillon, Marie ne nousabandon[ne] pas. Nous payons à mesure nos dettes, d’autres confrères prennent la place des premiers. Je suis seul pour faire les frais de leur entretien. Marie nous aide, cela suffit. »

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début janvier, il refuse d’être léga-taire de Champagnat, il affirme clai-rement sa défiance envers le projetChampagnat-Courveille.

Le 14 février 1826, Champagnatet Courveille achètent à M. Bertholondeux parcelles de terrain moyennant1.000 F. qu’ils paient comptant17.Champagnat est présent ce jour-làchez Maître Finaz le notaire, ce quisignifie qu’il n’est plus alité. Le paie-ment de la somme montre : queCourveille-Champagnat ne man-quent pas de crédit ; que l’ententeentre eux se poursuit et qu’il n’estpas question d’abandonner l’œuvre.Que se passe-t-il entre le 14 février etla fin mai, moment où M. Courveillequitte la maison avant d’envoyer dela Trappe d’Aiguebelle une lettre da-tée du 4 juin ? Quant à M. Terraillon,il ne quittera l’Hermitage que vers laToussaint 1826.

Il est relativement aisé de situer laguerre entre Courveille-Terraillon etune partie des frères menés par le F.Stanislas entre le 6 janvier et le débutfévrier. Un témoignage de la Vie in-dique qu’elle dura trois semaines etque les établissements n’en furentmême pas informés (Vie, ch. 13, p.146). C’est donc une crise violentemais brève. Néanmoins, elle ancrechez les frères l’idée que la maisonrisque la faillite.

D’après la Vie, le P. Champagnatserait alors allé chez M. Dervieux etl’Hermitage aurait subi une inspec-tion diocésaine après une lettre de M.Courveille dénonçant l’incapacité duP. Champagnat. Mais les archives del’archevêché n’ont pas gardé tracede cette lettre ni de cette inspection.En revanche, le conseil de l’archevê-ché précise le 5 juillet 182618 que :

« M. Cattet veut bien se charger de tenter de fairedonner une retraite aux Instituteurs primaires19

dans le local de l’Ermitage de Saint Chamond. »

Il est possible que ce projet aitsuscité la visite de M. Cattet et aitpassé aux yeux des frères, particu-lièrement soupçonneux, pour uneinspection. En tout cas, le 2 août1826, le conseil de l’archevêchéconstate que20« L’état déplorable dutemporel des Frères de l’Hermitagerend un compte détaillé de leur situa-tion très nécessaire. » Mais ces datessont en contradiction avec l’inspec-tion rapportée par la Vie qui situecelle-ci avant le départ de M. Cour-veille, c’est-à-dire en avril ou mai.

Les sources maristes classiquespréconisent donc une chronologiecourte close par le départ de Cour-veille. Mais la crise financière en maiet les documents issus de l’archevê-ché suggèrent une chronologie pluslongue : sans doute un séjour de

122 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

17 OFM, doc. 654.18 OM1, doc. 155. 19 Donc, pas seulement les frères. On est à une époque où le clergé domine l’université. 20 OM1, doc. 158.

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Champagnat chez Dervieux plus tar-dif, en juillet–août, et un gouverne-ment de la maison par M. Terraillonpendant son absence, qui aurait sus-cité une nouvelle crise sanctionnéepar son départ à la Toussaint.

1.12.Bilan des années1825-26

Nous serions tentés d’opter pourla chronologie longue du fait queChampagnat est très clair sur unpoint : Terraillon a joué un rôle trèsimportant dans la crise qui n’auraitdonc pris fin qu’à la Toussaint. D’au-tre part, la tradition des frères agommé l’action de M. Terraillon pourune raison simple : au moment de larédaction de la Vie de Champagnat,il est toujours vivant et Père Mariste.Il ne décédera qu’en 186921. Sa no-tice biographique suggère une per-sonnalité indépendante voire domi-natrice, très soucieuse de sesintérêts, qui mériterait une étude ap-profondie. En tout cas, M. Courveillene mérite pas d’endosser seul unedamnatio memoriae de la part desfrères.

Dans cette affaire, les frères an-ciens jouent un rôle décisif car il sem-ble que les prêtres nouveaux venusaient voulu recommencer l’œuvre :d’une part en poussant dehors lesfrères anciens fidèles à Champagnat

et à la tradition de Lavalla ; et d’autrepart en tentant de former les novicesselon leurs propres vues. La tradi-tion des frères souligne la résistancerésolue du F. Stanislas mais elle ré-vèle aussi un trouble profond dansleurs rangs illustré par la sortie des F.Jean-Marie Granjon et Étienne Rou-mésy et par la tentation du F. Louisde s’orienter vers le sacerdoce22. M.Terraillon lui-même semble avoir ététrès affecté : le F. Avit signalequ’avant son départ de l’Hermitage :« A la suite d’une maladie, il étaittombé dans une léthargie profonde »au point qu’on l’avait cru mort23.Dans sa lettre d’Aiguebelle, M. Cour-veille saura définir clairement lacause fondamentale de ces mala-dies et départs surprenants : « la dif-férence d’opinions sur le but, laforme, les intentions et l’esprit de lavraie Société de Marie24. »

En somme, l’élection de Cham-pagnat se déroule en deux phases :en octobre 1825 les frères le choisis-sent comme supérieur, prenant audépourvu non seulement Courveillemais lui-même. Sa maladie est cau-sée en partie par le dilemme où il setrouve mais assez tôt, certainementavant le 14 février, il s’affirme à nou-veau comme supérieur, à la grandejoie des frères anciens. Néanmoins,semble suivre une phase assez trou-ble favorisée par l’état de faiblesse

André Lanfrey, fms 123

mars2013

21 OM4 p. 355-356, notice biographique. 22 Vie, ch. 14, p. 151-156. 23 Annales de l’Institut, année 1826, § 57. 24 OM1, DOC ; 152 ? § 13.

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de Champagnat. On a alors l’impres-sion de deux conflits emmêlés: d’unepart entre les frères anciens et d’au-tre part entre les trois prêtres. D’ail-leurs, c’est Terraillon qui est l’artisande l’éloignement définitif de Cour-veille. A la Toussaint 1826, Champa-gnat se retrouve seul prêtre, pourainsi dire élu supérieur une secondefois par des disciples qui ont sembléun temps plus résolus que lui.

Quant aux difficultés financières,bien réelles, elles semblent avoir étélargement instrumentalisées par Cour-veille et Terraillon. Les rembourse-ments massifs de mai 1826 ne vien-nent pas du risque de décès deChampagnat mais plus probablementde la rumeur des divergences entreles chefs de l’œuvre. D’ailleurs, dansune lettre à un grand vicaire en 182725

Champagnat rappelle : « La malheu-reuse affaire de M. Courveille et le dé-part de M. Terraillon me mettent dansune fausse position par rapport au dis-cours du public qui parle toujours sansconnaissance de cause. » Écrivant à lamême époque à M Barou, vicaire gé-néral, il est encore plus précis :

« Je suis seul, comme vous le savez, ce qui donnebeaucoup à penser aux personnes même quiparoissoient affectionner l’œuvre et qui l’aidoient, lepublique qui parle presque toujours sansconnoissance de cause m’imputans d’abordl’éloignement de M. Courveille et de M. Terraillon26. »

Si en 1827 Champagnat voit sur-tout les problèmes que lui pose cetteannée terrible, en 1833, il en tirerales conséquences spirituelles :

« Marie ne nous abandonne pas. Nous payons à mesure nos dettes, d’autres confrères prennent la place des premiers. Je suis seul pour faire les frais de leur entretien. Marie nous aide, cela suffit ».

Cependant, dès 1828, bien qu’ilait désormais acquis aux yeux desfrères la stature d’un fondateur, iln’envisage pas un instant de rendreceux-ci indépendants du projet pri-mitif :

« La société des frères ne peut pas positivement être regardée comme l’œuvre de Marie, mais seulement comme une branche postérieure à la société elle-même27. »

Même si les frères ont imposé lalégitimité de la fondation de Lavalla,Champagnat ne voit pas celle-cicomme effaçant le formulaire et laconsécration de 1816. Le problèmede 1825-26 demeure donc : com-ment combiner pratiquement la spé-cificité de l’œuvre des frères et leprojet primitif ? De ce dilemme, laSociété de Marie ne sortira que bienaprès le décès de Champagnat parune séparation à l’amiable entre labranche des prêtres et celle desfrères.

124 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

25 OM1, doc. 173, § 6.26 OM1, doc. 173, § 16. 27 Lettre à M. Cattet, vicaire général, OM1, doc 185.

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2.DE L’AUSTÉRITÉ À UNE RELATIVE AISANCE

2.1. L’alimentation desFrères en 1822-40

Nous savons par la Vie que l’exis-tence matérielle était particulière-ment austère à Lavalla et le F. Avit(1822 § 34) rapporte que l’ordinaireconsistait « en des bouillons clairs età l’huile, du pain de seigle, du fro-mage, du laitage, des légumes, par-fois un peu de lard et de l’eau ». Il re-connaît qu’en 1832 (§ 198) « lanourriture des frères commençait às’améliorer… on servait un peu deviande à dîner.. ; avec un peu de vinon rougissait la bonne eau du Gier[…] Les autres mets consistaient enpommes de terre, en carottes, cuitsdans la soupe puis enlevés avec uneécumoire et jetés dans les plats àservir avec un peu de sel. » La mêmeannée, dans les écoles « un hectoli-tre de vin fut suffisant pour griser 3frères pendant toute une année. »

A la lumière des registres decompte faciles à consulter dans Ori-gines des Frères Maristes, nousavons les moyens de vérifier et depréciser ces affirmations. Commedans cet article nous allons utiliserde nombreuses unités de poids etmesures, nous rappelons qu’alors laFrance vit selon les mesures an-ciennes, toujours très pratiquées etle système métrique qui commenceseulement à s’imposer. Ainsi l’unitéde capacité pour les grains et lespommes de terre est le bichet valant27,30 litres. Pour les poids, on utilise

la livre, valant 421,90 grammes, et lequintal (différent du quintal métrique)valant 100 livres soit 42,199 kg. Quantà l’argent, l’unité officielle est le francmais les gens utilisent souvent lesou, un franc valant 20 sous.

Pour avoir une idée des salaires, ilfaut savoir qu’un bon ouvrier (ma-çon, menuisier…) gagne environ 2 F.par jour de travail et donc environ600 F. par an. Mais il est vrai que laplupart des gens exploitent une terrede laquelle ils tirent une grande par-tie de leur alimentation. Depuis leXVIII° siècle, la France ne connaît plusde famine mais des temps de disetteet de pain cher.

2.2. « Bled » et seigle

Le pain est alors l’une des nourri-tures de base. Il est fait à partir du« bled », mot qui désigne alors lescéréales en général et plus spéciale-ment le seigle, qui donne le pain bis(gris), nourriture commune dans ungrand nombre de régions de France.Ce qui en France est aujourd’hui ap-pelé le « blé » était alors nommé lefroment avec lequel on produisait dupain blanc, encore rare et coûteuxmais qui, au XIXe siècle, deviendrapeu à peu le pain courant.

Le seigle ou le froment doiventêtre moulus dans un des multiplesmoulins le long de la vallée du Gier,notamment au bas, dans le hameaude La Rive au confluent du Gier et duBan. La première mention d’un paie-ment à un meunier apparaît dans lescomptes en octobre 1823 : « plus

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payé au munier : 7028. » Plusieurs do-cuments montrent qu’à Lavalla lesfrères pétrissent et cuisent eux-mêmes leur pain. Ils devaient pour celadisposer d’un pétrin ou maie. Mais onne sait s’ils possédaient un four. Entout cas, ce n’était pas une petitetâche que de faire le pain, mais il n’yavait pas le choix : le bourg de Lavallane semble pas avoir eu de boulanger.

Pour se procurer le seigle, il n’estpas besoin d’aller très loin, Lavalla

produisant cette céréale en quantité.Presque toujours, l’unité employéeest le bichet. Un document29 indiqueen février-mars 1824 plusieurs achatsde bled à des habitants de Lavalla :Chovet, Rivat, Brunon… pour unesomme d’environ 200 F. Le registred’inscriptions30 signale au 1er mai1824 : « Reçu 10 cartes de blé à 3 F.la carte : 3031 ». Le livre des dé-penses32 qui commence en 1826renferme de très nombreuses men-tions d’achats. Rien qu’en 1826 :

126 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

28 Erreur d’interprétation dans OFM/1, doc. 106 p. 317 qui pense à « menuisier ». En fait, l’orthographe« munier » reproduit la prononciation patoisante de « meunier ».

29 OFM/1, doc. 106, p. 317.30 OFM/1, doc. 105, p. 301.31 La carte semble équivalente au bichet. 32 OFM/1, doc. 120.

fms Cahiers MARISTES31

7/1/1826 Blé 950 F

2/3/26 Blé acheté à Géraudet Antoine de Lavalla 102

14/3/26 Blé et foin 70

3/5/26 Blé acheté à Poëton (Poyeton) de Lavalla 155

14/9/26 Blé acheté à Tardy de Soulages 157

17/9/26 Blé acheté à Crapanne de la Rivoire 55

18/11/26 Blé (200 bichets) 800

30/12/26 Blé acheté au marchand de blé 300

Total 2.589 F

C’est la grande dépense annuellede la communauté effectuée surtouten novembre-janvier, au moment oùles battages au fléau, qui prennentbeaucoup de temps, ont eu lieu et oùles paysans vendent leur grain. Lesprix doivent être alors assez bas : 4 F.le bichet en novembre 1826.

Les achats sont faits auprès d’ha-bitants de divers hameaux de Lavallaet le registre indique un certain Gal-let du hameau de Péalussin commefournisseur régulier. Cependant, si-tuée désormais plus près de SaintChamond et plus nombreuse, lacommunauté commence à s’appro-

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visionner auprès de marchands de blécapables d’offrir plus de régularité et

peut-être de meilleurs prix. En toutcas, dès 1827 le tournant semble pris :

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mars2013

33 Annales des maisons, Chavanay.34 OFM/1, doc. 108, p. 321.

8/3/27 Gallet, 53 bichets de bled et un cochon 200

1/4/27 Marchand de bled 534

Mars 1827 Marchand de bled 500

Mai 1827 Marchand de bled 540

22/6/1827 Marchand de bled 300

Août 1827 Marchand de bled 180

12/9/27 Gallet de Pialoussin, de Lavalla 400

20/10/1827 Royer d’Izieux, bled ?

Évidemment, il faut faire moudre cegrain et les frais de meunerie appa-raissent assez souvent dans lescomptes. Par exemple, le 5 mai 1827,on paie 26 F. au meunier d’Izieux, et le3 décembre, 90 F. pour 500 bichets àun meunier non précisé. Un achat defarine à Saint Chamond (115 F.) n’ap-paraît que le 13 octobre 1832. Il semblequ’à partir de ce moment les achatsde blé se raréfient et que la farine aitété procurée par Courbon Lyonnet,épicier en gros de Saint Étienne.

Les achats de « bled » traduisentdonc une évolution de l’approvision-nement : à partir de 1827 il y a dé-connexion partielle avec le milieud’origine et branchement sur lesgrands réseaux de distribution.

2.3. Le froment

Le F. Avit33 et la Vie rapportent l’al-garade reçue par le F. directeur d’Am-

puis qui, lors de la visite du P. Cham-pagnat en 1823, garde une grosseprovision de pain blanc, probablementdonné par les habitants car il est si durqu’il faut le casser avec un marteau.Le F. directeur se justifie en affirmantqu’il est plus nourrissant que le painbis et qu’on en mange moins. Mais leFondateur rétorque que la plupart descurés ne consomment que du painbis et que l’usage du froment estcontraire à l’esprit de pauvreté.

Cette attitude rigoureuse sembles’estomper assez vite puisque le 2juin 1825, au moment où la commu-nauté de Lavalla vient juste de s’ins-taller à l’Hermitage, on procède àl’achat à Gerin, du Bachat, de 40 quin-taux de bled froment à 11 F. le quintal,donc pour 440 F34. Le 3 février 1829(Registre des dépenses), du fromentest acheté à Gallet de Péalussin etsurtout le 11 septembre 1830, l’Hermi-tage achète à Chovet, du hameau

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des Chazeaux, 12 bichets et demi defroment trémois35 pour 90 F. ; ce quiindique un prix par bichet de 7,2 F.,plus ou moins le double du prix duseigle. Les comptes n’indiquentguère ensuite d’achat de fromentpeut-être parce que les marchandsde farine, entre autres CourbonLyonnet, épicier en gros, livrent indif-féremment des farines de fromentou de seigle.

Quoi qu’il en soit, on voit que lesprincipes de Champagnat en 1823ne semblent s’appliquer qu’avecsouplesse. Il se peut d’ailleurs quel’achat de juin 1825 ait été justifié parles fatigues occasionnées par les tra-vaux d’aménagement de l’Hermi-tage : à la fois comme une récom-pense et un moyen d’entretenir lesforces.

2.4. Les « truffes »(pommes de terre)

Aujourd’hui, en français le mot« truffe » désigne un champignonpoussant dans la terre et servant àparfumer les plats. Ne pouvant êtrecultivé, c’est un produit extrêmementcher. Du temps du P. Champagnat,ce terme patoisant désigne lespommes de terre, cultivées dans larégion de Lavalla à partir du milieu duXVIIIe siècle. Les registres de compteusent d’ailleurs des deux termes« truffes » et « pommes de terre »mais ils n’emploient pas le mot « pa-

tates » pourtant familier aujourd’hui.Avec le « bled », au début du XIXe

siècle, elles sont à la base de l’ali-mentation.

Paradoxalement, les registres decompte parlent peu des « truffes »car c’est un produit peu coûteux etpeu commercialisé, chaque fermeayant sa propre production. On peutêtre sûr que les frères, à Lavalla puisà l’Hermitage, cultivent eux-mêmesune bonne partie des pommes deterre nécessaires à leur consomma-tion, le reste pouvant leur venir dedons ou d’achats sporadiques.

Nous trouvons la première men-tion d’un achat de « truffes » en no-vembre 1826, à un certain Chappardet seulement pour 25.50 F. On si-gnale un autre achat, en 1827, à unhomme de Sardière pour 23.50 F. En1830, Chovet, des Chazaux, livretrente bichets et, en 1832, Audras deLavalla en vend 50. Cette année, lespommes de terre doivent êtrechères puisque Chovet en vend en-core pour 25 F. à 2.25 F. le bichet.Dans les années 1837-40, la maisonachète entre 40 et 45 bichets à unprix d’environ 1 F. le bichet. Un certainPerche semble être le fournisseur at-titré de la maison. L’Hermitage sem-ble avoir gardé de forts liens avecLavalla pour son approvisionnementen pommes de terre alors que nousavons vu que, pour le blé, il en étaitautrement.

128 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

35 Blé de printemps poussant en trois mois.

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2.5. Les achats de vin

Visitant l’école de Saint Sauveur-en-Rue le 24 avril 1822, l’inspecteurGuillard déclare : « Ces espèces defrères vivent avec la plus grand fruga-lité et ne boivent jamais de vin36. » Leregistre d’inscriptions37 qui sembledonner les plus anciens renseigne-ments financiers sur l’Institut men-tionne au 21 janvier 1824 : « donné àPrénat pour une voiture vin : 8 F ». Cen’est évidemment pas le prix du vinlui-même mais de son transport. Leregistre des dépenses qui débute en1826 mentionne, en septembre, lepaiement de taxes sur le vin et le prixde son transport : 15 F. Et en octobre,David, marchand de vin, reçoit unpaiement de 80 F. Nous ne retrou-vons des achats de vin qu’en 1830,auprès d’un certain Lagarde : 150 F.en février et 45 F. en juillet. On noteencore deux achats en 1832 : à unhomme de Millery pour 60 F. et endécembre 4 pièces (tonneaux) de vinachetées à David pour 250 F. Ce n’estqu’à partir de 1837 que sont notés desachats réguliers : pour 352 F. cetteannée-là ; 488 F. en 1838 ; 2.089 F38

en 1839, (notamment du vin envoyéde Saint Paul-Trois-Châteaux). Enfin1.450 F. en 1840.

Les achats de vin ont donc com-mencé plus tôt que ne le disent nossources habituelles mais, comme les

comptes ne mentionnent pasd’achats en 1827-29, 1831, 1834-36,il y a un certain flou, ces interrup-tions pouvant venir d’une tenue in-complète des comptes mais ausside phases économiquement plusdélicates durant lesquelles on est re-venu à la tradition. Par exemple, l’an-née d’abstention de 1831 s’explique-rait par les conséquences de larévolution de 1830. Au total, le choixde l’année 1832 comme celle du dé-but d’une consommation régulière etassez importante semble pertinent.

2.6. Consommation du porc

Chaque ferme de Lavalla élève aumoins un cochon, sacrifié en généralen décembre-janvier pour donner dulard et de la viande, conservés soi-gneusement au saloir, ainsi que dessaucisses, saucissons et jambonsmis à sécher dans les greniers oules cheminées. Curieusement, nuldocument, à notre connaissance, nesignale qu’à Lavalla ou à l’Hermitagela communauté ait élevé des porcs.Si la chose est facile à comprendre àLavalla, elle paraît moins évidente àl’Hermitage.

On peut néanmoins penser queles frères recevaient des dons enviande de porc. En outre, la coutumea dû se prendre assez tôt d’acheter

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36 OM1, doc. 75.37 document 106 ( OFM/1, p. 317).38 Lettre du P. Champagnat au F. François le 7 mars 1838 : « Vous savez que M. Vieno compte, je pense,

à ce que nous prenions une centaine de barils de son vin. Il faut que le F. Stanislas s’entende avec le che-min de fer qui les amènera de Perache (la gare de Lyon). » Document signalé par le F. Henri Réocreux.

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des porcs sur pied aux paysans deLavalla. Le registre d’inscriptions39

mentionne en janvier 1824 l’achat d’uncochon pour 122 F. Le livre des dé-penses, commencé en 1826, est pleinde ces achats. Ainsi, en janvier 1826,la maison achète à Audras de Lavalladeux cochons pour 221 F. et le noviceBret en achète un autre le même moispour 72 F40.

En janvier 1827, quatre cochonssont achetés, dont l’un à Fara et unautre à Tibeau, tous deux du hameaudu Fleurieux. Le total s’élève à 530 F.Comme en 1828, le prix du quintal41

(100 livres) de porc coûte 33 F., celasignifie l’achat de seize quintaux soit675 kg de porc vivant, ensuite sacrifiéet apprêté par les frères ou un artisanhabile. De quoi s’approvisionner enlard, jambons, saucissons… unegrande partie de l’année. Et les achatsréguliers de porc continuent chaqueannée. Mais il est vrai qu’à cetteépoque le porc ne passe pas pourune viande noble et l’achat de viandebovine est un signe d’aisance.

2.7. La viande de boucherie

Le registre d’inscription42 signalel’achat d’une vache le 7 janvier 1824pour 72 F. et le Doc. 106 (OFM/1, p. 317), au 18 janvier 1824, un secondachat pour 45 F. Mais il est peu pro-

bable que ces deux animaux aient étémangés. Il faut sans doute penser quela communauté en disposait pour seprocurer du lait et sans doute confec-tionner beurre et fromage. D’ailleurs,les livres de compte signalent assezfréquemment des achats de foin et deson destinés à nourrir un bétail. Entout cas, en janvier 1826, le registredes dépenses signale encore l’achatde deux vaches au prix très faible de27 et 28 F43. Comme en deux ans lacommunauté s’est procuré quatrevaches, on peut penser que certainesd’entre elles ont dû servir à laconsommation de viande. Mais ilsemble que la viande bovine soit de-meurée un mets rare jusqu’en 1830.

En tout cas, c’est à partir de la finde 1830 que la maison paie au bou-cher Dervieux d’Izieux des sommesimportantes sans qu’on sache s’ils’agit de viande de porc ou bovine. Leregistre note en novembre 1831 lepaiement de 175 F. pour « 500 livresde viande ». Un seul achat est signaléen 1832 : 185,50 F. En 1833, trois paie-ments ont lieu, probablement à Der-vieux : 86 F. pour 231 livres (0,37 F ; lalivre) ; 164 F. pour 438 livres à 7,65sous (0,375 F) la livre et encore 184 F.qui doivent correspondre à 500 livresde viande. La maison aurait doncconsommé en plus ou moins un anaux environs de 1200 livres de viandesoit un peu plus de 500 kg.

130 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

39 Doc. 109 (OFM/1, p. 317).40 Ce semble être un moyen de payer sa pension. 41 Il ne s’agit pas du quintal métrique (100 kg) mais du quintal traditionnel valant 42,2 kg. 42 OFM/1, doc. 105, p. 309.43 Ce pourrait être plutôt des génisses.

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Les comptes corroborent doncassez bien ce que disent nossources : en 1831 les achats deviande bovine deviennent significa-tifs et, dès 1833, ils sont importants.

2.8. Autres nourritures

Il est bien évident que les regis-tres de compte n’ont pas noté tousles achats de produits alimentaires,soit par oubli soit parce que, faisantde plus en plus appel à des épiciersen gros, la maison paie des facturesglobales dont le détail n’est pas portésur les registres.

En tout cas, il n’est pas questiond’achats de fruits dans les registresavant 1837 à part deux achats de ce-rises en 1832. Au contraire, de 1837 à1840, les achats de cerises et de raisindeviennent assez fréquents au mo-ment de la récolte : en juin-juillet pourles cerises, en septembre pour les rai-sins. Leurs prix sont alors bas : en juin1840, 140 livres de cerises (59 kg) coûtent 7 F. En septembre, deuxquintaux de raisin (85 kg) coûtent 10F. Pour les œufs, c’est un peucomme pour les fruits : un achat mo-deste apparaît en 1826 mais lesachats importants et réguliers com-mencent à la fin de 1837. Les prixfluctuent entre 0,40 et 0,80 F la dou-zaine. Quant aux produits laitiers, lebeurre figure assez régulièrementdans les comptes dès 1826 et pourdes sommes importantes, mais lefromage n’y apparaît qu’en 1837.

Le sel n’est cité que quatre foisdans les comptes mais pour dessommes importantes et ce, dès 1826.Deux achats importants en janviersemblent liés à l’abattage et au salagedes porcs. Comme pour le sel, lesachats d’huile sont rarement signa-lés. Cependant, en 1827, figure unachat de 100 kg d’huile d’olive moyen-nant 180 F. Il n’est question qu’unefois d’achat de poisson, en 1839.

2.9. L’alimentation des malades

L’introduction de nouvelles nourri-tures est liée au soin des malades età une meilleure organisation de l’in-firmerie. Ainsi, à partir de 1837, semultiplient les achats de tabac (à pri-ser), de pain, de café, de chocolat,de fruits, de pruneaux, de miel, desucre, de fromage de gruyère, d’eauminérale. Le souci de guérir les ma-lades et de préserver les santés avraisemblablement acclimaté dans lacongrégation l’usage de nourritureslongtemps proscrites. D’ailleurs, lesprogrès des communications, labaisse des prix et l’enrichissementgénéral de la société rendent cesnourritures accessibles aux milieuxmodestes.

CONCLUSION

En 1831, le maire de Saint Martinen Coailleux44 déclare que l’entre-tien de l’Hermitage est assuré « par

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44 OM1/ doc 231, réponse du maire à une demande de renseignements du recteur de l’académie deGrenoble.

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le produit des pensions des novices,par la récolte d’un jardin qu’ils culti-vent eux-mêmes et qui leur rapporteen grande partie ce qui est néces-saire pour la vie frugale qu’ils mè-nent, ne mangeant presque pas deviande, et enfin par le travail de plu-sieurs de ces frères qui donnentquelques heures par jour à la fabri-cation de toile et de drap. »

Il ne faut pas donner un caractèretrop absolu à cette description quisemble correspondre davantage à lasituation de Lavalla et de l’Hermitageavant 183045. Et même les sourcesd’approvisionnement se sont déjà di-

versifiées en direction d’Izieux, SaintChamond, Saint Étienne, voire au-delà. Au moment où écrit le maire, lanourriture s’est déjà quelque peuaméliorée parce que la congrégationa plus de moyens financiers. A partirde 1837, la communauté est apte àfournir une nourriture « saine, abon-dante, propre et convenablementpréparée, mais commune et ordi-naire »46. Et même, elle peut offriraux malades des nourritures chèrescensées favoriser leur retour à lasanté. Après 1830, la production agri-cole de la maison ne fournit vraisem-blablement plus qu’un appoint im-portant.

132 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

45 Aucune allusion n’est faite aux ressources procurées par les écoles. La réponse du maire a pu êtreécrite en accord avec le P. Champagnat.

46 Règles du gouvernement, 1e partie, ch. X, article 1, 1854.

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ANNEXE

Souvenirs du F. Henri Réocreux et de sa maman sur la préparation du co-chon (2012)

« Dans la campagne autour de Saint Chamond et dans ma famille, on tuait le cochon chaque année. Cela se faisait l’hiver car il fallait que ce soit une période froide et sèche. Mon frère, installé en Bretagne, l’a éprouvé jusqu’à renoncer au séchage dans sa région d’adoption, trop humide.Il fallait réserver la date sur l’agenda du « tueur » ; ainsi nommait-on les personnes aptes à conduire le « tuage » du cochon. Ils faisaient ainsi une tournée de quelques semaines à deux mois selon la demande,souvent chez des clients habituels où ils arrivaient avec leur matériel spécifique. Le tuage d’un cochon se faisait, généralement, sur deux journées.Le premier jour avait lieu le tuage proprement dit. La bête solidement fixée sur un timon de char oususpendue par les pattes arrière, le tueur coupait la carotide et recueillait le sang pour la confection duboudin. Une fois mort, la soie du cochon était brûlée avec de la paille enflammée puis le cuir était raclé pour éliminer tous les poils du lard. Le tueur procédait alors au dépeçage et la famille traitait chaque partieselon la destination des diverses parties du cochon. La viande, étalée, devait rester dans un endroit froid et sec toute la nuit pour favoriser une bonne conservation. Le boudin, avec le sang et les ingrédients choisis,oignon et ail d’abord, était cuit le jour même.Les parties qui ne se conservent pas faisaient l’objet de partage avec les voisins, famille et amis. Tout enfant,je portais ainsi la « fricaude » aux voisins. Quand ils tuaient leur cochon, ils nous en envoyaient une en retour.La « fricaude » comportait du boudin, du lard et de la « coiffe » (le diaphragme). Elles étaient agrémentéesd’autres morceaux plus nobles selon le degré de proximité affective avec la famille. Nous la mangions en fricassée. J’ai encore le souvenir d’un vieux frère qui disait, en privé, qu’ils recevaient tellement de ces« fricaudes » qu’ils étaient obligés d’en enterrer dans le jardin plutôt que de froisser les gens en les refusant.Il est vrai qu’ils n’étaient que deux dans cette petite école de campagne.Le deuxième jour, on travaillait la viande, en particulier pour faire les saucisses et les saucissons. Elle étaithachée avec du gras puis assaisonnée et malaxée. Pendant ce temps, les boyaux, vidés, étaient lavés à larivière, une fois l’extérieur, puis, après retournement, l’intérieur. Ils étaient alors prêts pour l’ « embossage »qui fabriquait la saucisse et les saucissons. Le gros intestin, rempli de la chair à saucisse, devenu énorme,était appelé « Jésus » et constituait une pièce de choix. La partie de l’intestin qui le précède plus régulière et rectiligne, mais d’un diamètre supérieur aux autres saucissons s’appelait « Rosette ». Il constituait aussi un morceau de choix souvent proposé en prix dans les concours populaires. Ces travaux achevés, le tueurpouvait recevoir le prix de son travail et laisser la famille s’occuper de la suite.Terrines et pâtés stérilisés incluaient certains abats comme le foie. La graisse fondue et refroidie, le saindoux, était très utilisée pour cuisiner. Il y avait deux manières de conserver sur une année entière la viande : la saumure qui consistait à plonger la viande dans une préparation très fortement salée ; lemanteau de lard comme le jambon étaient recouverts de gros sel. La seconde manière est le séchage.

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Pendant quelques semaines, le plafond de la cuisine supportait des barres de bois avec saucisses,saucissons, jambons. Le feu dans l’âtre, outre le séchage, donnait aussi un goût agréable par la fumée. Pour la suite des opérations de conservation, lorsque la peau avait suffisamment séché, il y avait deuxméthodes, selon les traditions de famille : soit on les suspendait dans un grenier à l’air froid et sec, soit on les plongeait dans un coffre rempli de cendres de certains feuillus (c’est-à-dire d’arbres à feuillescaduques, et non pas de résineux).A cette époque là, l’élevage du cochon entrait dans une économie de type familial. C’était le moyen de valoriser tout au long de l’année les divers déchets familiaux, les pommes de terre récoltées abimées ou petites ; on cultivait aussi pour les nourrir certaines plantes comme des choux, des raves ou des navets.Leur nourriture était souvent cuite dans des « chaudières » et réduite en bouillie. Le cochon à éleverprovenait de l’élevage familial ou d’un achat chez des voisins pour que, l’année durant, il soit engraissé en prévision de son abattage. »

134 III. De Lavalla à l’Hermitage : crise initiale et lente mutation matérielle

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1. LAVALLA-EN-GIERAUJOURD’HUI

1.1. Ruralité etpériurbanisation

Lavalla en Gier est bien connu desMaristes : nous savons tous quec’est le lieu de fondation des Frèresle 2 janvier 1817. Les écrits des Ma-

ristes ont parlé abondamment de cevillage où a vécu un saint de 1816 à1824 qui lui a fait sa réputation inter-nationale. Mais où en est ce village denos jours ?

Depuis l’époque du P. Champa-gnat, sa géographie physique a étéun peu transformée par la construc-tion de trois barrages, mais sa géo-

135

IV.LAVALLA ET LES FRÈRESMARISTES DE 1825À NOS JOURS

É T U D E S

Louis Vibertfms

La Valla en Gier aujourd’hui (avec l’autorisation de l’éditeur)

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graphie humaine, elle, a bien changé.Actuellement, en 2011, la commune aplus de 1.000 habitants (2.583 en1831) et elle s’étend sur 3.478 ha, enzone de moyenne montagne dans lemassif du Pilat. En 1831, Le Bessat s’estséparé de Lavalla pour devenir unecommune indépendante. Les com-munes de Saint-Chamond, de Saint-Étienne, du Bessat, de Colombier, deGraix et de Doizieux l’entourent. Lavallafait aussi partie des 43 communes dela communauté des communes de« Saint-Étienne Métropole ».

Les altitudes extrêmes de la com-mune sont : 440 m au barrage deSoulages et 1.432 m au Crêt de la Per-drix. Le bourg est établi à flanc demontagne au sud-est de Saint-Cha-mond, entre les vallées du Ban et duGier. L’altitude indiquée par la bornede nivellement située au pied del’église, à gauche de l’entrée princi-pale, est de 651 m.

Les vallées étroites et profondesdu Gier et du Ban drainent les eaux deces torrents vers deux barrages quialimentent en eau la ville de Saint-Chamond : le barrage de la Rive, surle Ban, a été inauguré en 1869, et ce-lui de Soulages, un peu en-dessoussur le Gier, fut terminé en 1970. Untroisième barrage construit au Piney,inauguré en 1954 pour recueillir leseaux de la haute vallée du Gier, a étévidé par mesure de sécurité1. Mais sa

voûte demeurée intacte est toujourstrès visible.

Une soixantaine de hameaux2 dis-persés sur les versants du Gier et duBan, se partagent le territoire. Leurdistance avec le « bourg » varie de300 m à 10 km. Cinquante-cinq d’en-tre eux sont habités3, bien vivants, etconservent leur cachet ou se réno-vent dans cette belle région du Pilat.Les uns s’étalent sur des pentesadoucies où paissent vaches, mou-tons et chèvres ; d’autres, blottisdans un bois ou cachés derrière desrideaux d’arbres, paraissent être aubout du monde… Les uns abritent desrésidences principales ou secon-daires ; d’autres ont des activités agri-coles, industrielles (liées au bois), ouencore touristiques (gîtes, chambred’hôtes), de restauration, d’artisa-nat… 40% des habitants de la com-mune résident dans les hameaux et60% dans le ‘bourg’.

C’est dans ce paysage très acci-denté, tout en haut de la commune,que le Saut du Gier s’impose au visi-teur : c’est une cascade impression-nante, accessible après une ascen-sion à travers des éboulis de pierres,très caractéristiques sur la commune,que l’on appelle ‘chirats’.

Lavalla est incluse dans le ParcNaturel Régional du Pilat qui regroupe47 communes de la Loire et du Rhônesur un territoire de 700 km2 pour unedensité de 79,4 hab/km2. Couvert de

136 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

1 Il avait été construit sur le modèle du barrage de Malpasset, près de Fréjus, qui céda le 2 décem-bre 1959, cinq ans après sa construction (423 morts et disparus).

2 Par hameau il faut entendre aussi qu’il peut n’y avoir qu’une seule maison dans certains d’entre eux.3 En 1697, le curé de Lavalla cite 43 hameaux y compris Lavalla

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forêts, de sentiers balisés et depistes, il est parcouru par de nom-breux touristes, randonneurs, cy-clistes, pratiquants du VTT4, skieurs etcurieux attirés par son cadre naturel,ses monuments celtiques, ses voiesmégalithiques, ou par ses possibilitéssportives d’été et d’hiver. Le Parc esttraversé par 3 sentiers de grande ran-donnée5 auxquels s’ajoutent 9 itiné-raires pédestres, d’une trentaine dekilomètres à 104 km pour le pluslong, permettant de découvrir lemassif du Pilat sous différents as-pects. Le sentier N° 10, de 32 km,porte le nom de ‘Marcellin Champa-gnat’. Son point de départ est N.D. del’Hermitage (400 m) et l’arrivée est àMarlhes (1.000 m). Enfin, de nom-breux sentiers pédestres de quelqueskilomètres permettent d’effectuerdes boucles de distance plus mo-deste, au départ des principaux vil-lages du parc. Trois d’entre eux par-tent du bourg de Lavalla.

Quoique plutôt étroites et si-nueuses, les routes permettent une cir-

culation aisée. Le bourg de Lavalla,siège de la mairie, de l’église, de l’école,de quelques commerces, est le pôle ha-bituel de la majorité des « Vallauds6 ».Les voies de communication qui se di-rigent vers le nord rejoignent l’autorouteLyon-Saint-Étienne-Clermont-Ferrand.Vers le sud, on rejoint la vallée duRhône par le Bessat. Saint-Chamond,(35.608 h en 2009), n’est qu’à ¼d’heure de voiture, de même que leBessat (439 h en 2009). De la gare deSaint Chamond, on est à 40 mn detrain de Lyon et à 10 mn de Saint-Étienne. Aujourd’hui, Lavalla n’est doncen rien un espace enclavé.

1.2. La population à Lavalla

Déjà, en 1697, le curé de la pa-roisse de Lavalla fait état de la popu-lation de sa paroisse et recense 865habitants7. A l’aide de différents do-cuments, (dont ceux de l’Insee8 pourla situation actuelle) qui recensent lapopulation depuis 1793, nous pouvonsbâtir le tableau ci-dessous.

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4 Vélo tout terrain. 5 Sentiers permettant aux marcheurs de parcourir de grandes distances sur le territoire national et

même européen. 6 Vallauds, Vallaudes : habitants de Lavalla en Gier.7 Il note : « qu’autrefois le nombre d’habitants était plus grand d’un tiers et au-delà, quasi de la moi-

tié. » Et il ajoute : « que la cause de la diminution est venue de la cherté et disette des grains et cessa-tion du travail et maladies populaires. »

8 Institut National de la Statistique.

1793 1831 1901 1975 1990 2008 2011

2.146 h 2.583 h 1.800 h 581 h 745 h 912 h Plusde 1.000 h

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La population de Lavalla, passéede 2.583 habitants en 1831 à 581 en1975, a donc connu une gigantesqueérosion de 2.002 habitants en 144ans. Elle est l’exemple typique d’unexode rural ayant alors touché toutela France et même une bonne partiede l’Europe en plusieurs vagues. De-puis 1975, une lente remontée de la

population s’effectue : la décennie1999-2008 note 129 naissances pour44 décès. On peut estimer à l’heureactuelle à 460 le nombre de foyersde la commune.

Le classement par âges, pour 912habitants, nous donne, en 2008, letableau ci-dessous :

138 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

9 Dont les règlements limitent le taux d’urbanisation.

fms Cahiers MARISTES31

0 - 14 ans 15 - 59 ans 60 - 74 ans 75 - 89 ans + de 90 ans

194 556 105 54 3

Avec 750 habitants de moins de60 ans, c’est une population excep-tionnellement jeune, du moins en Eu-rope. La ville voisine de Saint-Cha-mond a connu une évolution inverse :à son apogée en 1982, sa populations’élevait à 40.267 habitants mais ellen’est plus que de 35.608 en 2009, soitune perte de plus de 4.600 h. en 27ans.

Ce double retournement de ten-dance a des causes générales : lescentres urbains se dépeuplent auprofit d’une large couronne urbaine oùles prix des terrains sont moins cherset le genre de vie plus agréable.Mais Saint-Chamond a pâti, en plus,de la crise des industries métallur-giques traditionnelles : Creusot-Loire(sidérurgie) est démantelé en 1984 etGiat-Industrie (armement) ferme en2006. Lavalla, en zone périurbaine,bénéficie donc d’une profonde mu-tation du milieu urbain et de l’écono-

mie tandis que Saint-Chamond estfrappé de plein fouet.

Lavalla connaît donc une nouvellevitalité mais l’augmentation du nom-bre de ses habitants a ses limites : lescontraintes géographiques sont là, demême que celles du Parc Naturel Ré-gional du Pilat9. D’autre part, les« Vallauds » tiennent à conserverl’identité de leur village.

1.3. Lotissements et immobiliers

Les élus locaux et les mairiesavaient bien pris conscience que le vil-lage risquait de mourir si des mesuresn’étaient pas prises pour attirer denouveaux résidents et de jeunes cou-ples. Ils ont donc misé sur le pouvoirattractif de la région dans le Parc duPilat, dû à sa qualité de vie à l’abri desgrands axes de communication et àla tranquillité qu’elle offre.

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La commune s’est alors lancéedans la création de lotissements et deréhabilitations d’immeubles avec toutesles infrastructures nécessaires répon-dant au plan d’urbanisation actuel. En1986, est créé le lotissement des Fou-gères avec 27 habitations et en 2006celui des Terrasses de Leytrat avec 19habitations dont 17 ont vu le jour.

D’anciens bâtiments ont été réha-bilités en logements : c’est le cas del’ancienne école publique (5 loge-ments) ; de l’Andéolaise (anciennemaison d’œuvres), 5 logements, et del’ancien presbytère qui offrent unequinzaine d’appartements avec bailemphytéotique dont quatre logementssociaux. Des immeubles privés pro-posent aussi des locations : celui de laRenaissance et de l’ancienne écoledes sœurs de Saint-Joseph offrentdésormais 9 logements. Même sicette liste n’est pas exhaustive, ellepermet de comprendre que c’estgrâce à une politique d’accueil que lapopulation dépasse les mille habitantsà l’heure actuelle.

1.4. Population active en 2008 par typed’activité10

Le problème des zones périur-baines est qu’elles sont constituées de« villages-dortoirs » offrant peu d’acti-vités sur place. Lavalla est dans ce cas.Les lieux de travail des actifs ne se si-

tuent, dans la commune de résidence,que pour 17,4% des cas ; alors qu’il estde 82,6% hors de la commune de ré-sidence, dont 73,9% dans la Loire11.

Pour être restreintes, les activitéséconomiques locales ne sont cepen-dant pas négligeables. Sur la com-mune se trouvent :

– Deux exploitations agricoles àtemps plein, (un vacher et un che-vrier) et une vingtaine de double-actifs, cumulant deux emplois dontl’un ayant rapport à l’agriculture oul’élevage.

– Une activité industrielle familiale: lafabrication de plaquettes fores-tières (bois déchiqueté pour chauf-ferie).

– De l’artisanat lié au bâtiment.– Un atelier de poterie.– Restaurants ou Services de res-

tauration à Lavalla, au Planil, à laJasserie, à La Rive, à la Barbenche.

– Ces deux dernières années ont vula naissance d’un gîte au hameaude la Serchette et d’une chambred’hôtes au Moulin du Bost.

Au bourg, on trouve les services ha-bituels : la mairie, l’église, l’école N.D.des Victoires12, la seule du village avecplus de 100 élèves ; une annexe de laPoste, le Café de la poste avec res-tauration, une boulangerie, une épi-cerie, un salon de coiffure. Le centrede Rocheclaine, sous la tutelle des

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10 INSEE, fiches mises à jour en juin 2011.11 7,3% dans un autre département de la région de résidence, et 1,4% dans une autre région en France

Métropolitaine. En fait Lavalla est proche des départements de l’Ardèche et de la Haute-Loire et une par-tie de ses habitants sont attirés par la ville de Lyon.

12 Établie dans une partie des locaux des Frères Maristes. Il n’ya pas d’école publique laïque à Lavalla.

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Sœurs de la Sainte-Enfance13 est unInstitut thérapeutique éducatif et pé-dagogique (ITEP). L’ensemble desces activités assure une centained’emplois.

Parmi les 617 habitants âgés de 15à 64 ans accomplis, Lavalla compte :

• 70,3 % d’actifs ayant un emploi• 2,4 % de chômeurs• 12,5 % de retraités• 7,3 % d’étudiants• 7,5 % d’autres inactifs

1.5. Projet communal

En 2010, le budget de la communes’élevait à 622.000 € en dépenses defonctionnement et 412.000 en inves-tissement. Ces ressources provien-nent : d’une forêt en extension maî-trisée et naturelle : 1.800 ha dont 300de forêt communale; des impôts ettaxes ; de la taxe professionnelle et dela dotation annuelle de l’État. Dans unfutur proche, la commune prévoitl’amélioration de la voirie ; l’achève-ment de la 5e tranche du réseau del’assainissement des eaux ; la réfec-tion des réseaux humides, c’est-à-dire : la séparation des eaux pluvialeset des eaux sales, la réfection du ré-seau d’eau potable, l’adduction d’eaupour certains hameaux afin d’amé-liorer leur attractivité. Quant aux ré-seaux secs, il est prévu d’acheverd’enfouir les lignes électriques et té-léphoniques. Enfin, sont envisagées laréparation des vitraux de l’église, la

mise aux normes de son réseauélectrique et l’expertise de sa toiture.

Telle est Lavalla, en ce début d’an-née 2012. La concertation et la coo-pération entre mairie, élus locaux etassociations ont assuré le renou-veau de la commune et la fixation surson sol d’une nouvelle population.

1.6. La paroisse deSaint-Ennemond-en-Gier

De même que l’équilibre ville-cam-pagne a été bouleversé dans lesdernières décennies, le dispositif pa-roissial a été restructuré. Lavalla faitdésormais partie de la grande pa-roisse Saint Ennemond-en-Gier, cen-trée sur Saint-Chamond et regroupantneuf clochers pour une populationd’un peu plus de 36.000 habitants.L’équipe d’animation pastorale com-prend trois prêtres à temps completdont un colombien et un libanais, etdeux diacres. Trois autres prêtresapportent leur concours occasionnelà cette équipe. « Les clochers » sesont dotés d’équipes pour préparer laliturgie des dimanches et assurer unrelais avec le centre de la paroisse.Quatre clochers ont une messe do-minicale chaque semaine, le samedisoir ou le dimanche, et les cinq au-tres, dont Lavalla, une fois par quin-zaine. Comme dans la plupart des pa-roisses en France actuellement, denombreuses autres responsabilitéssont dévolues aux laïcs : groupes de

140 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

13 Fondées à Lavalla par le curé Bedoin au XIXe siècle.

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formation biblique, pastorale de lasanté, funérailles, préparation aux sa-crements, catéchèse, catéchuménatpour adultes, aumôneries scolaires…

Quatre communautés religieusessont établies sur la paroisse : lesFrères Maristes avec trois commu-nautés (N.D. de l’Hermitage, Fonsala,Lavalla) ; les Sœurs de Gethsémani14 ;les Petites Sœurs de la Sainte-En-fance et les Franciscaines Mission-naires de Marie. A Lavalla, la fré-quentation aux messes dominicalesreste marquée par la fidélité des« anciens » et, aux obsèques, par uneforte solidarité communale.

Que devient l’héritage de Marcel-lin Champagnat dans ce « nou-veau monde » ? Je tente d’y donnerune réponse dans « Lavalla et lesFrères Maristes de 1825 à nos jours ».

2.L’HISTOIRE DESFRÈRES MARISTES À LAVALLA DE 1825 À NOS JOURS

2.1. Émergence du lieu de mémoire et vicissitudes de l’œuvre éducative

Le Père Champagnat quitte Lavallaen 1824 pour construire la maison deN.D. de l’Hermitage. En mai 1825, la

communauté de Lavalla (20 Frères et10 postulants) s’installe à l’Hermi-tage. Désormais, Lavalla n’est plusqu’une école. Mais nous allons voirque, peu à peu, elle deviendra bienplus que cela.

Pour rédiger cet article, je m’ap-puie, jusqu’en 1902, sur les Annalesdes Frères d’alors, intitulées : « An-nales de Lavalla en Gier ». C’est undocument peu connu. Elles se pré-sentent sous la forme d’un manus-crit, de 22,5 cm de long sur 17,5 cmde large comprenant 204 pages ma-nuscrites. Une copie sur ordinateur ena été rédigée par mes soins en 2009,pour les rendre accessibles à un plusgrand nombre, même si elles sont àusage interne. Elles ont été com-mencées dans les dernières décen-nies du XIXe siècle, plutôt vers 1885,et recouvrent une période qui s’étendde la Fondation de l’Institut, le 2 jan-vier 1817, jusqu’au 5 juillet 1902. Ellesparlent abondamment des Frères etde leurs œuvres, ce dernier motétant entendu à la fois dans sonsens matériel et apostolique. Elles ontun lien très fort avec la notice sur La-valla dans les Annales des maisonsrédigées par le F. Avit le 13 mai 1885.

Les Annales ont retenu le nom desdeux premiers directeurs : FF. Jean-Marie Granjon en 1818 et Jean-Bap-tiste Audras (F. Louis) qui y fut nomméen 182415. Et elles ajoutent :

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14 Fondées à Valfleury, lieu de pèlerinage proche de St Chamond. 15 Cette dernière date n’est pas sûre ; un autre document le nomme à Charlieu à cette époque. La

Vie affirme qu’il remplace le F. Jean-Marie en 1822 comme maître des novices.

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« A partir de cette époque jusqu’au 1er novembre1847, on ne sait rien de ce qui s’est passé danscette école. On sait seulement qu’il n’y avait que deux frères et que l’école n’était ouverte que de la Toussaint à Pâques. Ils étaient employésailleurs pendant l’été16. »

Les Annales nomment les cinqFrères Directeurs et les cinq Frères« en second » qui étaient à Lavallapendant cette période qui a duré 23ans. Les deux Frères descendaienttous les jeudis à l’Hermitage, y pas-saient leur journée et y faisaient leurmodeste provision pour la se-maine17. » Combien d’élèves à cetteépoque ? Une statistique de 1833note que l’école de Lavalla « compte90 élèves très dociles et que la mai-son est trop petite18 » pour une po-pulation de 2.583 habitants en 1831.

Dans les Annales de l’Institut, le F.Avit rappelle que, le 1er mai 1827, leFondateur vend l’annexe construiteen 1822 à M. Bedoin, curé de Lavalla,et le 5 février 1829, M. Couturierachète la maison Bonner moyennantla somme de 1.000 F19. Donc, à par-tir de 1827, les frères exercent dansune école paroissiale. Une telle solu-tion dispense la commune d’avoir uneécole en dédommageant peut-être lecuré propriétaire des lieux. Quant

aux frères, ils exercent dans unepartie du berceau primitif de l’Institutfort mal entretenu.

2.2. Pauvreté de la maison

Il paraît qu’il n’y ait jamais eu decontrat précis entre la commune etl’Institut à propos de cette école quisemble considérée comme une œu-vre de charité largement à la chargede l’Institut. C’est pourquoi les An-nales insistent souvent sur la vie aus-tère des Frères :

« Le mobilier était pauvre, le traitement des Frèrestrès minime et précaire, et leur logement tellementdélabré que les frères Victor et Pétrone, qui en prenaient gaillardement leur parti, avaient placéplusieurs petits moulins en face des lézardes ; ces jouets nouveau genre, presque toujours en mouvement, les égayaient et les excitaient à la patience20. »

2.3. Démêlés avec la municipalité

En septembre 1848, l’Institut faitnommer le Frère Athanase titulaire del’école. Comme il n’a pas son brevet,le frère assistant utilise celui du F. Avit,alors visiteur, sans même le préve-nir21 et il restera officiellement Direc-

142 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

16 Annales, p. 49-50.17 Comme le F. Laurent avait fait comme maître d’école-catéchiste au Bessat vers 1819-20. 18 Doc Bardyn dans monographie de Lavalla en Gier.19 Annales de l’Institut, t. 1, 1829, § 93. 20 Annales, p. 50.21 Voir Annales des maisons : On considérait alors le brevet comme une formalité administrative ; le

nom du titulaire importait peu. Le F. Avit semble avoir peu apprécié de n’avoir pas été mis au courant.

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teur à son insu jusqu’en 185622 . A da-ter de 1849, l’école reste ouvertependant l’été, mais dans la belle sai-son il n’y a qu’une classe par jour dedix heures à trois heures.

L’école est alors « sous la main »des Supérieurs et particulièrement duF. François, natif de Maisonnettes, Su-périeur Général. Conscient de son dé-labrement, il intervient auprès de lamunicipalité en octobre 1853 pour de-mander au maire, M. Mayéry23, desréparations aux locaux, et l’agran-dissement des dépendances.Comme la commune tarde à prendreen considération cette demande24, leF. François retient les Frères à l’Her-mitage en 1853 et 1855 et 185725,pour obtenir satisfaction et le paie-ment des traitements. La communesemble avoir projeté l’acquisition dupré Poyeton, pour y installer une« construction neuve26 », comme l’in-dique la réponse du maire au FrèreFrançois citée par le F. Avit dans lesAnnales des maisons. En fait, elle secontentera de quelques réparations.

Quant au F. Athanase, il joue uncertain rôle dans l’histoire générale del’Institut car, au chapitre de 1852, il se

serait permis des intrigues vivementréprimées par les supérieurs27. Rem-placé en 1856 par le F. Vincent, il quittal’Institut « et se rendit dans un couventde religieux italiens en Provence ».

2.4. Le Frère Vincent etle rachat du berceaude l’Institut

Les Annales décrivent alors leshauts faits d’un directeur quelquepeu hors norme dont l’action nousrappelle combien les frères sont en-core ancrés dans le milieu local etprennent des initiatives surprenantesà nos yeux. Il vaut la peine de citerlonguement les Annales à son sujet :

« De 1856 à 1866, la maison eut à sa tête le FrèreVincent, qu’on ne peut pas, à beaucoup près,proposer comme le modèle des directeurs, mais quin’en tient pas moins, dans les Annales del’établissement, un rôle considérable. Actif,entreprenant, parleur inépuisable, optimiste jusqu’àne douter de rien, il s’était rendu très populaire dansle pays et les environs par ses manières prévenanteset son habileté vraie ou prétendue comme dentiste,médecin empirique et même chirurgien…. Du moins,peut-on lui rendre le témoignage qu’il eut vivement àcœur la prospérité de l’établissement et qu’il n’ytravailla pas sans un certain succès28. »

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22 « Pendant huit ans il fut censé à la tête de cette école sans le savoir et sans y mettre les pieds. Ilne la visitait pas parce qu’elle était sous la main des Supérieurs. »

23 Père du Père Mariste de même nom.24 Le maire invoque, au retard apporté aux exigences des Supérieurs : « le manque de fonds a été

la seule cause de notre retard. »25 Il s’agit alors d’arriérés que la commune tardait à payer. Les Frères restèrent à l’Hermitage aux va-

cances de 1857. Annales, p. 58-59.26 Annales, p. 58.27 Leur lettre est citée dans les Annales des maisons. Voir aussi Actes du Chapitre. Surtout, dans les

Annales de l’institut (T. 1, 1852, § 52-64) le F. Avit donne son propre récit de cette affaire.28 Bulletin de l’Institut des Frères Maristes, janvier 1913.

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« Son premier soin fut de faire rentrer en lapossession de l’Institut le petit immeuble qui lui avaitservi de berceau et que le Père Champagnat avaitvendu à Mr Couturier, alors aux mains de la famillesCheney et des demoiselles Tissot29. Grâce à sesbonnes relations avec quelques personnescharitables et aisées de la région, Frère Vincent eutbientôt fait de réunir la somme nécessaire et, avecl’autorisation du Gouvernement, l’achat fut fait, endécembre 1858, au nom de l’Association religieuseenseignante dite des Petits Frères de Marie,reconnue sept ans auparavant, comme établissementd’utilité publique ».

« A l’aide du pécule que lui procurait son habileté etses talents, il se mit en tête de doubler les bâtimentspour adjoindre un pensionnat à son école30 ». Ilacquit, en son nom personnel, le 16 juin 1859, nonpas le pré Poyeton, mais un pré indivis, ce qui luivalut des contestations et une procédureinterminable avec un des propriétaires du pré quin’avait pas consenti à la vente. Finalement, ilss’entendirent et tous deux vendirent le pré en litigeau R.F. Louis-Marie le 16 mars 186531. »

Les Annales des maisons du F.Avit éclairent la suite des exploits duF. Vincent à Lavalla « qui ne plaisaitguère à M. le curé Bedoin et à sonfrère, vicaire » parce que fort négligentsur bien des points d’après les rap-ports du visiteur qui constate en1862 : « la Règle souffre beaucoup,(ainsi que) méditation, coulpe, si-lence, lever, etc […] Les comptessont mal tenus […] j’ai trouvé des en-fants dans les deux classes qui igno-

rent les principaux mystères. » Déjàen 1860, le curé et son vicaire ont ob-tenu le changement du F. Vincent,mais une pétition communale a obligéles supérieurs à le renommer et sonretour a été un triomphe dont le curéet son vicaire ont fait les frais. Unenouvelle tentative échoue encore en1864 après intervention de la com-mune et de la préfecture.

Nous avons là un bel exemple deconcurrence entre frère directeur etcuré, assez fréquent avant 1870, etdont les Annales des maisons du F.Avit nous donnent de nombreuxexemples. Lui-même, dans les An-nales de l’Institut se vante d’avoir « faitla pluie et le beau temps » à Bougé-Chambalud en 1843-4632 et il nousconte ses démêlés avec les curés end’autres lieux. A Lavalla, le prestige duF. Vincent repose donc sur bien desambiguïtés : la population admire unhomme entreprenant et capable de luiapporter des secours en matièremédicale ; le conseil municipal n’estpas fâché de le voir concurrencerl’autorité du curé et apprécie certai-nement que l’école ne lui coûte à peuprès rien.

Comme il n’est pas possible de re-tirer le Frère Vincent de Lavalla, ilquitte la direction en 1866 mais restecomme « second » du F. Célien, nou-veau directeur. Mais « il était souvent

144 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

29 Voir la copie de l’acte dans les Annales des maisons : Province de l’Hermitage, Lavalla.30 Annales, p. 63.31 « Cette affaire fournirait matière à un véritable roman », Annales, p. 65.32 Annales de l’Institut, t. 1, p. XXI.

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hors de la maison33 » et c’est encoregrâce à son habileté que l’Institut ren-tre le 8 juillet 1871 en possession de lamaison34 que le Père Champagnat

avait cédée au curé Bedoin. Aprèscette acquisition, F. Vincent est rap-pelé à Saint-Genis-Laval où il mourrale 21 avril 1884.

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33 Annales des maisons : Lavalla, rapport du visiteur en 1867. 34 Cette maison semble alors inoccupée et en très mauvais état car l’acte de vente (Annales des mai-

sons : Lavalla) indique un prix officiel de 500 F et un prix réel de 800. 35 Il s’agit plutôt d’un caméristat : les élèves viennent le lundi avec leurs provisions et repartent chez

eux le samedi.

2.5. Un pensionnat peu viable

Le pensionnat35 construit en 1861contient trois classes, et deux étagesau-dessus servent de dortoirs. LeFrère Visiteur, lors de son passage àLavalla, le 5 décembre 1861, note que

les classes ont une centaine d’élèves,que la construction fait « très bel ef-fet », mais que le mobilier est trèsmauvais et qu’il est urgent de soula-ger la pauvreté des Frères. Le rapportde 1862 porte que le F. Vincent n’aqu’un second et que le nombred’élèves n’est que de 80 en hiver et

Le berceau de l’institut et le pensionnat du F. Vincent vers 1861-65

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35 en été. Il ajoute : « L’Hermitagenourrit les Frères36. Ils ne boivent quede l’eau » et il leur recommande d’ymettre au moins le quart de vin. Lestableaux ci-dessous nous permettent

de suivre l’évolution de l’établisse-ment fonctionnant dans la construc-tion du F. Vincent, quant aux nombresd’élèves et quant au personnel desFrères qui les encadrent37.

146 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

36 C’est-à-dire que l’école ne se suffit pas à elle-même et que les frères vivent pauvrement. 37 Ex : externes ; In : internes ; C : caméristes.38 80 est le nombre d’élèves en hiver, et 35 en été.39 Sans précision du nombre d’externes et internes.40 Ces nombres sont une moyenne. Et il est passé à Lavalla une dizaine de Frères pendant cette pé-

riode. Annales, p. 96.41 Dont deux de Lyon et les autres d’Izieux, de St-Chamond et de St-Etienne.42 Annales, p. 76.

fms Cahiers MARISTES31

1833 1861 186238 1865 1866 186739

90 100 80 35 84 idem 114

2 Frères 2 Frères 2 Frères 2 Frères 3 Frères 2 ou 3 Frères

1868 1869 1879 1882 1880-188540

98 Ext 7 Int 99 Ext 16 Int 81 Ex 36 In 23 C 110 Ext 30 Int 80 Ex 45 In 20 C

105 115 140 140 135

2 Frères 2 Frères 8 Frères 6 Frères ?

Ouvert en 1865, pour recevoir aumaximum 62 pensionnaires, le pen-sionnat n’en contient qu’une dou-zaine41 en 1874. De 1866 à 1878,quatre directeurs vont se succéder ettenter de trouver de nouveaux pen-sionnaires, sans y parvenir pleine-ment. On constate néanmoinsqu’après le F. Vincent l’établissementconnaît une fréquentation accrued’externes.

En 1872, l’école est désormaiscommunale et la municipalité paye400 francs de location pour les élèvesde la localité « mais les pension-

naires n’encombraient pas la mai-son42. » En somme, l’école vivote etla fondation du pensionnat est unéchec. Bien que lieu de fondationd’une congrégation enseignante, La-valla semble à la traîne dans le cou-rant de scolarisation massive quis’impose alors en France depuis plu-sieurs décennies.

Le F. Vincent et la commune deLavalla ne sont qu’en partie respon-sables de cette situation car, après ladescente de la communauté à l’Her-mitage, l’école, considérée comme

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une annexe de la maison-mère, sem-ble avoir été quelque peu marginali-sée : très peu de ressources propres(d’où l’affairisme du F. Vincent), unefaible fréquentation scolaire et desinstituteurs peu compétents. Le curéBedoin et son frère semblent avoirvoulu remédier sans succès à cettesituation. C’est tardivement ques’opère une mutation qualitative.

2.6. Le Frère Gentien

Il arrive à Lavalla dans la 1e quin-zaine de juin 1874 et avec lui c’est unenouvelle génération de frères quis’impose : moins populaire mais plusprofessionnelle et plus religieuse. Il faitimprimer un prospectus ayant pour

en-tête : « Pensionnat du Berceau del’Institut des Petits Frères de Ma-rie43 », établit un prix fixe de la pen-sion44 et impose un vêtement uni-forme45. Toutes ces mesures rendent« un certain relief au pensionnat » eten quatre ans (1874-1878) F. Gentienaméliore considérablement son étatmatériel: construction de murs, d’unbassin, transformation des classes,crépissage du bâtiment du F. Vincent,reconstruction du bâtiment construitpar M. Champagnat qui a brûlé en1872, création du jardin. Il semble êtrele premier à se préoccuper de la mé-moire du Fondateur en restaurant sachambre délabrée et en y établissantune vitrine pour les objets lui ayant ap-partenu.

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43 C’est sans doute ce prospectus qui officialise l’expression « berceau de l’Institut ».44 Jusque-là, il y avait autant de prix différents que d’élèves.45 « casquette à galons d’argent, et monogramme or ».

Le berceau de l’institut et le pensionnat du F. Vincent reliés par la chapelle (vers 1886)

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Les ressources qui lui permettenttoutes ces réalisations paraissentpourtant bien faibles. Elles se com-posent : 1) D’un traitement de 1.000F. payé par le percepteur46 ; 2) De lalocation de 400 F. payés par la com-mune ; 3) Du produit obtenu par lespensionnaires. Mais frères et élèvescontribuent largement à la tâchependant les récréations et les pro-menades47. » Et l’annaliste précise :

« Toutes ces dépenses, énormes pour un petitpensionnat, ont été payées par les économies de la maison et on peut dire sans crainte que la santé du personnel de la maison n’a pas eu à souffrir ; un seul fait en est une preuve évidente : En quatre ans (de 1874 à 1878), on n’a pas eu le besoin de faire monter le médecin de Saint-Chamond une seule fois, ni pour les Maîtres,ni pour les pensionnaires » (An., p. 93).

Malgré tous ces efforts, au boutde quatre ans les résultats sont mé-diocres : une trentaine de pension-naires « sans compter ceux de lacommune que les parents nourris-saient 48 et qui, d’ailleurs, ne ve-naient guère que pendant la mau-vaise saison. » Mais la conjoncturepolitique va encore compliquer lasituation.

2.7. La politique de laïcisation

Après 1870, se manifeste danstoute la France un courant républi-cain, anticlérical et laïc, qui n’épargnepas Lavalla. La commune qui avait,jusque-là, profité de l’école desfrères sans avoir besoin de bâtirune école communale, ne pourraplus profiter de cette rente de situa-tion. D’après l’annaliste :

« Certains candidats de la liste plus ou moins anticléricale cherchaient déjà à le (le pensionnat qui héberge aussi l’école communale) rendre responsable de leurs échecs répétés aux élections municipales, et signalaient à leurs amis sa transformation en école laïque comme le seul tremplin qui eût chance de les faire aboutir49. »

En 1879, l’Inspecteur fait pressionsur la mairie pour que la commune aitune école distincte du pensionnat. Fi-nalement, en 1883, l’externat estplacé dans la maison commune50 etfrère Arpin est nommé titulaire. Il doitenseigner seul une soixantaine d’en-fants car l’inspecteur a refusé laprésence d’un adjoint51.

148 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

46 Lavalla étant école communale, les Frères sont instituteurs publics. 47 Annales, p. 86.48 On appelait ces enfants des « caméristes ». Voir note 21.49 Bulletin de l’Institut, janvier 1913.50 La mairie.51 L’annaliste interprète ainsi les tracasseries de l’inspecteur : « Dans sa dernière visite, sous prétexte

que les résultats étaient trop faibles, ce même inspecteur a fait donner un blâme officiel et immérité à cefrère dévoué dont la tâche était très pénible. Cette punition a été infligée sous l’inspiration de maître Thi-baud qui, furieux d’avoir été évincé des élections, voulait arriver à laïciser l’école. »

fms Cahiers MARISTES31

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2.8. Du pensionnat au juvénat

Quant au pensionnat, reconnucomme école libre, il sera dirigé par leFrère Sisoès, arrivé en 1878, qui ne par-vient guère à relancer une œuvre pla-cée trop loin des réseaux de commu-nication et des milieux urbains. En re-vanche, un lieu retiré peut être favora-ble pour un juvénat à une époque oùl’Institut multiplie ce genre d’œuvrespour maintenir un haut niveau de re-crutement. Dans sa séance du 9 avril1889, le Conseil Général des Frères Ma-ristes trouve que le juvénat de Saint Ge-nis-Laval est trop nombreux et préco-nise la formation d’un juvénat séparépour la nouvelle Province de l’Hermi-tage. Il reviendra plusieurs fois sur cettequestion et, le 2 juillet 1891, il songe en-core à « un juvénat à établir dans la Pro-vince de l’Hermitage ». En fait, dès avril1889, une quinzaine de juvénistes serendent de Saint Genis-Laval à Lavalla,cohabitant avec les pensionnaires dansdes conditions sur lesquelles nousn’avons pas de renseignements. Leurnombre s’élève rapidement à une tren-taine. Décision est donc prise de sup-primer le pensionnat en août 1892.

Mais cette fermeture ne s’effec-tue pas sans heurts car les enfantsdes hameaux - les caméristes - quiprenaient pension chez les frèresn’ont plus de lieu d’accueil. Le clergéde la paroisse, le maire et son conseil

protestent et une pétition signée parun bon nombre de pères de familleréclame contre cette fermeture.

« Les Supérieurs persistèrent dans leur décision ;mais pour ne pas trop froisser la population de Lavalla et lui être utile, ils firent construire un corps de bâtiment52 pour y faire deux classes et un dortoir au-dessus pour les enfants des hameaux éloignés. L’architecte fut le F. Théodoreet l’entrepreneur M. Rivory. Tout fut prêt pour la rentrée des classes en 189253. »

La commune s’en tire donc bien :ce sont les frères qui lui construisentune école et vont continuer à lui four-nir du personnel enseignant. A cetteépoque, l’enseignement public ayantété laïcisé, ce sera une école « libre ».

Administrativement, le juvénat esttoujours un pensionnat pouvant re-cevoir 62 pensionnaires. Mais,comme durant l’année 1892-1893 lenombre des juvénistes monte à 85, ilfaut songer à la construction d’unnouveau bâtiment, à la suite de celuidu F. Vincent. Le F. Sisoès va être lesecond grand bâtisseur à Lavalla : en1892-93, il dirige la construction del’école, du juvénat et l’agrandisse-ment de la chapelle54.

« M. Collet était l’Architecte (du juvénat) et M. Rivoryl’entrepreneur. Pendant cette importanteconstruction, on voyait tous les jours frère Sisoès,avec sa tête chauve et nue, à travers le chantier,travaillant tantôt à une chose, tantôt à une autre

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52 C’est dans ce bâtiment que loge aujourd’hui la communauté des Frères.53 Annales de Lavalla, p. 98-99.54 Une première construction a été faite en 1886.

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et veillant à ce que le plan de la constructions’exécutât convenablement.55 »

Ce bâtiment prolonge celui du F.Vincent pour constituer le juvénat.

D’après l’annaliste, juvénat et ancienpensionnat peuvent recevoir 160 à180 enfants56. En fait, le nombre dejuvénistes ne semble pas avoir dé-passé le chiffre de 160.

150 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

55 Annales, p.105.56 En fait, le juvénat et l’ancien pensionnat étaient autorisés par le Conseil départemental de l’Instruction

Publique pour 144 pensionnaires et un encadrement de 8 personnes. 57 Ces nombres diffèrent quelque peu de ceux publiés par l’auteur de l’article du Bulletin de l’Institut

de janvier 1913.58 Annales, p. 139.

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Tableau du nombre de juvénistes d’après les Annales57

1889 1891 1892 1900 1901 1902

15 30 85 154 164 159

Bulletin de l’institut (1913)

2.9. Les aumôniers

Les Annales nous donnent le nomdes quatre premiers aumôniers.L’annaliste peut écrire à propos de

l’un d’eux : « Mr l’Aumônier est trèsdévoué, toujours prêt lorsque lesFrères ou les juvénistes réclament lesecours de son ministère. Il est d’unbon accord58. » Ils logent d’abord

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dans une chambre ou deux mises àleur disposition par les Frères. Puis,sur la demande de l’un d’eux, on loueune maison pour le recevoir. « Enfin,on acheta le 24 juillet 1898, la maison‘Chapard’, l’acquéreur étant Fara-bet Jean-Baptiste (Frère Sisoès). Lamaison fut détruite et on construisitl’aumônerie sur son emplacement.59

Elle fut utilisée dès juin 1899. »

2.10. Le recrutement

Il semble avoir reposé largementsur l’entente entre le F. Sisoès et lescurés des terres fécondes en voca-tions invités à lui adresser des enfantset adolescents susceptibles de de-venir frères :

« En 1897, au mois de mars, le frère Sisoës fit un voyage dans la Haute-Loire pour le recrutementdu juvénat. Son voyage dura trois semaines ;pendant ce temps, il alla dans 38 communes. Iln’amena point de juvénistes, il se contenta de voir Mr le curé de chaque paroisse. Son voyage futloin d’être infructueux.60 »

Un tableau un peu plus tardif qui in-siste sur l’importance des écolesdans la politique de recrutementmontre que, si un pourcentage nota-ble de juvénistes vient de chez lesFrères Maristes, plus de 70% d’entreeux ne les ont guère fréquentés au-paravant. Le recrutement sembledonc bien se faire prioritairement parentente entre familles, curés et re-cruteur.

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59 Annales, p. 106-107.60 Annales, p. 116-117.61 Cette statistique ne fait pas le détail entre les Frères des Écoles Chrétiennes et du Sacré-Cœur. 62 Quelles sont ces autres écoles ? Aucun détail. Et que veut dire « Instit » ? Le mot est imprécis.63 Annales. p. 135.

Années Écoles Frères Frères Écoles D’autreset nombre Frères des Écoles du des écoles ou

de Juvénistes Maristes Chrétiennes Sacré-Cœur61 Religieuses des Instit62

1900 (154 Juv.) 46 36 ? 7 65

1901(164 Juv .) 55 27 8 21 53

1902(159 Juv.) 36 27 17 13 66

Total 477 137 90 25 41 184

% 28,72% 18,86% 5,24% 8,59% 38,57%

Quant aux lieux d’origine : en1900-1902, 55,43% viennent de laHaute-Loire ; 22,87% de la Loire ;10,91 de l’Ardèche, c’est-à-dire lesterritoires occupés par la Province del’Hermitage. Les Frères reçoivent de

nouveaux juvénistes toute l’année, demême qu’ils en rendent à leurs fa-milles pour une raison ou une autre.Une certaine sélection est faitecomme le montre le document sui-vant63 :

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2.11.Décès du F. Sisoès

Jusqu’en 1898, le F. Sisoès dirigele juvénat avec un grand dévouement.L’annaliste réserve deux pleinespages à sa maladie, sa mort et sesfunérailles qui semblent s’inspirer durécit de la mort de M. Champagnat.Appelé à faire son Second noviciat,« cette vie sédentaire fut fatale à sasanté64. » Atteint d’une fluxion de poi-trine65, il reçoit les derniers Sacre-ments66 le 3 octobre 1898. A 8h30 (dusoir), il réunit sa communauté, lui faitses adieux et ses dernières recom-mandations. « Lui-même ne put re-tenir ses larmes. Il aimait tant sesFrères ! Il en était tant aimé67. » Et ilprie les Frères de faire ses adieux auxjuvénistes. « A un autre moment, il ex-prima sa satisfaction de laisser le ju-vénat entre les mains du F. Marie-Abraham. ‘C’est vous, dit-il en l’em-brassant, qui êtes le Directeur du ju-vénat, et j’en suis bien content68.’ » Ilmeurt le lendemain matin à 4h10,

« heure à laquelle il avait donné le si-gnal du lever à la communauté pen-dant 20 ans69. »

« Son corps fut exposé dans la chambre du Vénérable et un grand nombre de personnes de Lavalla vinrent prier auprès de sa dépouille. La messe des funérailles eut lieu à la paroisse de Lavalla le jeudi 6 octobre. Après la messe, sa dépouille mortelle fut conduite à l’Hermitage où il désirait être enterré. »

« La communauté de l’Hermitage et tout le juvénat de Lavalla précédaient le corbillard […], puis venaient le clergé de la paroisse, M. l’aumônieret deux anciens aumôniers (M. Magat et M. Basset),et enfin un grand nombre de personnes de Lavalla et d’ailleurs […] En entrant au cimetière del’Hermitage, on voit à gauche, une modeste croix qui indique ou repose son corps70 ».

Il avait bien mérité un tel hom-mage. Et la prospérité de l’œuvre nese dément pas avec le nouveau FrèreDirecteur : le juvénat a 6 classes et lepersonnel est nombreux :

152 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

64 Annales, p. 120.65 Annales, p. 121, « Fluxion de poitrine » : congestion pulmonaire, pneumonie.66 « Derniers Sacrements », appelés aujourd’hui « Onction des malades ».67 Annales, p. 121.68 F. Marie-Abraham sera directeur du juvénat d’octobre 1898 jusqu’en septembre 1901, puis Maître

des Novices à l’Hermitage. Annales, p. 126 et 192.69 Annales, p. 124.70 Annales, p. 125. Cette croix n’existe plus ; mais son nom figure sur la liste des défunts affichée au

cimetière de l’Hermitage.

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Juvénistes présents en juin 1899 : 150

en juin 1900 : 154

Juvénistes rendus à leurs familles de juin 1899 en juin 1900 : 31

Rendus à leur famille pour cause de maladie : 1

Retirés par leurs parents : 1

Total : 33

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2.12.Maison deformation et lieu de pèlerinage

Quittons quelque peu la chronolo-gie pour nous étendre sur la réalitéquasi quotidienne d’une communautéqui a déjà des aspects très conven-tuels et qui, en plus, commence àfaire figure de lieu de pèlerinage.

Les juvénistes n’apportant quedes pensions modestes, le juvénatest pauvre :

« On vise à une grande économie ; on évite les fuites.On tâche d’obtenir le plus possible des juvénistescomme pension ; on surveille les achats, lesfournisseurs, les provisions ; on veille à ce que rienne se détériore, ne se gâte. Le linge des frèressurtout est en grande détresse. Depuis longtemps,les finances ne permettent pas de faire des achatsde ce genre. Cependant, on ne peut aller plus loin :

un secours de cinq ou six cents francs nous seraitnécessaire73. » Aussi, « Pour nourrir les juvénistes,les vêtir et leur fournir les classiques, le frèreDirecteur reçoit de la Maison Mère 25 francs parmois et par tête74. »

Il y a aussi les bienfaiteurs oubienfaitrices de l’œuvre des juvé-nats. Au 23 avril 1902, l’annalisteécrit : « Messe chantée à l’Hermitageen l’honneur des Dames Patron-nesses du juvénat. » Au 20 juillet 1901 :« Tout le 1er camp75 est allé à l’Her-mitage pour être présenté à la trèsRévérende Mère Candide, Supérieurede l’Œuvre des enfants tuberculeuxd’Ormesson.

Le compliment l’a singulièrementtouchée, surtout la partie lui promet-tant des vocations religieuses pourson œuvre. Elle a adopté 20 juvé-nistes qu’elle s’est chargée d’entre-tenir76. »

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71 Par personnel de direction, il faut entendre les FF. Directeur, Sous-directeur, Économe. Le person-nel de service est constitué des Frères cuisinier, aide-cuisinier, tailleur, cordonnier. Des Frères cumulaientparfois deux fonctions : professeur et organiste, professeur et sacristain, par exemple.

72 L’externat est à mettre à part ; les Frères qui lui sont affectés n’interviennent pas au juvénat. Maisils font partie de la communauté des Frères.

73 Annales, p. 139-140.74 Annales, p. 104.75 A Lavalla, les juvénistes étaient divisés en deux groupes appelés « camp ». Chaque camp avait à

sa tête un Frère Surveillant. 76 Annales, p. 187.

Années 1898-1899 1899-1900 Septembre 1901

Personnel de Direction71 3 3 3

Professeurs 7 7 7

Surveillants 2 2 2

Externat 72 3 3 2

Personnel de service 6 6 4

Total du personnel 21 Frères 21 Frères 18 Frères

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Les Frères vivant presque en au-tarcie, quatre corps de métiers ma-nuels sont représentés dans la com-munauté : cuisinier, tailleur, cordonnieret jardiniers.

« Le 1er jardin a été fait en 1895 et les cinq autresavec les murs de soutènement ont été faits en 189877. » Le poulailler a été construit en 1895.Une construction au fond de la cour de l’Ouest,destinée à être une porcherie et une écurie de vaches, si elle a vu le jour, n’a jamais servi à cetusage78. On tire du sol tout ce qui permet de se nourrir et on économise tout. En juillet-août, c’est la cueillette des airelles, et à l’automne le ramassage des châtaignes. Sur les plans de la propriété établis vers 1900, figurent des vergersde cerisiers et de châtaigniers79. A l’occasion des fêtes, le menu est modestement amélioré commeen témoigne celui du 25 décembre 1899 :« Au réveillon : soupe, saucisson, riz, deux desserts,vin blanc. Matin : chocolat. A dîner trois plats, deux desserts. »

2.13. La piété

Elle tient une grande place dansles règlements. Les fêtes marialessont à l’honneur. ‘Tout à Jésus parMarie ’ est la devise du juvénat choi-sie par les Frères en 189780. Les exer-

cices de piété sont multiples : laprière, la messe quotidienne81, les sa-crements,82 le chapelet, l’office, l’ado-ration ou le salut du Saint-Sacre-ment, les neuvaines, les chemins deCroix, retraites, mois de Marie, deSaint-Joseph, du Sacré-Cœur, ado-ration perpétuelle… ponctuent lesjournées et les mois selon le calen-drier religieux du jour et les coutu-miers établis.

2.14. Les études

Les études profanes ont toute leurplace. On a l’impression que le juvé-nat suit plus ou moins le programmed’une école primaire supérieure. Lesexamens trimestriels, qui peuventprendre trois à quatre jours, ont unecertaine solennité et sont présidés parle Frère Provincial83 ou le Frère VicaireProvincial accompagné parfois duFrère Visiteur. Pour les examens oraux,des Frères d’Izieux, de Valbenoîte, del’Hermitage, viennent en renfort84. Onpasse même des examens d’agricul-ture organisés par les syndicats agri-coles du sud-est85. Mais il n’est pasquestion du certificat d’études ni dubrevet, examens officiels.

154 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

77 Annales, p. 112.78 Annales, p. 112.79 Actuellement, il ne reste que 4 châtaigniers toujours productifs et quelques cerisiers sauvages, per-

dus au milieu d’épicéas et de sycomores. Le long du chemin de Luzernod, s’alignaient des peupliers, dis-parus maintenant.

80 Annales, p. 117.81 « Les juvénistes font, en moyenne, trois fois la Ste Communion par semaine. Pas d’ordre de banc

pour aller à la Ste Table. », Annales, p. 138.82 Première Communion, Confirmation, Confession.83 Ce n’est pas encore un statut canonique. Il s’agit plutôt du directeur de la maison provinciale. 84 8 août 1900. Annales, p. 164.85 Syndicats catholiques organisant la formation agricole.

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2.15. Les vacances

Les vacances en famille n’exis-tent pas. Le 16 août est la date oùs’ouvrent officiellement les vacances

des juvénistes qui se traduisent parun horaire journalier un peu allégé.Voici, ci-dessous, à titre d’exemple,l’horaire du 16 août 1900 répété en1901 :

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86 L’heure est l’heure solaire.87 De 1889 à 1891, les juvénistes passent leurs vacances à St-Genest-Malifaux et en 1892 à St-Genis

Terrenoire, pour laisser place, à Lavalla, aux Frères qui font leurs Grands-Exercices récemment institués.

16 août Ouverture des vacances86

4h1/2 Lever des Frères 1h Chapelet (lundi, mercredi, vendredi) puis promenade

5h1/4 Lever des juvénistes 1h40 Chapelet (mardi, jeudi, samedi) puis classe

5h35 Prière. Méditation 3h Sortie ½ heure

6h Ste. Messe. Étude 3h1/2 Classe

7h10 Déjeuner. Récréation 4h5 Visite au St. Sacrement (mardi, jeudi, samedi)

8h1/2 Lecture 4h1/4 Goûter. Récréation

8h3/4 Classe 5h1/4 Vêpres et Complies. Lecture.Étude

9h3/4 Sortie demi-heure 6h40 Prière. Souper. Récréation.Coucher

10h1/4 Classe

11h Classe de chant

11h1/2 Visite au St-Sacrement. Dîner. Récréation

Ces « vacances » permettent aussiaux Frères de faire leur retraite an-nuelle. Les cours reprennent au dé-but d’octobre87.

2.16. Détente

Il y a des coupures dans ce cadretrès strict : ordinairement au mois de juil-let une journée de congé au Pilat, d’oùles juvénistes rapportent une dizaine de

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sacs d’arnica ensuite envoyés à Saint-Genis-Laval88. Un Supérieur de pas-sage à Lavalla accorde de temps à au-tre un jour de congé89. Les Annalesnomment aussi les promenades d’unaprès-midi, des jeux pour les momentsde récréation, des séances récréatives :théâtre, débits (monologues), chants,« séances de projection et de« phono-graphie90». En juin 1900, « les juvénistesont étrenné les jeux de croquets91. »

2.17. Pèlerinages

C’est peut-être vers 1890 que,dans l’esprit des frères, Lavalla de-vient plus concrètement le « ber-ceau » de l’Institut. Ils viennent s’y re-commander à la prière du Fondateurdans la chambre qu’il a occupée de1818 à 1824.

Les Annales signalent un certainnombre de passages :

156 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

88 Il arrivait que les choses se terminent moins bien. Une fois, l’un d’eux ramena un bouquet d’aconit, l’of-frit au Sous-Directeur qui en pâlit de peur. « Il s’empressa de s’informer quels étaient ceux qui en avaient goûté.On courut à la pharmacie. Tous furent plus ou moins indisposés ; mais aucun n’en mourut. On fit une neuvaineen action de grâces. » Annales, p. 113.

89 13 novembre 1901, congé à Tarentaise. Annales, p. 192.90 Annales, p. 148. Le phonographe d’Edison date de décembre 1877. Le juvénat colle bien à son temps.91 Annales, p. 161.92 « Les juvénistes sont excités à partir pour les missions par la vue de ce départ afin de gagner les

âmes à Jésus-Christ et de se préserver de la caserne. » Annales, p. 160.

fms Cahiers MARISTES31

mars 1891 Sept Frères qui partent pour la Chine.

octobre 1899 D’autres pour la Chine et la Turquie.

21 nov. 1899 Un frère d’Algérie vient remercier le Vénérable de la guérison qu’ila obtenue par son intercession.

décembre 1899 Huit Frères pour le Canada et l’Amérique du Sud.

9-25 février 1900 Le Directeur d’Izieux et le Directeur de Copenhague, qui font leursecond noviciat à Sainte-Marie, viennent à Lavalla pour se rétablir.

8 mai 1900 Le cher Frère Directeur de Die fait un pèlerinage à Lavalla.

25 juin 1900 Deux anciens juvénistes pour le Canada, accompagnés de deux Ca-nadiens qui y retournent92.

17 août 1900 Des Frères du Bourbonnais qui se rendent aux Grands Exercicesà la Côte St-André.

18 août 1900 Des Frères du Nord qui se rendent aux Grands Exercices à Bourg-de-Péage.

août 1900 Deux jeunes Frères pour le Canada.

5 mars 1901 Deux jeunes Frères, anciens juvénistes, qui se disposent à aller enChine.

25 juin 1901 Trois Frères pour le Mexique et un pour le Canada.

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2.18.Relations suiviesentre Lavalla et L’Hermitage

Les Annalistes signalent 25 visitesde frères de l’Hermitage. Novices, ju-vénistes ou scolastiques montent àLavalla, un après-midi ou plus rare-ment une journée93. Ils viennent dansun but précis : pour visiter la Crèche autemps de Noël, ou pour « voir le moisde Marie » au 29 mai 1900, ou sim-plement pour une promenade et revoirleurs anciens maîtres et compagnons.Chaque année, pour la Saint-François,les scolastiques y prennent le repas demidi ; ou bien, comme le 5 octobre1901, ils y terminent leurs vacances etfêtent les 47 lauréats au Brevet Élé-mentaire et Brevet Supérieur. Lorsquele 17 avril 1902, 26 nouveaux Frères etles juvénistes récemment descendusà l’Hermitage repassent à Lavalla,l’annaliste ne peut s’empêcher d’ajou-ter : « Goûter : saucisson, chocolat,pâtisserie ».

Quant aux juvénistes de Lavalla, lesAnnales notent leur présence à l’Her-mitage en certaines occasions : pourla réunion des Dames Patronnesses ;pour les prises d’habit ; pour un pèle-rinage à l’Hermitage sur le tombeau duVénérable afin de mettre les résolu-tions de la retraite sous sa protection

comme le 7 octobre 1899. Ils sontaussi invités par les Frères d’Izieux oùils passent un après-midi de fête :« Séance de phonographie. Goûterchez les frères : tables, nappes, sau-cisson, etc. etc., vin blanc ; rien nemanquait pour graver dans le souvenirde tous ce jour de congé et de fête94 ;mardi de Pâques, en avril 189995.

Le 21 septembre 1901, 41 juvé-nistes de l’Hermitage viennent se réu-nir à ceux de Lavalla : « Le cher FrèreAssistant et le cher Frère Visiteur sontprésents à la réception. » Ce sembleêtre une mutation importante dans ledispositif de formation de la Province.

2.19. Le chant

Il existe au juvénat une autre acti-vité, le chant, essentiellement baséesur la liturgie, alors le chant grégorien.Un organiste, F. Joseph-Conrad, en1899, est nommé dans la liste de pla-cement des Frères. Comme l’annalistenote en 1900 : « Le juvénat possèdeaujourd’hui sept harmoniums96 », il doity avoir des cours pratiques pour ceuxqui désirent apprendre à jouer de cetinstrument. Les juvénistes vont chan-ter à l’extérieur. Déjà, en 1896, les 2, 3et 4 novembre, ils assurent les chantsà la paroisse de Lavalla et à l’Hermi-tage lors du Triduum en l’honneur dela Vénérabilité du Père Champagnat97.

Louis Vibert, fms 157

mars2013

93 Le 23 juillet 1899, les novices restent la journée à Lavalla et y dînent. 94 Annales, p. 129.95 Dames patronnesses : Annales, p. 113 ; prise d’habits, p. 149-195 ; Izieux, p. 129. 96 Annales, p. 116.97 « Ces fêtes ont été splendides… Pendant ces trois jours la chambre du Vénérable ne désemplis-

sait pas…. L’affluence était si grande que pendant ces trois jours l’église s’est trouvée trop petite, soit auxexercices du matin, soit à ceux du soir : tous voulaient assister à ces imposantes cérémonies. » Annales,p. 113-114.

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Le 7 décembre 1896, ce sont encoreles juvénistes de Lavalla qui vont àl’église de Valbenoîte avec les noviceset les scolastiques de l’Hermitagepour le 2e jour de ce Triduum. Ils chan-tent à la messe des Dames Patron-nesses lorsque celles-ci se réunissentannuellement fin avril ou début mai, àSaint-Étienne ou à l’Hermitage. LesAnnales notent cinq de ces rencon-tres. Celle du 1er mai 1900 indique qu’ily a alors 80 chantres au juvénat.

Ils chantent aussi à la paroisse, àl’occasion de certaines fêtes98. In-versement, le clergé de la paroisse etd’autres invités viennent rehausserpar leur présence la fête patronale dujuvénat du 21 novembre, fête de laPrésentation de Marie au Temple.Pour les grandes fêtes, il y a un cou-tumier intitulé « Grand Solennel » quisert de référent à la liturgie du jour,comme la fête du Sacré-Cœur, le 22juin 1900. Nous trouvons aussi l’ex-pression « Messe en musique » quidevait donner encore une plus grandeampleur à la cérémonie99.

2.20.Travaux manuels etadduction d’eau

Nous avons vu que les travauxmanuels font partie de la tradition. Legros œuvre est fait, bien sûr, par des

entreprises ou des maçons, mais lesFrères et les juvénistes se font ma-nœuvres pour aider les maçons. L’ap-provisionnement en eau a exigé destravaux particulièrement importants.

Où était la source ou le puits, où lespremiers Frères s’abreuvaient ? Nousl’ignorons. Les Annales ne font men-tion de l’eau que depuis 1879. LeFrère Sisoès fait alors construire un ré-servoir de 9 m3 « dans la partie supé-rieure du pré afin d’amener l’eau dansles diverses parties de la maison àl’aide de tuyaux en plomb100. » Lors del’agrandissement de la maison en1893, on en construit un autre, de 12m3 à proximité du premier avec lequelil communique. En 1895, année de sé-cheresse, « pendant deux mois on aété obligé d’aller chercher de l’eauavec un tonneau au-delà du barrage ;on puisait dans la rivière comme onpouvait et, le tonneau plein, on lemontait par des chemins affreux ».Avec 600 francs que lui accorde le Ré-vérend Frère Supérieur, le Frère Sisoèsfait construire, en 1896, un 3e réservoirde 140 m3. Bien que les frères et les ju-vénistes aient travaillé au terrassement,la dépense s’élève à 1.800 francs, cequi oblige le F. Sisoès à demander unsupplément à la Caisse Générale quise révèle insuffisant : « Il a dû s’ingé-nier pour payer le reste101.»

158 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

98 Fête du Rosaire 7 octobre 1900, aux vêpres de la Fête-Dieu le 17 juin 1900, aux messes des Mis-sions, le 16 septembre 1900.

99 Grand-messe en musique et 5 acolytes, (enfants de chœur), pour la fête de la Pentecôte (le 3 juin 1900).100 « Mal renseigné, le Révérend Frère Supérieur le réprimanda vertement. Ayant ouï ses explications, il

approuva la dépense. »Annales, p. 107.101 Annales, p. 108.

fms Cahiers MARISTES31

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2.21. Un pré-noviciat

Le juvénat a alors un rôle primor-dial dans l’expansion de l’Institut. Lessupérieurs majeurs ont donc l’œil surcette œuvre à la fois coûteuse et in-dispensable. Les Annales signalent le9 novembre 1899 : « Visite du Révé-rend Frère Supérieur Général à La-valla. Il était accompagné par le cherFrère Assistant et le cher Frère Pro-cureur Provincial. Ils sont arrivés à 11het sont partis à 1h1/2. Ils ont visité lesclasses et, après dîner, la propriété

pour voir les travaux qui avaient étéexécutés102. » D’autres fois, l’annalisteest plus laconique pour évoquer unevisite, comme au 13 septembre 1900 :« le Frère Assistant a fait une courteapparition. » Mais, la plupart du temps,leurs visites, donnent lieu à une fête :« On a reçu les chers frères AssistantsProcope et Stratonique. Réception à10h 3/4. Chant de réception. Compli-ment et chant profane. Fête au ré-fectoire103 ». Le tableau ci-dessousmontre que le juvénat remplit alorsparfaitement son but.

Louis Vibert, fms 159

mars2013

102 Annales, p. 143-144.103 6 février 1900, Annales, p. 147.104 Annales, p. 153, 23 avril 1900.105 « Départ en passant par Notre Dame de Pitié en souvenir du Vénérable. » Annales, p. 153.106 Voir Chronologie Mariste, p. 111 et 115.

1899 1899 1899 1900 1900 1901 1901 1902 TOTAL17 avril 4 août 2 déc. 23 avril 2 oct. 20 avril 25 sept. 10 avril

24 25 12 25 40 29 57 31 243

2.22.Entrées au noviciat

Ce passage au noviciat est empreintde solennité. Il se fait dans une ambiancefestive et il commence par « la procla-mation des élus104 » …messe, dîner fes-tif. Ordinairement, avant de partir, lesfuturs novices se rendent à la cham-bre du Vénérable et en allant à l’Her-mitage, ils passent par N.D. de Pitié105.

2.23 La fin (provisoire)du juvénat en 1903

Au 1er juillet 1901, la loi Waldeck-Rousseau institue, en France, un ré-

gime légal pour toutes les associationssauf pour les associations religieusesqui doivent être autorisées. Le gou-vernement ayant refusé toutes lesautorisations, le 3 avril 1903106, le pré-fet de Lyon notifie au C.F. Théophane,qu’en date du 1er avril, le Ministre del’Intérieur a rejeté notre demanded’autorisation de l’Institut, faite à laChambre des députés. (C XIII, 488 - X,303-307 - cf. 1er juillet et 19 septembre1901). Le commissaire de police, aunom du Gouvernement, vint intimerl’ordre d’évacuer la maison de Lavalla

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avant la fin juillet [41-42]. Les derniersjuvénistes partent le 31 juillet 1903, àSan Mauro, près de Turin107.

Malgré la spoliation des locaux, en1903, l’externat continue dans un bâ-timent acheté par M. Ginot, près del’église paroissiale, qui devient écoleparoissiale. A la suite des expulsions,les bâtiments des Frères, à Lavalla,sont mis aux enchères en octobre

1906. M. l’abbé Aubrun, curé de la pa-roisse de Lavalla, les acquiert pour enfaire un lieu de villégiature nommé« l’Hôtel Saint-Andéol ».

2.24.Réouverture du juvénat 108

Elle est liée aux événements dela Grande Guerre : le gouverne-ment français a cessé provisoire-

160 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

107 Lavalla garde un « témoin » matériel de cette expulsion. C’est un médaillon ovale en bois noir, de19 cm de long sur 16 cm de large. Dans l’ovale intérieur, cerclé d’une mince bordure métallique dorée de12 cm de long sur 9 cm de large environ, est une bande rectangulaire blanche assez bien conservée, de12 cm. Elle porte l’inscription: « Scellé apposé sur la porte de la chapelle du juvénat de Lavalla par le com-missaire de police de St-Chamond. Juillet 1903. »

108 Nous possédons encore trois autres cahiers d’Annales qui couvrent la période de 1920 à 1969, lesecond de 1920 à 1934, le 3e de 1935 à 1961, le 4e de 1962 à 1969. Pour les distinguer du premier qui cou-vrait la période depuis la Fondation de l’Institut jusqu’en 1903, j’emploierai le N° d’ordre de ces cahiers :2Annales ou 3Annales… dans les annotations de bas de pages. Les références employées dans cet ar-ticle sont les dates indiquées qui permettent de se reporter aux événements qu’elles rapportent.

fms Cahiers MARISTES31

Bulletin de l’institut (1913)

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ment de poursuivre les congréga-tions et, en octobre 1917, la défaiteitalienne de Caporetto a contrariél’envoi de juvénistes dans une Italieun temps menacée d’invasion et derévolution. Les Annales de l’Hermi-tage signalent donc la présenced’un juvénat en 1917-1918109, dirigépar trois Frères sécularisés en posteà N.D. de l’Hermitage : M. Martin, M.Merle et M. Thomas110 qui cherchentun lieu pour « recommencer l’œuvreinterrompue depuis 14 ans111.» Ce ju-vénat provisoire semble avoir durétrois ans.

A l’automne 1919, les frères appren-nent que le mobilier de l’Hôtel Saint-An-déol est en vente. Après des négocia-tions parfois ardues, le 6 mars 1920, M.Aubrun, ancien curé de Lavalla, vendl’Hôtel Saint Andéol à M. de Boissieu, re-présentant de l’Association Immobilièredu Gier, chargée des intérêts des FrèresMaristes. Comme l’hôtel avait apportébeaucoup de modifications aux bâti-ments et à l’environnement, il faut lerénover. Dès le 30 mars 1920 c’esttoute une classe qui monte de l’Her-mitage à Lavalla pour entreprendre lespremiers travaux de nettoyage.

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109 Retraite des juvénistes les 18-21 juillet 1918. Annales de l’Hermitage, 1918.110 A cause de la sécularisation les Frères se nomment par leur nom civil. 111 2Annales, p. 3.

Bulletin de l’institut (1913)

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Après 15 mois de travail, dans unva-et-vient incessant entre l’Hermi-tage et Lavalla, le juvénat pourrarouvrir ses portes. Lors de la visite àLavalla du Frère Stratonique, Supé-rieur Général, et du Frère Provincial le13 octobre 1920, la décision est prisede donner au pensionnat le nom deN.D. des Victoires dont la statue112

amenée le 12 février 1921 est inaugu-rée le mardi 30 mars en présence de« la communauté, l’élite des juvénisteset quelques étudiants113. »

Mais ce n’est que le 4 août 1921 que46 juvénistes de l’Hermitage montent àLavalla et réoccupent les lieux après 18ans d’absence114. MM. Thomas, Direc-

teur, et Martin, responsables du groupe,« vont présenter les respects de la nou-velle communauté » au clergé et auxSœurs de la Sainte-Enfance, et le 7 août1921115, M. le Curé, en surplis et en étole,bénit la maison en suivant toutes leschambres. » L’annaliste ajoute : « c’étaitbien nécessaire, paraît-il116. »

2.25.2e cahier d’Annales.Le juvénat de 1921 à 1934

Ce cahier ne donne pas, commele faisait le premier, des statistiquesclaires et précises. Cependant, en leparcourant, on trouve les nombressuivants de juvénistes :

162 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

112 Il y a, au-dessus du maître-autel de la chapelle de Lavalla, une statue de N.D. des Victoires ; maisest-elle celle de M. Grasset livrée le 12 février 1921 ?

113 2Annales, 30 mars 1920 : « Ils chantent un vibrant Salve Regina entonné par Mr Imbert. »114 2Annales, p. 11, 4 août 1921.115 13h, dans notre notation actuelle. 116 2Annales, p. 11, 7 août 1921. Il laisse entendre que les clients de l’hôtel n’avaient pas toujours eu

un comportement exemplaire. 117 Parmi les juvénistes, plus de la moitié sortent des écoles de Frères.

fms Cahiers MARISTES31

1921 1921 1927 1929 1930 1932 1933 1934

6 août 5 nov. 6 août 2 octobre 19 févr. 27 août 7 nov. 27 déc.

46 50 29 40 56 44 55 70

L’annaliste conclut ce dernier nom-bre de 70 par cette exclama-tion : « C’est donc le fameux nombrequi est atteint ! On va, donc, commeil était annoncé, se réjouir par une pe-tite fête. » De fait, ce chiffre ne sera ja-mais dépassé car, dans une Franceaux campagnes saignées par laguerre et atteintes par la dénatalité, lerecrutement est devenu plus difficile.

Cependant, c’est toujours du « re-cruteur » que dépend le nombre dejuvénistes. Il voit les curés des pa-roisses, il va dans les familles chré-tiennes, dans les écoles des Frères117,et se fait l’intermédiaire avec l’Insti-tution. Un hommage appuyé est dé-cerné, dans le 4e cahier des An-nales, au 21 septembre 1964, auFrère Recruteur d’alors, le C.F. Co-

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lombat, « qui inlassablement, pendantplus de trente ans, s’est occupé de larecherche des vocations et qui cèdesa place à son second, Frère ClaudiusGoutagny, pour se retirer à Valbe-noîte118. »

2.26. Le 3e cahierd’Annales. Le juvénat de 1935 à 1961

Si le nombre des juvénistes estmaintenant réduit, leur âge sembleplus élevé qu’avant 1903 et leur en-gagement plus exigeant. Le livre desvisites119 de 1935 déclare : « Ilconvient de n’y admettre que lesenfants qui ont un réel désir d’entrerdans l’Institut. » C’est pourquoi l’ad-mission des juvénistes s’accompagnede la demande suivante :

« Nous soussignés, déclarons qu’aujourd’hui, 20 septembre 1936, nous avons été, sur notredemande, admis par nos Supérieurs comme juvénistesde l’Institut des Petits Frères de Marie, et que, à cetitre, nous nous sommes solennellement consacrés à la très Sainte-Vierge Marie dans la chapelle deNotre-Dame de l’Hermitage en présence du Cher Frère François de Borgia, Assistant Général. »

Suivent les noms des 32 soussi-gnés au 20 septembre 1936. Le versodu document présente la même de-mande au 16 septembre 1938, suiviede 27 signatures. Le niveau des étudessemble particulièrement poussé : le 29janvier 1935, le Frère Assistant annoncela création d’un juvénat supérieur àl’Hermitage, le juvénat Saint-Joseph,où seront admis les juvénistes pourvusde « leur certificat supérieur120 » etn’ayant pas atteint l’âge de 15 ans ½,nécessaire pour passer au postulat.

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118 4Annales, 21 septembre 1964.119 Ce livre contient les observations des Supérieurs sur la vie des communautés.120 Le juvénat semble fonctionner comme une école primaire supérieure.121 3Annales, 4 septembre 1951 : «entrée au-delà de toute prévision ». Pas de nombre cité.122 3Annales, 16 septembre 1954 : « le recrutement n’a pas donné beaucoup ». 123 3Annales, 4 septembre 1955 : « Cette année par suite du petit nombre de juvénistes, la classe de

5e sera à Lavalla. » Pas de nombre cité.124 3Annales, 2 octobre 1957 : « 65 dont 13 externes ».

Nombre de juvénistes pour la période de 1935 à 1961

17 sept. 35 7 sept.1936 1er oct. 1942 3 oct. 1943 9 sept.1944 29 sept.1945

41 33 51 43 30 35

1er oct. 1946 sept. 1948 4 sept 1951121 sept. 1952 15 sept. 1953 16 sept. 1954

30 50 65 53 37122

4 sept. 1955123 25 sept. 1956 2 oct. 1957 26 sept.1958 21 sept.1959 15 sept. 1960

55 65124 53 58 55

En septembre 1961, ils seront 63.

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2.27.Le juvénat devientinterprovincial

Les Annales sont muettes sur lesannées 1938-42 mais, à cause du fai-ble recrutement et des difficultés dela guerre, le juvénat commence à de-venir interprovincial. Entre 1939 et1941, des juvénistes qui viennent deMazères125 et, en septembre 1945,

ce sont ceux d’Aubenas. D’autres se-ront envoyés de Lacabane et de Va-rennes. Un juvénat supérieur est éta-bli à Saint-Paul-Trois-Châteaux, enseptembre 1947, sous la direction duFrère Paul Candide, regroupant desjuvénistes d’Aubenas, Saint-Paul-Trois-Châteaux, du Sud-Ouest et La-valla. Mais l’expérience ne durerapas.

164 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

125 juvénat situé à 3km de Pau (Pyrénées-Atlantiques).126 Collège des Pères Maristes. 127 C’est l’époque de la création dans toutes les provinces de France de foyers vocationnels dont la

vie sera en général très brève.

fms Cahiers MARISTES31

4e cahier d’Annales. Les juvénistes de 1962 à 1968

17/09 20/09 21 /09 22/09 19/09 18/09 22/09 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968

Juvénistes 63 63 53 39 56 52 23

Classes 3 3 3 ? 3 3 2

Frères 7 9 8 6 7 8 4

Externat 2 2 Fermé

Les statistiques montrent unegrande stabilité d’effectifs à Lavallajusqu’en 1967 et un soudain effondre-ment en 1968. Les causes sontconnues : les transformations de la so-ciété, qui vont aboutir à mai 1968, leConcile de Vatican II... Le 21 juin 1969,c’est la fermeture officielle du juvénatde N.D. de l’Hermitage. Ses quatorzeélèves restants continueront leursétudes à Sainte-Marie de Saint-Cha-mond126 et résideront au ‘Foyer del’Hermitage’127. L’œuvre des voca-tions continue sous une autre forme quise révélera rapidement peu satisfai-sante. Somme toute, le juvénat de 1921

à 1969 a été davantage la survie d’uneœuvre dont le grand moment de réus-site aura été les années 1876-1903. Leseffectifs stables du juvénat jusqu’en1967 cachent en fait une érosion pro-gressive de l’efficacité vocationnelledes juvénats, surtout après 1945.

2.28. La restructurationde l’enseignementen France… et à Lavalla

Les vingt années d’après guerreont été celles d’un « babyboom » puisd’une croissance économique très

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forte. De ce fait, le système scolaireest en pleine restructuration : c’est lemoment où un peu partout on fu-sionne écoles de garçons et de filles ;on crée des collèges.

Comme nous l’avons déjà écrit,l’externat recevant les garçons de laparoisse avait continué dans un bâ-timent acheté par M. Ginot, près del’église paroissiale. M. Mathevet, unlaïc, l’avait dirigée jusqu’à son décèsle 6 mai 1930. Après un court intérimde plusieurs directeurs, M. Fournel,laïc, lui succède de 1932 à 1957. LesFF. Raymond puis Démartin pren-nent sa relève jusqu’en 1965, date dela création d’une école mixte chez lesSœurs de Saint-Joseph, rue de Lu-zernod128.

Comme le juvénat ferme sesportes en 1969, l’école primaire mixtevient s’établir dans ses locaux et F.Marcel Arnaud, nommé directeur,ouvre un pensionnat. En septembre1969, l’école compte 76 élèves dont27 pensionnaires129. Le pensionnatdevenant mixte, le nombre d’élèves,répartis en 6 classes, s’élèvera à160 en 1978130. Mais sa situation dansune zone trop écartée nuit à son re-crutement et le nombre d’élèvestombe à 88 élèves en 1997 dont 38 in-ternes131. N’ayant plus que 24 pen-

sionnaires - 18 garçons et 6 filles - enl’an 2000, il ferme ses portes.

La direction de l’externat est ensuiteassurée par des laïcs sous tutelle ma-riste de 2001 à 2009. En 2003-2004, lebâtiment construit par le F. Sisoès estrénové de fond en comble sur ses 3 ni-veaux. Depuis 2009, c’est l’Enseigne-ment Catholique de la Loire qui assurela tutelle de l’établissement. Actuelle-ment, c’est une école primaire, laseule du village, uniquement pour ex-ternes et avec demi-pension. En 2011-2012, elle a 134 élèves y compris unetoute petite section d’enfants de moinsde 2 ans. Le corps enseignant comptecinq institutrices dont deux à mi-temps, des aides maternelles et despersonnes qui offrent leur compé-tence pour des demandes ponctuelles.La population jeune qui s’est établie àLavalla ces dernières années a favo-risé une remontée des effectifs.

2.29.La Communautédes Frères

Elle occupe la maison d’externatconstruite en 1892 et rénovée en1997-98. Elle est composée de qua-tre Frères dont la mission est d’ac-cueillir les visiteurs : environ 5.000 per-sonnes par an accomplissant le pè-lerinage des lieux maristes.

Louis Vibert, fms 165

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128 Des personnes de Lavalla d’aujourd’hui sont passées par cette école.129 4Annales, 8 septembre 1969.130 Document Bardyn : « Lavalla en Gier, Monographie d’un village ». 131 Annales de la communauté des Frères 1997.

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2.30.Notre-Dame de Pitié

Cette petite chapelle, d’une capa-cité de 80 personnes, qui appartient àla commune, est chère aux FrèresMaristes. Rénovée en 2003-2004, surl’initiative de l’Association des 3V (Val-lauds, Valorisons Lavalla !), elle estinaugurée le 5 juin 2004. Les passagesdes groupes qui viennent visiter leslieux maristes lui donnent une certainevitalité. Chaque année, la choralecommunale de Lavalla s’y produit. Lacommune a exprimé, au jour de sa ré-novation, le souhait que ce lieu puisserecevoir des manifestations artis-tiques : concerts, expositions132…

2.31.La maison du Frère François à Maisonnettes

Ajoutons qu’à Lavalla, le F. Fran-çois est l’objet de la piété populaire.Sa maison familiale est toujours en-tretenue par l’Institut. Chaque année,le mercredi-saint, a lieu, dans l’après-midi, la célébration eucharistique dujour, dans la cuisine de la maison. Lasalle a accueilli, ce mercredi-saint, 4avril 2012, 80 personnes.

2.32.L’avenir des bâtiments

Il n’en reste pas moins que le tiersenviron des espaces est inoccupé. Lebâtiment du F. Vincent est vide ou sertde dépôt ; la maison historiquecontient la chambre du P. Champa-

gnat, très visitée, et trois pièces ser-vent à l’administration de « PrésenceMariste », la revue des Frères Maristesde France. Tout le reste est en attente.La chapelle est muette. La commis-sion des lieux maristes examine diversprojets de rénovation. Il est questionaussi d’y établir l’ancienne biblio-thèque de l’Hermitage ainsi que les ar-chives des Provinces de France.

Conclure ce parcours depuis laFondation de l’Institut à nos jours,c’est rappeler l’énorme investisse-ment matériel, financier et humainqu’il a fallu pour établir et maintenir enfonction les cinq bâtiments qui consti-tuent l’ensemble de la propriété.Même si, aujourd’hui, ces locauxsemblent un écrin un peu grand pourenvelopper le berceau de l’Institut, ilsnous rappellent que de nombreusesvocations missionnaires y ont éclos,saisies par la Bonne Nouvelle à por-ter à d’autres peuples. Encore biendes Frères, sortis de ce juvénat,pourraient raconter leur parcoursdans ce lieu et dire tout ce qu’ils enont reçu. On peut en dire autant delaïcs qui y sont venus dans leur en-fance et qui reviennent en pèlerinageà Lavalla, non sans émotion, en serappelant la bonne ambiance qui yrégnait. Mais le plus important c’esttoute la force symbolique de ce lieuappelé dès le XIXe siècle le berceaude l’institut. Il n’a certes pas le pres-tige de l’Hermitage « grand reliquairedu P. Champagnat », mais il en est lasource.

166 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

132 La statue de N.D. de Pitié datée du 16e siècle, autrefois dans ce sanctuaire, est actuellement enlieu sûr.

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Mon Révérend Frère Supérieur,

Voici quelques-uns de mes souvenirs et impressions concernant le P. Champagnat pendant mon séjour à Lavalla.D’abord sa piété. Il en a laissé des traces jusque sur les murs de sa chambre, cette modeste chambrequi n’a que 6 m de long, 4 de large et 2,50 de hauteur. Oh ! si les murs parlaient ! dit-on quelque fois. - Eh bien ! les murs et les planchers même de cette chambre m’ont toujours dit : ‘Le Père Champagnat était rempli de l’esprit de piété et de l’esprit de pauvreté.’ Permettez-moi de reproduire les sentences religieuses qu’il avait écrites en gros caractères sur les murs de sa chambre, et que j’ai fait ressuivre par le Frère Cécilien (car elles avaient disparu en partie).– Bénie soit la très pure et très immaculée conception de la Bienheureuse Marie, Mère de Dieu.– À Dieu seul toute la gloire.– Loué soit le très Saint Sacrement de l’autel.– De votre feu céleste, embrasez tout mon cœur,– Jésus tout mon amour, Jésus tout mon bonheur. (Note)

Sa chambre et surtout le parquet (oui, c’est bien un parquet, une sorte de mosaïque) nous disent sonamour de la pauvreté. Cette mosaïque composée de larges planches mal jointes, de quelques briques, etdans un autre coin de plusieurs grosses pierres plates du pays et polies ou taillées surtout par les clousde la chaussure, tout ceci aurait pu être facilement remplacé par un bon plancher et à peu de frais. Lebon Père ne manquait pas de bon goût et d’amour du beau et de l’ordre ; ce qui le prouve c’est le soinqu’il mit dans la construction de l’infirmerie à l’Hermitage et surtout de la Chapelle, mais il avait encoreplus l’amour de la pauvreté. Cette chambre si pauvre, c’était pour lui, et c’est pour cela qu’il la voulait,qu’il l’aimait dans cet état.Quand j’ai eu la permission de réparer la partie brûlée du vieux bâtiment construit par le P. Champagnatet ses frères, les maçons ont remarqué la solidité de ces murs sans chaux et ils n’ont démoli qu’un tiersà peine et le père Pont, maître maçon, m’a dit qu’on pouvait bâtir sans crainte sur ces vieux murs. Ceci me prouve que si le Père Champagnat allait à l’économie, il faisait cependant bien ce qu’il faisait.Avant cette réparation, un bon vieillard de Lavalla passant par là le dimanche en allant aux offices,déposait toujours son bâton dans la maison brûlée, manifestant à qui voulait l’entendre le regret qu’il avait de voir abandonnée une maison bâtie par celui dont il avait conservé un si religieux souvenir.

Louis Vibert, fms 167

mars2013

ANNEXE

LETTRE DU FRÈRE GENTIEN, À IZIEUX (LOIRE).

Témoignages sur Marcellin Champagnat. (Enquête diocésaine transcrite par le F. Carazo, Rome 1991, t. 2, p. 20)

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Objets ayant appartenu au bon Père... vénération des Frères venus du Nord et du Midi :Le petit pensionnat de Lavalla possède le chapeau du P. Champagnat, sa ceinture et quelques autresobjets dont il a fait usage. Le tout était dans un placard fait, m’a-t-on dit, par le Père lui-même. Lorsqueles Frères du Nord ou du Midi viennent à l’Hermitage, tous, comme vous le savez, veulent voir le berceaude l’Institut et ils montent à Lavalla. Je me suis aperçu que, par de pieux larcins, le chapeau du Pères’écornait, se diminuait, sa ceinture diminuait de longueur, et que pour peu que cela durât tout allaitbientôt disparaître. Alors j’ai fait mettre tous ces objets dans une vitrine fermant à clef et placée dans lachambre du Père. Je me rappelle avoir fait grand plaisir une fois à notre cher F. John partant pour visiternos frères d’Océanie, en lui remettant un tout petit bout de la ceinture du P. Champagnat. Cetempressement des frères m’a toujours édifié et montré clairement la profonde conviction de ces bonsconfrères que le P. Champagnat était un saint du Paradis.J’ai trouvé un jour un confrère de la maison une hache à la main pour mettre en pièces une vieille table àtiroirs qui n’était bonne en effet que pour le feu. Informations prises, c’était la première table des Frèresfaite par le Père Champagnat. Je l’ai fait mettre dans sa chambre et il est rare si, dans l’occasion, lesfrères du Midi ou du Nord n’y font pas quelque entaille pour en emporter un petit morceau133.Je suis, mon Révérend Frère Supérieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Frère GentienIzieux, le 24 mars 1886

168 IV. Lavalla et les Frères Maristes de 1825 à nos jours

133 Il semble plutôt que ce soit une table ayant servi aux enfants caméristes prenant pension à la mai-son durant l’hiver, d’où la présence de tiroirs pour leurs provisions et des pieds de table très courts nepermettant pas à un adulte de s’asseoir. Le caméristat ayant été établi vers 1822, il n’est pas impensa-ble que cette table soit de cette époque.

fms Cahiers MARISTES31

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Le numéro 29 des Cahiers Maristes,centré presque exclusivement sur lesportraits de Marcellin Champagnat,est très intéressant. Avec beaucoupde compétence, André Lanfrey nousparle des portraits réalisés par Ravery.Comme il m’a mis en cause, et d’ail-leurs sur sa propre suggestion, je medois de donner des explications.

L’origine des trois tableaux peints par Ravery

Celui conservé à Rome (R) est leportrait remis par Ravery, le 20 février1841, à F. François, suite à la demandefaite au peintre le 6 juin 1840. Il estconsidéré comme le portrait officiel.

169

LE PORTRAIT CHAMPAGNAT DE RAVERY À N.D. DE L’HERMITAGE

COMPLÉMENT

Jean Rochefms

Comparaison des trois portraits

Un autre portrait est à Saint-Genis(SG), réalisé pour F. Benoît. Nousconnaissons son histoire par une cir-culaire de F. Louis-Marie du 31 mai

1870. Très reconnaissant envers Mar-cellin Champagnat pour sa vocation,F. Benoît demande à Ravery une co-pie du tableau déjà fait.

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Qu’en est-il de celui de l’Hermitage (H) ?

Frère Jean Borne, économe de lamaison de N.D. de l’Hermitage, etgrand artisan des travaux qui ont étéfaits lors de la Béatification, m’a mon-tré ce tableau. Il a précisé qu’il pro-venait de l’atelier de Ravery. Quandson atelier a été liquidé, le tableau aété remis à la maison, soit par Raverylui-même – il est mort en 1868 – soitpar ses héritiers.

Ce tableau séjournait dans un gre-nier, au 4e étage, côté Gier. Il a étémontré à Gérard Crépin, l’auteur del’historial et des fresques de la sallecommune. Il a tout de suite comprisl’intérêt historique d’un tel documentet l’a mis en valeur dans la chambre-chapelle de Marcellin Champagnat.

Ces trois portraits représententMarcellin Champagnat, mais bien desdétails diffèrent. Observons-enquelques-uns .

170 Le portrait Champagnat de Ravery à N.D. de l’Hermitage

fms Cahiers MARISTES31

La tête du portrait de Rome

La tête arrondie est mise en valeur par un lé-ger nimbe. Admirons la finesse de la chevelure.Les paupières sont rigides, sur des yeux éteints.Le dessin de l’oreille est sommaire. Aucune ci-catrice sur le front. Remarquons les plis anguleuxde part et d’autre du rabat au niveau du cou.

La tête du portrait de Saint-Genis

La tête con serve son aspect cadavérique.Mais elle est mise en valeur par les couleurs plusclaires qui l’entourent. Elle est plus expressive aussi,avec son teint plus coloré, son front plus large, lesyeux plus ouverts, l’oreille mieux dessinée. Le frontest plus réaliste avec ses cicatrices dont l’une surl’œil gauche.

Le rabat ne comporte qu’un pli anguleux ducôté gauche.

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Jean Roche, fms 171

mars2013

La tête du portrait de ND de l’Hermitage

Le nimbe qui entoure la tête est à peine visiblesur l’original. Il ne peut se voir sur une photo ou parun faible éclairage. La tête est plus allongée. Lesyeux sont assez flous, l’œil droit presque éteint.L’oreille est à peine esquissée. Les cicatrices desarcades sourcilières sont perceptibles. Les mèchesde cheveux n’ont pas le fini de R ou de SG.

Comme dans le tableau précédent, le rabatn’est coudé que du côté gauche.

La croix du portrait de Rome

Une seule remarque : le corps du Christ est bienpetit sur cette longue croix !

La croix du portrait de Saint-Genis

La croix est une copie de celle qui était don-née aux frères lors de la profession perpétuelle.Elle en a con servé le cordon. Mais où donc s’ac-croche-t-il ?

Remarquons l’écriteau visible sur le haut de lacroix et qui n’apparaît pas sur les deux autres. Lecorps du Christ est bien dimensionné. Ravery a sû-rement peint d’après une croix en sa possession.

Examinons la croix que Marcellin tient en main.

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Voyons maintenant les ornements sacerdotaux.

172 Le portrait Champagnat de Ravery à N.D. de l’Hermitage

fms Cahiers MARISTES31

La croix du portrait de ND de l’Hermitage

Les contours de la croix sont moins nets. Lecorps du Christ est démesurément long.

Détail du portrait de Rome

Nous pouvons admirer la dentelle du rochet etcelle de l’étole. Elles montrent tout le savoir fairedu peintre.

Notons la distance entre la fin de la dentelle etle galon transversal : un élément de feston et demi.

Détail du portrait de Saint-Genis

La dentelle du rochet (surplis) est moins régu-lière et celle de l’étole est sommairement dessinée.

Là encore notons la distance entre la fin de ladentelle et le galon transversal : un peu plus dedeux éléments.

Détail du portrait de ND de l’Hermitage

Là, la peinture est moins nette. Il faut faire uneffort pour deviner la dentelle qui entoure l’étole.

Là encore, notons la distance entre la fin de ladentelle et le galon transversal : un peu plus dedeux éléments.

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Quelques conclusions

1. Les trois portraits, avec quelquesdifférences, ont beaucoup de lienscommuns : cela justifie l’attributionde H à Ravery.

2. Ce dernier est antérieur aux deuxautres. En effet, il est plus fruste,plus imparfait dans sa réalisation.Prétendre le contraire voudrait direque Ravery l’aurait peint à une pé-riode de récession de son talent.Ce qui n’est pas le cas. N’a-t-il paspeint, en 1860, avec succès, le por-trait de F. François qu’il a signé, tan-dis que les autres ne le sont pas. De plus, la tête de celui de l’Her-mitage ne se détache pas de sonpourtour. C’est une faute inad-

missible pour un portrait. Donc, onne peut prétendre que ce soit F.François qui l’ait commandé.

3. Force est de constater que Raverys’en est servi comme ébauchepour peindre le portrait R et,quelques années après, celui deSaint-Genis.

Comment a procédé Ravery

Des observations précédentes,on peut comprendre la démarche deRavery.

Appelé à l’Hermitage pour peindrele portrait de Marcellin Champagnatdécédé le matin même, Ravery n’estpas arrivé avec une toile de 50x60 cm

Jean Roche, fms 173

mars2013

La main mérite une attention spéciale

La main de H est bien dessinée, unpeu fermée. Elle est identique à cellede SG, à droite. Elle est reprise en Rmais plus ouverte. Le poignet est en-touré de dentelles.

La croix et la main ne semblent pasbien s’accorder. Elles ne sont pasdans le même axe, ni apparemmentdans la même perspective.

On peut conclure que cette mainest une création de Ravery.

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montée sur un chevalet. Le cadre dela chambre, les visites incessantes nele permettaient pas. Il a dû avoir uncourt moment pour se concentrer etdessiner sur le papier quelques traitsdu visage de Marcellin.

Le travail de Ravery est difficile. Leportrait n’est pas sa spécialité. Deplus, il faut rendre vivant le visage ca-davérique de Champagnat contemplérapidement. Dans ces conditions,une ébauche était nécessaire.

Il va s’employer à peindre la têteaussi fidèlement que possible. Pource qui est du vêtement, le peintre doitemprunter à une paroisse étole et ro-chet, des pièces ornées de finesdentelles. Les demandera-t-il à l’Her-mitage ? On peut en douter tant cespièces ont de la valeur.

L’ébauche terminée, le peintreentreprend le portrait. Il redresse latête, il supprime les cicatrices etsoigne la chevelure. Puis avec les vê-tements empruntés, il habille Mar-cellin.

Il lui faudra beaucoup de tempspour peindre les dentelles avec mi-nutie.

Après plus de huit mois, le 28 fé-vrier 1841, le tableau sera livré à F.François.

André Lanfrey parle de la décep-tion des frères à la vue du portrait (CM29, p.12). Pour ceux qui ont connuMarcellin, ce visage est encore tropmarqué par la souffrance et la mort.Cet habillement trop léché neconvient pas à Marcellin humble et

travailleur, même s’il nous rappelle saqualité de prêtre.

Ravery a fait de son mieux, et nouspouvons lui savoir gré de nous avoirdonné un portrait de Marcellin – le seulavant sa sépulture - dont plus d’unpeintre s’est servi par la suite.

CONCLUSION

Je pense que ce que nous venonsde voir justifie la réalité d’une ébauchepeinte par Ravery préalablement auportrait officiel. Elle lui a servi pour réa-liser le portrait commandé par F.François. Il l’a conservée dans sonatelier pour un usage éventuel. L’oc-casion lui en a été fournie par la com-mande de F. Benoît. Loin descontraintes d’un portrait officiel, sonportrait sera plus simple, moins aca-démique, avec une tête plus réaliste.Alors on comprend pourquoi F. Louis-Marie le trouve ‘plus ressemblant’.

On connaît la suite quant à‘l’ébauche’, donnée à l’Hermitagelors de la liquidation de l’atelier de Ra-very. Elle ne semble pas avoir reçu unaccueil plus empressé que le portraitofficiel. Nous n’en trouvons pas men-tion dans la liste des reliques (sou-venirs) conservées dans deux cham-bres de la maison de N.D. de l’Her-mitage (Monographie de Notre-Damede l’Hermitage pendant son premiersiècle 1825-1925, p.101-106). Ce do-cument devait reposer dans le gre-nier. La venue de Gérard Crépin lui aredonné vie.

174 Le portrait Champagnat de Ravery à N.D. de l’Hermitage

fms Cahiers MARISTES31

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PS Cette histoire du portrait de Marcellin Champagnat nous en rappelle uneautre toute récente. Longeon est l’auteur de deux statues de MarcellinChampagnat, celle qui domine la chapelle du Rosey à Marlhes et cellede l’entrée de la maison de Lavalla.Pour en réaliser une, le sculpteur a d’abord exécuté un modèle en plâ-tre, grandeur nature. Ces modèles sont restés dans son atelier de Saint-Étienne jusqu’à cette année 2011. Il a proposé alors aux Frères de lesrécupérer, sinon ils seraient détruits.Après consolidation, réparation et couverture d’une couche de résine,le modèle de Lavalla a pris place dans l’église de Pélussin, la dotant ainsid’une statue de Marcellin.Le modèle qui a servi pour la statue du Rosey, après 56 ans, est arrivéà la maison de Saint-Paul-Trois-Châteaux, attendant, après les soins né-cessaires, d’accueillir les visiteurs dans le hall d’entrée.

Jean Roche, fms 175

mars2013

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Finito di stampare in Marzo 2013presso la CSC Grafica - Guidonia (ROMA)

www.cscgrafica.it

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